Kramnik battu par José Eduardo Martínez Alcántara, qu'il accusait de tricher

Clash of claims

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Valdimir Kramnik et José Martínez - Photos Lennart Ootes

En bref

L'ancien champion du monde Vladimir Kramnik, qui accusait José Eduardo Martínez Alcántara de tricher sur internet, a perdu lors du match organisé avec le grand maître mexicain.

Depuis plusieurs mois, Vladimir Kramnik s'est lancé dans une croisade contre de nombreux joueurs, qu'il accuse de tricher lors de parties en ligne. L'ancien champion du monde avait notamment relancé la polémique autour d'Hans Niemann, avant de s'en prendre à Hikaru Nakamura.

Plus récemment, il avait accusé José Eduardo Martínez Alcántaran, classé 2612, d'avoir triché lors d'un tournoi organisé en ligne. Le grand maître mexicain a alors proposé à Kramnik de disputer un match avec toutes les garanties nécessaires pour prouver qu'il a joué de façon honnête. 

De fil en aiguille, l'idée a pris forme avec l'organisation du "Clash of claims", nom intraduisible mais qui évoque le conflit entre les affirmations des deux joueurs.

L'affrontement s'est déroulé au Casino Granvia de Madrid du 7 au 9 juin 2024. Les joueurs ont disputé 36 parties à la cadence de 3 minutes + 2 secondes par coup, la moitié face-à-face devant un échiquier, l'autre moitié par ordinateurs interposés. Ce match était évidemment sous haute surveillance de la part des arbitres. 

Kramnik perd son pari et ses accusations tombent à l'eau

José Eduardo Martínez Alcántara s'est imposé 15,5 à 11,5, battant ainsi en brèche les accusations de Kramnik. Saluons le panache du Mexicain, qui avait tout à perdre dans cette rencontre ! Si le match a été serré devant l'échiquier, José Martínez a pris un net ascendant lors des parties jouées sur ordinateur, ce qui prouve à nouveau que les deux pratiques ne sont pas tout à fait identiques. Certains joueurs sont plus à l'aise que d'autres devant un écran : une question d'habitude sans doute !

Jouez et gagnez comme José Eduardo Martínez Alcántara avec les blancs

José Eduardo Martínez Alcántara 1-0 Vladimir Kramnik

31. Fa7! Joué avec une poignée de secondes à la pendule, et gagne en force. Si Dxa7 Txd8, et si Dc8 Tac1

31... g5 32. hxg6 Cxg6 33. Df6 Txd1 34. Fxb8 Avec un énorme avantage pour les blancs, qui s'imposeront au 56e coup.

"Le coup Fa7 est une preuve manifeste de triche...

sauf qu'il a été joué devant un échiquier !" (Anish Giri, sarcastique)

Cet exemple prouve que José Eduardo Martínez Alcántara est tout à fait capable de trouver des coups brillants en quelques secondes et sans aide extérieure. Il ne faut pas chercher derrière chaque coup d'éclat une assistance informatique !

Quels sont les enseignements de ce duel ?

Kramnik a obtenu exactement l'inverse de ce qu'il souhaitait. En s'inclinant, il a prouvé que loin de tricher, José Eduardo Martínez Alcántara était simplement plus fort que lui.

Malheureusement, Vladimir Kramnik n'a pas digéré ce résultat, et continue de blâmer le "système", malgré les conditions de jeu qui ne laissent aucune place au doute quant à l'intégrité du grand maître mexicain. Selon l'ancien champion du monde, l'écoulement du temps visible sur son écran présenterait des anomalies. Or, ces micro-ajustements des temps affichés sont courants, afin d'accorder le temps affiché à l'écran avec celui sur le serveur.

Autre piste pour expliquer ces anomalies : les ordinateurs utilisés par les joueurs étaient neufs, pour exclure toute possibilité de modification du système. Problème : les mises à jour, nombreuses lors du premier lancement d'une machine, n'avaient pas été finalisées... 

Mais Kramnik a écarté les explications techniques, accusant l'organisateur David Martinez, organisateur du match et salarié de chess.com, de partialité. L'ancien champion du monde a ensuite expliqué que sa défaite au Clash of claims était moins nette que lors des parties disputées en ligne. Chacune de ses interventions a pour objectif de créer le doute, sans pour autant apporter d'éléments tangibles.

"Il était difficile de prévoir la signification que cette image aurait quelques minutes plus tard. Kramnik prépare son ordinateur, tout juste ouvert, sous le regard amusé de José Martínez." (Federico Marín)

Cette fuite en avant qui montre que le climat actuel de suspicion peut faire perdre toute lucidité même aux plus grands champions. Les cas de triche existent bel et bien, ne sont pas rarissimes, mais dans le cas présent le match offrait toutes les garanties nécessaires à un duel équitable. L'attitude de Kramnik nous semble donc contre-productive : la triche en ligne est très présente, menace l'intégrité du jeu d'échecs et nécessite des mesures fortes, mais l'ancien champion du monde semble se tromper de cible.

Les réactions amusées des grands maîtres

Anish Giri - photo Lennart Ootes

Anish Giri n'a pas manqué l'occasion de placer un bon mot pour tourner en dérision l'attitude de Kramnik : "Maintenant que la possibilité de triche a été éliminée, les bugs vont devenir le pire danger pour le jeu d'échecs".

Comme souvent, les propos du Néerlandais sont à prendre au second degré !

Nous ne souhaitons pas manquer de respect à Vladimir Kramnik, véritable légende vivante des échecs, et seul joueur (humain) a avoir battu Kasparov lors d'un match de championnat du monde. Nous admettons volontiers que la triche existe, et qu'elle est un véritable fléau qui instille le poison du doute dans de nombreux tournois en ligne, et même en présentiel. Cependant, ce match démontre que José Martínez est tout simplement meilleur que le Russe, en particulier lorsqu'il s'agit de jouer devant un écran.

Cet entêtement dans les accusations, proche de la paranoïa, révèle plutôt la difficulté pour les géants des années 2000 à accepter les changements dans le monde des échecs. Avec l'âge, les performances diminuent, et il n'est pas illogique que Kramnik, à 48 ans et à la retraite depuis 5 ans, ne parvienne plus à dominer un jeune grand maître comme José Martínez.

La génération biberonnée à internet parvient désormais à tenir tête aux géants des années 2000 grâce à une pratique régulière en ligne, et des méthodes d'apprentissage nouvelles. La transformation des échecs, liée au numérique, ne peut se résumer à la triche qui fait les gros titres et nous empêche parfois d'observer des évolutions plus profondes et positives, en particulier pour la progression de nombreux joueurs.

L'équilibre semble ténu entre la légitime prise de conscience face au danger que constitue la triche, et la paranoïa. Comme pour beaucoup d'autres sujets, la nuance est nécessaire !

Laissons le mot de la fin à Levon Aronian qui a bien résumé la situation : 

Levon Aronian - photo Lennart Ootes

Le match entre Kramnik et Alcantara a été passionnant et a prouvé plusieurs choses.
1. José a beaucoup de respect envers Vlad et a accepté toutes ses conditions de jeu.
2. Les niveaux d'échecs en ligne et devant l'échiquier peuvent varier considérablement.
3. Ma génération manque de compétences dans le maniement de la souris :)

Les parties du Clash of Claims