Une philosophie de combat par Paul Velten

Qualification à la Coupe du Monde

Publié le 25/04/2025 à 13:00 - Mis à jour le 25/04/2025 à 13:19
Paul Velten | Photo David Llada https://twitter.com/davidllada

En bref

Paul Velten explique comment il a géré son tournoi et vous propose de réfléchir sur certains aspects de la compétition pour vous améliorer : avoir une bonne routine et répéter ce qui a déjà fonctionné, être combatif avec l'envie de jouer plutôt que de penser aux résultats, être à tout moment dans la recherche de bons coups et avoir une bonne gestion de la pendule. Peu importe l'adversaire !

philosophie de combat et qualification !

J'ai décidé de commenter ma victoire de la 10e ronde contre Mahammad Muradli. Ce choix peut sembler surprenant. Pourquoi ne pas vous présenter ma victoire contre la légende du jeu Vasyl Ivanchuk à la 5e, ou même celle de la 6e contre le fort GMI espagnol David Anton Guijarro (2663). J'avais les Noirs et j'ai joué la défense Française. L’ouverture porte-bonheur de ce tournoi ? Cette partie contre le jeune GMI d'Azerbaïdjan est plus représentative de l'état d'esprit dans lequel j'étais et qui m'a porté tout au long du tournoi. C'est aussi le moment où je réalise que c'est la dernière ligne droite pour me qualifier pour la coupe du monde, même si ce n'était pas mon objectif de départ. Ce n'était pas non plus de gagner des points Elo. Je voulais surtout bien jouer et défendre mes chances dans chaque partie !

Comment ai-je optimisé ma performance en Roumanie ?
Avant de commenter cette partie, je souhaite vous expliquer comment j'ai géré mon tournoi. Je ne dis pas qu'il faut faire pareil, mais réfléchir sur certains aspects de la compétition peut donner des axes sur lesquels s'améliorer.

1. Ayez une bonne routine et répétez ce qui a déjà fonctionné pour vous
Quelles sont les bonnes habitudes qui nous permettent d'optimiser nos chances ? Chaque matin, je prenais un petit-déjeuner très copieux entre 8h30 et 9h15, puis je marchais sur la plage jusqu'à 10h. De retour à l'hôtel, je me préparais jusqu'à midi, voire 12h30 au maximum. Ce qui me permettait de me reposer jusqu'à 15h et le début de la partie. Au tournoi World Chess de Sardaigne, l'an passé, j'avais décidé d'attendre la fin du tournoi avant de boire une goutte d'alcool. J'avais eu un bon résultat (20e). En Roumanie, j'ai aussi choisi de prendre la pension complète à l'hôtel officiel. Et pourtant, je n'ai pris aucun déjeuner, ce qui peut sembler bête, puisque la formule comprenait les trois repas. J'ai évité d'être en pleine digestion durant la partie, en ayant plus de temps pour me reposer. Ce n'est pas une recommandation, mais chacun doit apprendre à se connaître, à répéter ce qui fonctionne et modifier ce qui ne va pas.

2. Soyez combatif et ayez l'envie de jouer plutôt que d'avoir des résultats
En janvier, j'avais fait un tableau statistique en additionnant tous mes points gagnés et perdus en 2024, par tranches Elo. La tendance était claire. Je suis moins motivé et me prépare moins contre mes adversaires ayant un classement plus bas (2000 à près de 2500). À l'inverse, plus mes adversaires sont bien classés et plus j'investis dans la préparation. Toutefois, dans la tranche 2501 à 2600, j'avais un réel problème. C'était la seule où je n'avais remporté aucune partie. En outre, mes adversaires classés à plus de 2600 ne me proposaient quasiment jamais la nulle. Je devais jouer jusqu'au bout. J'ai aussi constaté que si mes adversaires légèrement mieux classés n'aimaient pas trop leur position, ils m'avaient proposé la nulle, que j'avais acceptée à chaque fois. En revanche, quand ils étaient un peu mieux, ils essayaient de jouer pour le gain, contrairement à moi. En analysant ces statistiques, je me suis dit l'inverse : concentre-toi contre les joueurs de 2000 à 2500 et légèrement plus, et fais de ton mieux contre les 2600 et plus. Arrête d'accepter la nulle contre les mieux classés qui sont moins bien, et ça a marché ! À la ronde 3 j'ai refusé la nulle en zeitnot contre Bogdan Deac (2692), tête de série n°1 et je suis passé juste à coté de la victoire (0,5-0,5 en 50 coups). À la ronde 5, j'ai refusé de répéter les coups dans l'ouverture contre Ivanchuk. J'étais à deux doigts d'accepter la nulle, puis j'ai repensé à mes bonnes résolutions. Au bout de 35 minutes de réflexion, je me suis dit que je préférais ma position. J'ai continué à jouer et j'ai gagné !

3. Ayez les idées claires avant le tournoi
Dès le début du championnat, je me suis dit : joue, cherche les bons coups contre les plus de 2600 et ça se passera bien ! Vas-y, réfléchis et souviens-toi de ce que tu as préparé avant d'arriver en Roumanie. Contre Anton Guijarro, vers le 18e coup, je me suis dit que c'est le type de position où l'ordinateur préfère la position de mon adversaire, mais je ne vois pas comment il peut attaquer mon Roi et j'ai un plan à l'aile-Dame. J'avais déjà refusé sa "proposition de nulle imaginaire" dans ma tête, et j'ai plutôt cherché s'il n'avait pas fait une imprécision (0-1 en 38 coups). Mes préparations avant le tournoi et ma bonne mentalité ont encore payé ! J'ai un gros regret, celui d'avoir perdu à la ronde 8 contre Gabriel Sargissian. Je doublais les Blancs et je me suis dit que j'allais en profiter pour "récupérer un demi-point", avec l'excuse de la fatigue et de la gestion de la fin de tournoi. J'étais très fâché contre moi-même par cette défaite (0-1 en 72 coups). J'avais ensuite les Noirs contre l'ancien champion du monde Ruslan Ponomariov. Quoi qu'il arrive dans l'ouverture, je ne voulais pas lui donner une partie facile. J’ai rejoué la Française et j'ai bien joué (0,5-0,5 en 42 coups).

Ronde 10 : le gain décisif contre Muradli
Je double les Noirs. Les calculs indiquent qu'il me faut au moins 1,5/2 pour avoir une chance de qualification, ce qui serait un bonus. Je ne suis pas stressé et je ne change rien à mon approche du combat : balade sur la plage, préparation, etc. Le fantôme de ma partie contre Sargissian est loin derrière. La ronde est lancée, mais mon adversaire n'est toujours pas là. Il arrive avec 5 minutes de retard. Il s'assoit, envoie son 1er coup et tombe sur ma préparation (cf. analyse). J'annule la dernière ronde en 12 coups avec Rasmus Svane (2627). Je fais une entorse à mes résolutions, mais c'est fait, je suis qualifié en finissant 20e. Je suis heureux. Au fil des années j'avais perdu cette manière d'aborder les parties : jouer sans peur ! Si je perds, le tournoi continue et la vie continue. On apprend plus d'une défaite que d'une victoire. Mais je ne veux plus avoir à me dire que j'aurais pu mieux jouer, mieux calculer, que j'ai annulé trop vite et que je n'ai pas tout fait pour gagner. Je n'oublie pas que la nulle est un résultat honorable si la partie est "propre" des deux côtés. Essayer de gagner, c'est être à tout moment dans la recherche des bons coups, avec la bonne gestion de la pendule. Peu importe l'adversaire !

Le grand-maître Paul Velten commente...