En bref
La carrière de l’Azéri est phénoménale. Il avait été consacré comme le premier des « nouveaux prodiges », en 2001, après avoir été titré GMI à 14 ans. En 2003, il avait battu Kasparov dans son fief de Linares. Son mental impressionnait, autant que ses qualités échiquéennes. Le jeune Teimour était un guerrier. Comme tant de champions du monde, cet adolescent souriant se métamorphosait en un tueur impitoyable lorsqu’il s’asseyait à l’échiquier. Il avait littéralement « exploser » Karjakin en finale du Trophée du Cap d’Agde, en 2006, après que l’ex-Ukrainien ait éliminé Carlsen en demi-finale. Son regard était noir, dur. Il ne craignait personne. Après la retraite de Kasparov, en 2005, Radjabov était programmé pour être le nouveau boss des échecs mondiaux.
Echecs aux Candidats
Il se qualifia pour les Candidats pour la première fois en 2011. Le tournoi se jouait à éliminations directes. Il perdit dès les quarts de finale, éliminé par Kramnik au tie-break (+2 =8 -1). En blitz, Radjabov était tombé au temps. Cette finale, avec un pion de plus, était nulle. Ce fut un premier coup du sort. A 22 ans, l’Azéri repartit au combat. En 2013, à Londres, il était tête de série n°3 (Elo à 2793), mais il déjoua inexplicablement : 8e et dernier (4/14). 1er avec 8,5 points, Carlsen venait de se qualifier pour son 1er défi mondial, contre Anand. Le choc fut rude pour Teimour. Après avoir été consacré comme le nouveau super prodige mondial, le Norvégien allait régner en maître absolu, comme Kasparov en son temps. En novembre 2016, l’Azéri redescendit même à 2696 Elo.
Résurrection
Il aura fallu attendre six ans pour qu’il rebondisse enfin. En 2020, ses sept rivaux seront déjà avertis. « Teimour, le Magnifique » a une revanche à prendre sur l’histoire et, surtout, contre son propre destin. A 32 ans, l’homme est accompli. Il est prêt à relever le plus grand défi de sa carrière. Sa « résurrection » est aussi un motif d’espoir pour Maxime Vachier-Lagrave. Entre Teimour et MVL, le cœur de Nataf était nécessairement partagé. Il connaît les deux joueurs depuis leur adolescence. Au cœur des années 2000, tous trois étaient membres du NAO Chess Club, vainqueur de la coupe d’Europe des clubs en 2003 et 2004. Son échiquier n°1 était Kramnik. Au fond, ces super GMI se connaissent si bien et depuis si longtemps. Quels étaient les facteurs décisifs d’une victoire ou d’une défaite en demi-finale de coupe du monde, à Khanty-Mansiysk, en 2019 ?
« Franchement, je ne sais pas comment évaluer mon niveau de jeu durant le tournoi. Je suppose que je n’ai pas mal joué, en général. Je suis fier d’avoir été suffisamment agressif. J’ai failli claquer la porte dans certaines parties, mais je l’ai finalement claquée après avoir gagné la finale ! Je pense que j’ai joué ma meilleure partie contre Maxime Vachier-Lagrave. Elle était intéressante du point de vue de nos préparations respectives et par rapport au jeu que nous avons produit. C’est la plus précise, selon moi. Bien sûr, ma victoire en classique contre Ding pour revenir au score, dans la 3e partie de la finale, restera aussi mémorable. Le match était stressant. La tension nerveuse est tellement importante, à la fin d’une coupe du monde. Je n’avais pas fait de préparation physique spécifique. C’est une sorte de loi : quand vous ne désirez pas vraiment quelque chose, vous finissez par l’obtenir ! Je l’ai toujours su depuis très longtemps, mais je ne pensais pas que cela m’arriverait. »
Prix de Beauté : l’Anglaise mortelle contre MVL
C’était l'instant de vérité, et sans aucun doute la partie la plus importante du tournoi pour les deux joueurs. Ils avaient annulé la 1re partie. Un résultat positif dans la 2e qualifiait le gagnant pour le Tournoi des Candidats. Autant dire que l'enjeu était énorme ! Avec Teimour, c'est très simple : soit, il décide d'envoyer une longue ligne théorique (après quoi, il se fait malheureusement trop souvent neutraliser, à mon goût, comme ce fut le cas au début de la finale contre Ding), soit, il décide de « jouer aux échecs » et, là, il est vraiment très fort. Avec son premier coup, 1.♘f3, il a montré qu’il avait visiblement envie de jouer. Sur cette ligne de l’Anglaise, il avait une conception complètement nouvelle. Maxime n’a pas senti le danger. Après 15 coups, sa position était déjà critique, mais il va continuer à se battre. Maxime a décidé de garder les Dames sur l’échiquier, au cas où… En finale, il n’avait pratiquement aucune chance de se sauver. J'ai été très impressionné par sa réaction. Sa défense est basée sur du jeu concret à l'extrême. Il frôle parfois l'équilibrisme. C’est probablement cette résilience qui lui permet aussi de gagner tant de parties tendues. J'aime cette manière de défendre. Elle me fait penser au style sans compromis d’un autre super GMI azéri, le défunt Vugar Gashimov (1986-2014). Voici cette énorme partie, synonyme de qualification pour Radjabov.
« Cette coupe du monde fut pour moi un très grand cru. C’est en toute partialité que je voudrais chaudement féliciter Radjabov pour sa victoire et son parcours magnifique ! Pour ceux qui ne le savent pas, Teimour est mon grand copain, et c’est mon poulain. C’est un petit peu comme mon « petit frère » aux échecs. Je l’aide depuis plus de 15 ans, et pas qu’aux échecs. Franchement, je suis très heureux qu’il soit allé jusqu’au bout, et qu’il se soit dépassé dans son dernier match contre Ding. Tout le monde le voyait largement perdant, surtout après les deux premières parties (=1 -1). Il m’a toujours dit que seule la 1re place comptait et, jusqu’au bout, il est allé la chercher ! » Igor-Alexandre Nataf
« Je suis déçu pour Maxime. Il a raté la qualification de très peu. J’aurais préféré que Teimour et lui soient les deux finalistes. Malheureusement, il ne pouvait y en avoir qu’un. Je voudrais le féliciter pour son parcours, et pour avoir réussi à décrocher la 3e place, malgré sa déception. Je lui souhaite le meilleur dans ses deux derniers Grands Prix. Il a une énorme carte à jouer. J’espère aussi que son coup d’accélérateur final, à Khanty-Mansiysk, jouera un rôle dans le processus de qualification pour les Candidats. » Igor-Alexandre Nataf