En bref
Erigaisi rate le coche ! L'Indien espérait remporter les Qatar Masters (3-12 décembre 2024), pour prendre la tête du Circuit FIDE et se qualifier pour le prochain Tournoi des Candidats. Mais Andrey Esipenko ne l'entendait pas de cette oreille, et s'impose en solitaire. Après un début catastrophique, Abdusattorov se hisse à la 3e place.
Classement des QATAR MASTERS 2024
Erigaisi, grand favori du tournoi, n'a pas grand chose à se reprocher dans cet open très relevé. Il a sans doute manqué d'efficacité en début de tournoi, concédant la nulle contre Murtas Kazhgaleyev à la ronde 2, et Pranesh à la ronde 4. Il a tout de même disposé d'une balle de match, affrontant à la dernière ronde Esipenko avec les pièces blanches. Malgré un petit avantage, Erigaisi n'a pas réussi à l'emporter.
La victoire d'Andrey Esipenko est donc méritée : le Russe n'a pas perdu une seule partie et réalise une performance à 2860. Seuls Arkadij Naiditsch, Bardiya Daneshvar et Erigaisi sont parvenus à lui tenir tête !
Aucune partie ne fut facile pour Esipenko, qui a remporté une finale très originale à la ronde 8 contre l'Arménien Shant Sargsyan.
Il suffirait aux noirs de sacrifier leur cavalier contre le pion blanc pour tenir la nulle, car il n'est pas possible de se faire mater par deux cavaliers. Mais Andrey Esipenko a fait danser ses pièces pour éviter ce scénario catastrophe !
La position finale est jolie !
Si 93... Ce8 94. Rd7 Cf6+ 95. Re6 Ce8 96. Rf7 Cc7 97. Ce6 +- Il faut donc bouger le roi, mais ainsi abandonner la case e4 au cavalier blanc.
Si 93... Rc3 94. Ce4+ +-
Si 93... Rc2 94. Ce4 Ce8 95. Rd7 +-
Fabiano Caruana reste en tête du Circuit FIDE
Au classement du Circuit FIDE, le mano a mano entre Erigaisi et Caruana continue !
Caruana a marqué de précieux points en partageant la première place du Saint Louis Masters avec Donchenko, et s'est installé en tête du classement.
La 2e place d'Erigaisi au Qatar lui permet de se rapprocher de l'Américain, mais il manque encore à l'Indien 6,03 points pour le dépasser, et ainsi obtenir son ticket pour le prochain Tournoi des Candidats. Les championnats du monde rapide et blitz seront donc décisifs dans l'attribution de cette place, et chaque point va compter...
La dure loi des opens pour les joueurs de l'élite
Dura lex, sed lex ! Disputer des opens n'est pas facile pour les joueurs à plus de 2700, qui doivent impérativement s'imposer pour ne pas perdre de précieux points Elo.
Les résultats de la première ronde de ces Qatar Masters sont à ce titre édifiants : sur les 5 premiers échiquiers, seuls Erigaisi est parvenu à triompher de son adversaire au "petit" Elo !
Au 10e échiquier, le vainqueur de l'édition 2023 Nodirbek Yakubboev a mordu la poussière, vaincu par l'Indien Amit Doshi Moksh.
Reza Mahdavi (2394) a triomphé de Nodirbek Abdusattorov (2777), tel David face à Goliath.
La partie est équilibrée, mais chaotique. Et Abdusattorov trébuche.
27. Fb5? Une tentative trop optimiste Fxb5 28. Txf7 Cxf7 29. Tg4 De7 30. Ce6+ Ce5 31. Tg7 Df6 32. f4
32... Fc4! Le sacrifice des blancs est tombé à l'eau, les noirs ont une pièce de plus et le roi blanc est tout aussi exposé que son homologue 33. Dd2 Dxf5 33. fxe5 Df3+ 34. Tg2 Fxd5 Les blancs abandonnent.
Le sacrifice pour l'activité lancé par Abdusattorov était incorrect, mais nécessitait une défense rigoureuse des noirs. Malgré ses 400 points Elo de moins, Reza Mahdavi a trouvé tous les bons coups, ce qui prouve la difficulté à battre des joueurs de ce niveau, même pour un champion du Top 10 mondial.
Cette partie a coûté pas moins de 9 points Elo au jeune Ouzbek ! Un petit drame pour un joueur de l'élite, qui risque de voir les invitations s'éloigner.
À la deuxième ronde, Omran Al Hosani (2239) parvient à accrocher l'Ouzbek. Après ce début de tournoi cauchemardesque, Abdusattorov termine finalement 3e des Qatar Masters, marquant 6,5 points lors des 7 dernières rondes. Malgré ce rebond, il perd 4 points Elo.
Ces déconvenues rappellent le destin de Leinier Dominguez, qui avait tenté en 2023 d'arracher une qualification au tournoi des Candidats en participant à l'Open Chessable Sunway de Sitges. L'Américain avait préféré quitter le tournoi après avoir perdu été accroché par des joueurs beaucoup moins bien classés. Dès la deuxième ronde, S. J. Laddha (2337) était parvenu à lui arracher le demi-point. Leinier Dominguez a donc jeté l'éponge après sa nulle à la 5e ronde contre l’Indien Pranav Anand.
Pendant ce temps, Alireza Firouzja disputait l'open de Rouen, et devait impérativement gagner toutes ses parties pour décrocher son ticket pour le tournoi des Candidats. Interviewé après le tournoi, le Français ne cachait pas son soulagement !
C’était un tournoi très difficile pour moi, probablement le plus dur que j’ai eu à jouer, parce que je ne pouvais pas faire la moindre nulle. J’étais vraiment heureux d’avoir réussi finalement à le faire (ce résultat de 7/7).
Malgré les apparences, un très fort Elo ne donne aucun pouvoir magique, et il n'est pas facile de triompher de joueurs très motivés, disputant la partie de leur vie contre une star mondiale !
Les opens, enfer des top joueurs, paradis des spectateurs ?
Dans les super tournois fermés, on retrouve toujours les mêmes. Ils ont 2750 Elo et plus et se sentent protégés. Ils ne sont pas obligés de jouer pour le gain. La plupart des autres joueurs disputent ces super opens parce qu’ils aiment les échecs.
Exercice délicat pour les gros Elo, les opens ont pourtant les faveurs du public, qui assistent à des confrontations inédites qui offrent souvent des surprises. Le succès du Grand Swiss témoigne de cette ferveur pour les opens, qui brise l'entre-soi des tournois fermés où l'on retrouve systématiquement les mêmes joueurs, qui se connaissent par coeur et se neutralisent souvent rapidement. À l'inverse, au Qatar Masters et au Grand Swiss, nous assistons à de formidables combats à chaque ronde.
D'où la question posée dans notre numéro de décembre 2023 : faut-il organiser plus de super opens de top niveau ?
Ces super opens sont très durs. À chaque ronde, tout le monde peut gagner et tout le monde peut perdre. C’est une bonne chose. Il faut prendre des risques pour gagner plus. Les plus jeunes peuvent gagner de l’expérience. Des joueurs classés à 2600 Elo peuvent affronter des joueurs du Top 10 mondial, ce qui ne leur arrive pas souvent. Mais des joueurs peuvent refuser de prendre des risques. Ils ne veulent pas perdre. Ils jouent pour préserver leur classement Elo et rester dans le Top 15 ou 20.
Alors pourquoi n'y-a-t-il pas plus d'opens de très haut niveau ? Une question d'argent selon le grand maître Romain Édouard !
Les budgets du Qatar Masters et du Grand Swiss devaient dépasser largement le million d’euros, peut-être même s’approcher des 2 millions. Il y avait les invitations et les conditions étaient très nettement supérieures à ce qui se pratique d’habitude, comme à Wijk aan Zee. Il suffit de faire les calculs. 100% des joueurs étaient invités au Grand Swiss, vols compris, et la plupart des joueurs internationaux l’étaient aussi à Doha. Quel autre open peut-il se le permettre ? Lorsque Gibraltar était réputé pour être le plus fort open du monde, on en était très loin. Il y avait 250 000 euros de prix, plus les invitations, les assurances, etc. On était peut-être sur un budget d’un demi-million d’euros, mais pas beaucoup plus. Trouver autant d’argent, aujourd’hui, c’est très compliqué.