En bref
Le 3 novembre 2009 à Puerto Madryn en Argentine tu deviens champion du monde junior. À quoi penses-tu dans l'avion du retour ?
Je pensais aux très bons moments passés avec la délégation française (l'ambiance était très bonne), au cadre exceptionnel (la Patagonie c'est quand même plus sympa que la plupart des endroits dans lesquels on va habituellement, notamment la Sibérie) et bien évidemment au titre obtenu à l'arraché (au départage grâce à une victoire lors de la dernière partie), le tout dans des conditions éprouvantes. Au final, une expérience forte et unique.
À Puerto Madryn ton séjour a été assez "chaotique" mais avec le recul quel souvenir conserves-tu de ce championnat forcément très particulier pour toi ?
Ce serait plutôt le non-souvenir des pingouins que je ne suis pas allé voir pendant la journée de repos. On dira que j'ai été trop sérieux sur le coup mais je dois avouer que pour l'excursion il fallait se lever à l'heure où je suis allé me coucher !
Par la suite tu enchaînes avec une belle Coupe du Monde à Khanty-Mansiysk en Russie. Tu es éliminé par Boris Gelfand, futur vainqueur de l'épreuve. On a le sentiment que tu avais les moyens de le sortir. Peux-tu nous raconter ce match ?
Évidemment cette Coupe du Monde m'a laissé un peu sur ma faim, puisque j'ai été éliminé en 1/8e de finale alors que j'étais venu avec des ambitions plus élevées. Mon match contre Boris s'est résumé à une guerre des nerfs où chacun devait attendre sa chance et exploiter ses opportunités « en contre » puisque aucun de nous deux n'a su faire la différence avec les Blancs, se heurtant chaque fois à l'ouverture solide mise en place ( (la Petrov quand Boris avait les Noirs et la variante de l'Anglaise que j'avais rapidement concoctée comme l'antidote miracle avant le match). Du coup, dans les parties longues et semi-rapides toutes les opportunités étaient pour les Noirs. Boris a eu une énorme occasion dans la partie longue puisqu'il me proposa nulle dans une position gagnante mais qu'il avait évalué comme étant nulle (à sa décharge je dois dire que l'unique gain dans la position était loin d'être évident) et j'ai eu en retour deux excellentes possibilités dans les semi-rapides avec les Noirs, que je n'ai hélas pas su exploiter. Les blitz relevaient évidemment plus ou moins de la loterie. Après une gaffe de Boris dans le premier blitz, je n'ai pas su trouver un gain relativement simple et j'ai un peu eu le sentiment d'avoir laissé passer ma chance, d'autant que dans le second blitz je n'ai pas existé, commettant une erreur fatale trop rapidement. Boris m'a contré avec une grande précision. Dans l'ensemble même si j'ai eu des occasions, Boris a su gérer mieux que moi la pression au moment décisif et rien que pour cela il mérite la victoire dans notre match. Je ne peux évidemment pas me prononcer à sa place mais cela a peut-être été son match le plus délicat dans sa route vers la victoire.
Dans quelques mois tu retourneras à Khanty-Mansiysk avec l'équipe de France pour y jouer les Olympiades. Comment vois-tu les choses ?
A priori, nous avons une belle équipe, quasiment la même depuis quelques années, mais cette fois les joueurs sont proches de leur niveau optimal. Dans la mesure où depuis quelques années nous avons eu globalement des résultats médiocres, j'espère que cette fois les joueurs seront motivés pour frapper un grand coup. Nous pouvons raisonnablement envisager le podium mais à moins d'avoir une équipe de feu il faudra forcément avoir un peu de chance dans les appariements (ce qui n'est pas notre cas face aux poids lourds habituels que sont la Russie et l'Ukraine).
Au classement FIDE de Juillet tu seras proche de la vingtième place au classement mondial. Estimes-tu que c'est conforme à ton talent et à tes ambitions ?
Je ne peux pas vraiment dire si c'est conforme à mon talent car c'est assez subjectif mais en revanche je dirais que c'est assez conforme au travail que j'ai effectué jusqu'à présent puisque qu'en parallèle j'ai terminé ma licence au mois de juin de cette année. Désormais je vise plus haut et j'espère pouvoir m'installer durablement dans le TOP 10 mondial avant d'essayer de viser encore plus haut !
Comme toi, Magnus Carlsen est né en 1990, mais lui est numéro un mondial. Qu'est ce qu'il a de plus que toi ?
Il est numéro un mondial : Pour le moment c'est la terreur. Depuis un an il est de mieux en mieux préparé et surtout il fait très peu d'imprécisions, ce qui lui permet de gagner un nombre incroyable de positions égales. S'il continue à ce rythme il va être dur à déloger !
Dans quels domaines dois-tu encore progresser ?
Mon jeu reste évidemment perfectible mais mon sentiment est que le domaine principal où je dois travailler reste la préparation théorique et ensuite la préparation physique afin de mieux tenir dans les tournois longs.
Quel est ton sentiment sur la finale du championnat du monde entre Anand et Topalov ?
Il y a eu beaucoup de fighting spirit de la part des deux joueurs mais mon sentiment est que globalement le niveau de jeu était assez médiocre. Beaucoup de grosses erreurs et de "trous" avec les pièces noires de part et d'autre... Du coup je suis resté un peu sur ma faim.
Tu travailles depuis longtemps déjà avec le GMI Arnaud Hauchard. On sent qu'il y a une profonde amitié et un respect mutuel entre vous. Quelles sont ses principales qualités et quelle est sa part de responsabilité dans tes différents succès ?
C'est d'abord et avant tout un vrai passionné des échecs. Il regarde énormément de parties et connaît beaucoup de choses. A n'importe quel moment il va chercher à travailler une variante. Le fait que nous nous entendions parfaitement permet à notre collaboration de rester fructueuses et d'éviter les disputes ! Son apport est très bénéfique sur tous les plans, que ce soit la préparation échiquéenne ou mentale mais aussi les aspects psychologiques. Maintenant tout sera parfait lorsqu'il enfilera un short et viendra courir avec moi !
Dimanche 27 juin ton club d'Evry Grand Roque affrontera le Cercle d'Echecs de Metz Fischer en finale de la Coupe de France ? Une affiche inédite et assez déséquilibrée. Pourrais-tu nous dire un mot sur ce match et sur l'adversaire.
L'affiche est relativement déséquilibrée mais sur quatre échiquiers tout peut arriver surtout si l'un des joueurs d'Evry est dans un jour sans. L'histoire de la Coupe est riche d'exemples de ce type où le favori est battu ou éliminé. Ce que je sais c'est que notre équipe sera forcément hyper motivée à cause de notre échec en TOP 16 face à Châlons-en-Champagne. Je dirais qu'en 2010 nous sommes tombé dans la facilité après une saison 2009 où nous avions totalement dominé notre sujet. Metz est une équipe relativement nouvelle à ce niveau mais qui a réussi de belles choses ces dernières saisons avec une équipe homogène mais que l'on n'attendrait pas à ce niveau. Dans cette équipe il y a des joueurs difficiles à battre et je dis donc "méfiance". J'espère que ce sentiment est partagé par tous les joueurs de mon équipe.
Cette saison le parcours d'Evry en Coupe de France a été relativement calme mais on a quand même le sentiment qu'en quart contre Lyon, le couperet n'est pas passé loin. Quelle est ton analyse ?
A priori nous n'aurions pas dû être en danger dans ce match. Notre composition était sensée nous apporter deux « penalties » avec les blancs, et nous pensions tenir sans problème avec les Noirs. Cependant la machine s'est enrayée avec les pièces noires puisque Sébastien Feller a été rapidement trop optimiste. En voyant cela Arnaud Hauchard a commencé à baliser. Il s'est mis inutilement toute la pression sur les épaules et inexplicablement a commencé a très mal jouer. La partie a ensuite sombré dans le n'importe quoi et Arnaud a fait la dernière erreur... Dans le même temps Sébastien a réussi, un peu par miracle, à obtenir une finale avec un pion de moins. Au début elle semblait très difficile à gagner pour son adversaire et puis quasiment impossible à gagner. Le lendemain nous avons clairement élevé notre niveau de jeu afin de l'emporter dans un match piège contre Marseille. Nous n'avons été menacé sur aucun échiquier et comme nous avons mis la pression sur les quatre échiquiers marseillais il était inévitable qu'au moins un joueur de chez nous l'emporte. Au final le scénario catastrophe avec quatre nulles (qui nous aurait éliminé) n'a pas eu lieu !
C'est ta quantième finale de Coupe de France ? Quel est ton palmarès dans cette compétition ? Quel est à ce jour ton meilleur souvenir dans cette compétition ? Une anecdote ?
C'est ma quatrième finale de Coupe de France et jusqu'à présent je suis maudit puisque à titre personnel, j'ai perdu deux parties et fait une nulle pour deux défaites de l'équipe en finale et surtout une victoire sur tapis vert pour un match perdu du temps du NAO contre... Evry ! Voilà pour l'anecdote. Ce jour-là Marc Perrin (dirigeant du club d'Evry) avait aligné un muté de trop dans l'équipe en la personne de Marie Sebag. Etrange car n'importe quel joueur non muté à la place de Marie Sebag aurait suffi pour gagner le match et donc la finale ! J'espère que le meilleur souvenir pour moi sera dimanche prochain, puisque je n'ai pas encore jamais gagné « sportivement » la Coupe.
Quel est ton programme jusqu'à la fin de l'année ?
Cet été va être relativement calme puisque mon seul fort tournoi sera à Bienne en Suisse. Ensuite je vais enchaîner avec un gros événement prévu pour le 10 septembre (surprise !) puis les Olympiades à Khanty-Mansiysk et ensuite la Coupe d'Europe des clubs en Octobre. Je poursuivrais avec le tournoi fermé de Hoogevens (Pays-Bas) où je suis invité en compagnie de Tiviakov, Giri et Shirov. En principe je dois ensuite achever ma saison avec le championnat du monde de blitz puisque je me suis qualifié. Je devrais également débuter la saison prochaine avec un tournoi assez fort.
Propos recueillis et aimablement communiqués par Christophe Guéneau, directeur sportif du Club d'échecs de Châlons-en-Champagne
Voir l'article sur la Coupe de France et le Top 12 féminin à Châlons-en-Champagne