En bref
Levon Aronian est un homme extraordinaire, au-delà d’un champion exceptionnel. L’ancien n°2 mondial a eu la douleur effroyable de perdre son épouse. L’amour est un sourire, disait le poète. Lorsque ce sourire s’efface, le deuil est éternel.
Tragédie
Arianne Caoili a heurté une pile de pont en voiture, le 14 mars, à Erevan. Son pronostic vital était engagé. La communauté mondiale avait retenu son souffle, mais les médecins avaient réussi à la stabiliser. Chacun s’était senti rassuré. La gravité de ses blessures était telle. Courage, force ! Gens Una Sumus était aux côtés d’Arianne.
Le 30 mars, Levon trouva le courage d’annoncer lui-même sa disparition : « Je n’ai pas de mots pour exprimer le chagrin que m’inspire la mort de mon épouse Arianne. Elle était intelligente et travaillait si dur, elle était une personne joyeuse qui a vécu une belle vie... Je t’aime, ma chérie, dors bien... »
Femme sublime
Juste le temps d’une nuit qui vaudrait une éternité. Elle était sa source de lumière. Il était l’ombre de son ombre. Elle savait le réconforter. Il saurait la protéger. Elle lui insufflait la force de vaincre et s’il perd, elle serait toujours à ses côtés, lumineuse, souriante, souveraine. C’était un équilibre. Elle aimait si passionnément ce jeu, elle aussi. Arianne était née à Manille, aux Philippines. Elle avait disputé et remporté tant de compétitions internationales chez les jeunes, comme Levon. Elle avait participé à sept Olympiades, dont cinq sous les couleurs de l’Australie qu’elle avait représentée à partir de 2004. Deux ans plus tard, l’Arménie était sacrée championne olympique. C’était le 1er titre de son histoire. Le regretté Karen Asrian (1980-2008) faisait partie de cette équipe extraordinairement soudée, qui s’imposa encore en 2008, six mois après son décès. Levon, son leader, était le nouvel héros de tout un peuple. Elle avait 19 ans. Il en avait 23. Le sourire d’Arianne l’avait-il sublimé ? Leur idylle restera gravée éternellement dans l’or de Turin.
Douceur de l’arc-en-ciel
Arianne était une femme vive, entreprenante, séduisante. C’était une humaniste. Tous ses projets se transformaient en réussite. Elle irradiait. Sa joie de vivre était communicative. À Berlin, où le couple Aronian, puisqu’ils s’étaient mariés en 2017, côtoyait les artistes, comme à Erevan, elle était une icône. L’une de ces personnalités rares qui tracent un sillon fécond de tendresse sans chercher plus de résonance qu’une interview utile pour sa cause. Cette « guerrière » sur l’échiquier était éprise d’action dans la vie. Femme de presse, engagée dans l’action caritative, elle avait un esprit libre. Ce vœu de ne jamais oublier ses rêves d’enfance les avait unit. Rire, s’aimer. Une princesse charmante et son prince de conte de fées s’étaient croisés. Levon n’est-il pas le plus humble et le plus généreux des super GMI actuels ? Il y avait les couleurs de l’arc-en-ciel dans son regard si doux. C’était la vision de ces deux amoureux qui savaient si bien exprimer leurs sentiments. L’émoi est profond. La tristesse est immense. Lorsqu’il ne reste que le silence...
L’amour
« Oui, absolument, l’amour est une force ! Les échecs sont un sport, une science, mais aussi un art. Sans émotion, il est impossible de jouer. Je pense que je n’ai jamais aussi bien joué que quand je me sentais bien dans ma vie. Vous devez ressentir ces émotions fortes. Je les ressens quand je pense à mon épouse, et je crois que c’est aussi ce qui explique aujourd’hui la qualité de mon jeu. Quand je perds une partie, comme à la coupe du monde contre Maxime, j’imagine le sourire de ma femme. C’est ce que je fais après chaque défaite... » In Europe Echecs n°683 Interview Levon Aronian Grand Prix de Palma 2017