En bref
Cette citation est de Xavier Tartakover - ci-contre à gauche face à Spielmann, à Saint-Pétersbourg en 1909.
L'ironie féroce de Xavier Tartakover est légendaire. Mais ce trait de l'esprit du célèbre joueur franco-russe (né en 1887 à Rostov, mort en 1956 à Paris) n'est qu'un élément de la réponse.
Qu'est-ce que la stratégie ?
On pourrait déjà dire que c'est l'art de concevoir un plan de bataille, selon un schéma théorique. La tactique consiste à réaliser ce plan, par des mouvements de troupes coordonnés.
Dans leur « Dictionnaire des Echecs » (Ed. PUF 1974), Français Le Lionnais et Ernst Maget sont encore plus précis : « Entre ces deux activités fondamentales, stratégie et tactique, se situe l'élaboration des plans ». Tout joueur visant le haut niveau se doit donc d'être à la fois un stratège et un tacticien. On comprend déjà mieux cette expression que les GMI emploient couramment dans leurs analyses : « Il transpose par de la tactique ».
Auparavant, le stratège a analysé la position. Avant de planifier son jeu à court, moyen et long terme, il a examiné l'échiquier selon des critères objectifs. Ce jugement en profondeur de la position doit être constamment réévalué. A chaque stade, il permet de définir une série nouvelle d'objectifs.
Evaluer l'espace
Cette phase de réflexion stratégique est la plus cruciale, car il faut définir ses propres objectifs, en essayant de « voir » quels sont ceux de l'adversaire. On réfléchit aussi bien en attaque qu'en défense, et pour les deux camps.
Le principe de base est de procéder à un découpage géométrique de l'espace. Le joueur passe au crible de son scanner analytique toutes les zones sensibles, et notamment l'aile-Dame, l'aile-Roi, le petit centre et le centre élargi, voire les 7e et 8e rangées.
Voici quelques-unes des questions clés à se poser :
Où sont placés les Rois et les Dames ?
Qui contrôle le centre ?
Y a-t-il une avance de développement ?
Qu'en est-il de la coordination des pièces dans les deux camps ?
Y a-t-il des faiblesses dans les structures de pions ?
Maîtriser le temps
Après cette évaluation à l'instant T, il reste à prendre la bonne décision. Des objectifs ont été définis jusqu'à un stade plus ou moins avancé, par exemple : défendre l'aile-Dame, puis chasser un Cavalier, avant de percer au centre !
Il faut les classer dans le bon ordre chronologique. On rentre dans le vif du sujet en répondant à cette question concrète : avec quel ordre de coups vais-je mettre en uvre ma stratégie ?
La réflexion s'effectue dans une perspective dynamique. C'est alors que s'opère la fameuse plongée dans les profondeurs de la position. Le moindre coup joué produit un nouveau schéma de position, à partir duquel une nouvelle réflexion doit s'engager :
1. Analyse de la variante principale et de ses sous-variantes.
2. Réfutation méthodique.
3. Prise de décision.
Un effet Papillon
Rappelez-vous que le joueur s'enfonce dans un dédale de coups possibles, dès lors qu'il pousse un pion. C'est l'effet papillon, avec son corollaire : l'effet horizon, synonyme d'aveuglement ! Et déjà, parce que le temps de réflexion n'est pas infini. Les secondes s'égrènent...
On doit pourtant envisager quel sera le schéma en place sur l'échiquier :
Après une suite de coups forcés (comme une série d'échanges) ;
Après toutes les ripostes naturelles ou non de l'adversaire (comme une rupture au centre après un sacrifice de pion).
C'est maintenant que la tactique peut rentrer en jeu : fixation d'une faiblesse, harcèlement d'une pièce isolée, contrôle d'une case stratégique, d'une colonne ouverte ou semi-ouverte, transposition en finale, voire attaque sur le Roi, etc.
Tels peuvent être ces objectifs à atteindre à court, moyen ou long terme. La finalité reste d'y voir clair un coup plus loin que son adversaire. C'est en cela qu'on reconnaît les grands stratèges.
Les Règles de Diamano
Les premiers principes de la stratégie moderne ont été définis il y a près de cinq siècles. Ces règles générales ont été codifiées par le Portugais Pedro Damiano, dans son fameux traité de théorie daté de 1512.
Voici ces « Règles de Damiano ». Servez-vous en comme d'une source d'inspiration. La plupart sont toujours d'actualité :
1. Ne jouez aucun coup sans but, à moins que la nécessité ne vous y force.
2. Ne péchez pas par négligence ou par aveuglement.
3. Ne jouez pas vite.
4. Si vous disposez d'un bon coup, regardez toujours s'il n'y en a pas un qui lui soit préférable.
5. Quand on a l'avantage, on doit faire des échanges, pourvu qu'on n'y perde pas cet avantage.
6. Si vous avez un avantage au moyen duquel vous puissiez gagner la partie, n'abandonnez pas l'attaque (ou n'abîmez pas votre position) pour gagner un pion.
7. Utilisez le saut du Roi (aujourd'hui le roque) pour le mettre en sûreté.
8. Les deux pions situés du côté où le Roi a été placé (par exemple g2 et h2) ne doivent être joués qu'en cas d'absolue nécessité.
9. Elargissez le front de vos pièces.
10. On doit ouvrir le jeu avec ses Pions, et se garder de tenir ses pièces enfermées.
Règle subsidiaire :
Damiano émit également ce jugement novateur, introduisant l'idée même de sacrifice de pion pour l'initiative dans l'ouverture :
"On doit faire tous ses efforts pour soutenir les pions du Roi et de la Dame à la 4e case (d4 et e4) et, si possible, les deux pions des Fous à leurs côtés (c4 et f4, soit les coups introduisant le Gambit Dame et le Gambit Roi)".