En bref
Par Antoine Ellis
Nous sommes le 19 mars 2022. Chernihiv, une ville ukrainienne de 300 000 habitants environ, est encerclée depuis un mois par les forces russes. Et comme si la situation n’était pas assez critique, le chauffage et le réseau ont lâché. Vitalii et sa mère sentent que c’est le moment de partir. Dans le train pour Lviv, une seule idée traverse leurs esprits : s’évader. Vitalii a 16 ans quand il quitte son Ukraine natale pour les Vosges, où il avait déjà voyagé pendant un mois au collège. Il laisse derrière lui son père et une bonne partie de sa famille. Mais il emporte avec lui le souvenir de ses premières parties d’échecs et de son grand-père, décédé en 2019, qui l’a initié aux échecs et toujours suivi dans ses exploits.
Passionné dès le plus jeune âge par le jeu et la compétition
L’histoire d’amour entre Vitalii et le jeu d’échecs débute à l’école maternelle. Pendant la pause méridienne, sa grand-tante l’emmenait jouer au club de Chernihiv, pendant que les autres faisaient la sieste. A seulement cinq ans, il est envoyé au tournoi qualificatif au championnat d’Ukraine. Il se souvient de son premier livre, sur David Janowski, un joueur franco-polonais qui a joué de nombreux matchs contre E. Lasker au début du XXe siècle : « C’est un joueur offensif qui se fiche du résultat et refuse toujours la nulle, c’est ça qui m’a attaché à lui ». Mikhaïl Tal, le magicien de Riga, a aussi inspiré la sensibilité échiquéenne de Vitalii. Mais un homme revient toujours quand on parle d’inspirations, son grand-père : « Il criait au téléphone après chacune de mes victoires, c’était mon premier supporter », explique-t-il avec un profond respect pour son aïeul, qui, par ailleurs, « a été un des premiers à se soucier des risques radioactifs à Tchernobyl. »
Vitalii atteint le top 10 ukrainien U10 à l’âge de neuf ans. Il gravit les échelons assez vite, aux échecs comme à l’école. Il décrit un « milieu scolaire très compétitif », dans lequel il excelle. Au lycée, aux Olympiades, il finit 1er en maths, 2e en Histoire et 3e en anglais. Il regrette que l’Université ne soit pas aussi compétitive en France qu’en Ukraine, et s’implique sérieusement dans ses études de géographie à Nancy, depuis 2022.
« Jouer la position plutôt que l’adversaire, GMI ou pas ! »
Aujourd’hui, à 18 ans, Vitalii est maître FIDE et joue pour le club de Stanislas Echecs à Nancy. Grâce à un rythme de trois cours de trois heures par semaine depuis ses 13 ans, il a enchaîné les bons résultats pour en arriver là. En novembre dernier, en Nationale 1, il terrassait son premier Grand Maître en cadence classique, le géorgien Tornike Sanikidze (2461) : « J’étais trop content. Ça m’a rassuré sur le fait de valoir mes 2300 Elo et de pouvoir prétendre au titre de Maître International » explique-t-il, avec un certain flegme. Sa philosophie de jeu : jouer la position plutôt que l’adversaire, « GM ou pas ». Et quand il a moins de réussite, Vitalii assure avoir un mental à tout épreuve : « jamais, même après trois défaites, je ne me dis que je vais arrêter ».
En marge de ses tournois, il est également coach au club de Stanislas, pour le pôle excellence jeunes notamment. Il transmet la méthode ukrainienne qu’il a apprise et fait découvrir les grands classiques, avec le livre de Sakaïev notamment. Selon lui, c’est l’analyse de parties qui est primordiale pour gagner en compréhension. Il a lui-même saisi et commenté plus de 160 de ses parties. Lorsqu’il raconte sa méthode pour progresser, on pourrait l’écouter des heures, mais on a du mal à l’arrêter. Il s’en excuse presque, en ironisant : « comme un bon joueur d’échecs, j’ai tendance à être trop précis ».
Des ambitions plein la tête
C’est un peu étonnant, et assez original, mais devenir grand-maître n’est pas vraiment un objectif pour Vitalii Gryshko. Il préfère garder le titre de MI en ligne de mire, et à plus court terme, un top 5 au Championnat de France Junior à Agen en avril 2024. Aussi être un bon coach : faire remonter l’équipe en Top Jeunes et continuer à partager son expérience. Poursuivre ses études de géographie, trouver un bon master et pourquoi pas devenir planificateur urbain, peut-être même en Ukraine. Mais le rêve que Vitalii porte sûrement le plus dans son cœur, c’est rendre hommage à son grand-père. En organisant un tournoi mémorial, ou en fondant une école d’échecs en son honneur, à Bakhmatch, une ville ukrainienne de moins de 20 000 habitants qui n’a pas encore de club.
Sans son grand-père, et sa mère étant rentrée en Ukraine, il l’avoue, il est plus compliqué de se sentir soutenu. Mais il ne laisse jamais transparaître de signe de faiblesse, comme dans une partie d’échecs. Tout se résume finalement dans cette phrase qu’il glisse : « Si la position est mauvaise, il faut jouer pour le gain ! ».
Vitalii Gryshko 1-0 Tornike Sanikidze
Sur le thème de la défense tchèque, ou système Pribyl : 1.e4 d6 2.d4 c6... Vitalii Gryshko a rapidement pris l'avantage dans un milieu de jeu avec un grand roque de chaque côté. Et après 28...♖d7 les Blancs ont trouvé un moyen radical de porter l'estocade.
29.♕xb6+!? axb6 30.♖a8+ ♔c7 31.♘b5+ ♔d8 32.♖xc8+ ♔xc8 33.♖a1 1-0
Sur 33...♔d8 34.♖a8+ ♔e7 35.♖xh8 Vitalii Gryshko reste avec une pièce de plus.