Isabelle (Sztrauch) Choko, championne de France 1956 n'est plus

Isabelle (Sztrauch) Choko

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Isabelle (Sztrauch) Choko, 18 septembre 1928 - 21 juillet 2023

En bref

Survivante du ghetto de Lodz, d'Auschwitz-Birkenau et de Bergen-Belsen. Championne de France d'échecs en 1956, Isabelle Choko s'éteint le 21 juillet 2023 à l'âge de 94 ans. Le Président de la République salue la mémoire d’une figure de l’engagement pour la mémoire, et le parcours d’une femme de passion et de transmission.

Article de Georges Bertola publié dans la revue Europe-Echecs N° 704 - Décembre 2019

Lors du dernier Paris Grand Chess Tour, un joueur parisien, Emmanuel Delhoume, nous proposa une rencontre avec Isabelle Choko. Je me rendis à Boulogne en compagnie du GM Bachar Kouatly. Un rendez-vous poignant et émouvant avec une Dame, cultivée, dynamique, espiègle et, malgré un passé très douloureux, confiante dans l’avenir. Ce fut une leçon de vie salutaire comme l’on en reçoit que trop rarement. Survivante de la Shoah Isabelle Choko connut une enfance heureuse à Lodz en Pologne, dans une famille aisée, choyée par ses parents. Mais, en septembre 1939, les Allemands envahissent la Pologne, c’est le début de la Seconde Guerre mondiale. « C’est à ce moment-là que ma vie bascule. Rien ne sera plus comme avant. Mon enfance se termine à cet instant. J’ai presque onze ans », confie-t-elle. Le 8 septembre, les Allemands entrent dans Lodz et instaurent un régime de terreur et de persécutions. Le 17 septembre, l’armée soviétique envahit la partie orientale de la Pologne et la Pologne cesse d’exister. Ce sont les conséquences d’un accord secret du pacte germano-soviétique signé le 23 août 1939. Depuis octobre 1939, Lodz fait partie du « Reichsgau Wartheland » annexé au IIIe Reich et la ville est rebaptisée Litzmannstadt. Le 8 février 1940 voit la création du ghetto de Lodz. Plus de 160 000 Juifs y sont enfermés, cantonnés dans le quartier le plus misérable et le plus délabré de la ville : « De cette manière, les familles et les juifs en général se sont trouvés séparés, souvent isolés, sans possibilités de communication. La machine infernale pour broyer les Juifs, les Tsiganes, les homosexuels, les francs-maçons et tous les résistants s’est mise en marche. »

Ghetto de Lodz

C’est dans le ghetto qu’Isabelle Sztrauch voit pour la première fois des pièces d’échecs. Une tante et un cousin jouaient aux échecs, mais elle ne se souvient plus si c’est à ce moment qu’elle a appris la marche des pièces : « Nous devions travailler du matin au soir. J’étais dans un atelier où je devais tisser de la paille. Comme vous le savez, la paille c’est coupant et je rentrais chaque soir avec les mains en sang. Nous avions faim tout le temps. Les nazis nous donnaient le minimum pour pouvoir travailler sans mourir. Nous avions 3 m2 par personne pour nous loger, pas de chauffage. C’était très compliqué et donc pas question d’apprendre le jeu d’échecs. Comment ai-je pu supporter tout cela, travailler dehors toute la journée pour un ersatz de café, un petit bout de pain avec un peu de margarine, le soir une soupe, plutôt de l’eau chaude ? Durant toute la guerre, je n’ai pensé qu’à mon enfance et à mes parents. Surtout pas à la situation présente car il n’y avait rien à réfléchir. »

Camp de concentration

En septembre 1942, les Allemands, aidés par la police du ghetto, vont de maison en maison, sélectionnant pour la déportation les enfants, les vieillards, les malades et les chômeurs. Malade, atteinte de la typhoïde, elle est cachée par ses parents. En décembre, son père décède suite aux privations et manque de médicaments. En 1944, après avoir tenté de se soustraire aux déportations en se cachant, Isabelle et sa mère se retrouvent au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Elle ne doit la vie qu’à un geste d’un détenu qui lui dit de rejoindre la file de gauche avec sa mère, celle des aptes au travail, plus exactement du côté de la vie. Elles intègrent le camp de travaux forcés de Waldeslust, près du camp de concentration de Bergen-Belsen en Allemagne. En février 1945, Isabelle contracte le typhus et en mars sa mère décède.

La jeune fille aux yeux bleus

Le 15 avril 1945, l’armée britannique parvient à libérer le camp de Bergen-Belsen. Isabelle est dans un état désespéré : « J’étais tellement méconnaissable, mon corps était comme tous les cadavres de Bergen-Belsen, on ne voyait que mes os. Je ne pouvais que bouger la tête, c’est tout. Je ne pouvais plus bouger mon corps. La tête résistait, je pouvais parler et bouger mes pupilles. C’est la raison pour laquelle mes enfants ont choisi le titre de mon livre : « La jeune fille aux yeux bleus ». Transférée dans un hôpital improvisé à côté du camp, elle est sauvée et, en juin, elle se rend en Suède pour renaître et recevoir des soins dans un hôpital de Norrköping. Elle apprend que son oncle de Paris est vivant et arrive en France en février 1946. « J’étais contente de tout après la guerre, tout me paraissait parfait. Il y avait une chose qui était positive, je n’avais plus peur de rien ! »

Nouvelle vie en France

Elle fait la connaissance d’Arthur Choko et se marie en décembre 1946. Elle donnera naissance à trois fils : « Lorsque je suis arrivée en France, mon petit-cousin jouait aux échecs. C’est à ce moment que j’ai bien appris le mouvement des pièces. Mon mari jouait aussi et, en 1954, nous sommes allés en vacances à Vittel. Les gens jouaient aux échecs devant les thermes et c’est là que j’ai vraiment commencé à jouer. Après quelques parties, un joueur m’a dit : « Savez-vous que vous êtes douée. Vous devriez vous inscrire dans un cercle ». J’habitais Saint-Maur-des-Fossés où il n’y avait qu’un seul club d’échecs, mais il y en avait un ! Cela me rappelle une petite histoire drôle. Il y a quelqu’un qui s’était rendu en Russie et, lorsque qu’il s’est retrouvé dans un village, il a demandé l’adresse du club d’échecs. On lui a répondu : lequel ? Je me suis rendu au club en compagnie de mon fils aîné et, à la maison, nous avons commencé à jouer régulièrement aux échecs. »

Chantal Chaudé de Silans

Puis Madame Choko s’inscrit au célèbre club parisien de Caïssa : « C’est à ce moment-là que j’ai connu Madame Chantal Chaudé de Silans, qui est devenue une amie. En 1957, à Emmen aux Pays-Bas, nous avons participé ensemble au premier championnat du monde par équipe féminin. Imaginezvous que le Général de Gaulle, que j’aimais beaucoup, m’a déçu car, quand on lui a demandé de l’argent pour pouvoir participer à ce championnat, il a répondu : pourquoi pas la pétanque ? Il a aussitôt diminué dans mon estime... Comment peut-on confondre la pétan que avec le jeu d’échecs !? Donc, nous n’avions pas d’argent et logions chez l’habitant. J’étais hébergée chez un médecin dont le nouveau-né pleurait la nuit. Pendant ce temps, les Américaines, les Allemandes, hôtel 1re classe, étaient accompagnées par des maîtres qui analysaient leurs parties ajournées pendant qu’elles dormaient. Vous vous rendez compte, la différence !? Nous avions quand même réussi à gagner la poule B. »

Tartakover et Baratz

Elle fait la connaissance du grand-maître, d’origine polonaise, Tartakover : « Je l’ai rencontré plusieurs fois et il ma dédicacé son livre Tartakover vous parle avec cette mention : « À la future championne de France. » Il l’avait prévu ! C’était un an avant que j’obtienne le titre. Il était formidable, c’était un homme drôle et charmant. J’ai connu aussi Rossolimo, mais il est parti pour les Etats-Unis. Il en avait marre de ne pas gagner un rond en jouant aux échecs pour la France. Mais j’ai surtout appris avec Abraham Baratz, plusieurs fois champion de Paris parce que, comme d’habitude, je n’ai pas fait les choses comme les autres. Je n’avais pas envie d’apprendre les ouvertures, ça m’ennuyait. Bien sûr, quelquefois j’avais de mauvaises surprises, mais j’apprenais les débuts en jouant, je n’aimais pas la théorie. Baratz connaissait ma façon de jouer et il m’a dit : ce n’est pas compliqué, tu t’arranges pour occuper le centre. Il faut être le maître du centre et après tu regardes comment tu peux faire pour coincer le Roi de ton adversaire ! »

Championne de France !

En 1956, à Vittel, elle devient championne de France : « Mon cher Arthur avait prévenu tout le monde que sa femme allait gagner le championnat de France féminin, il ne me restait plus qu’à m’exécuter. Quand j’ai terminé la dernière partie, juste avant la proclamation officielle de mon titre de championne de France, il s’est trouvé une personne dans l’assistance qui a exigé la vérification de mes papiers d’identité. En effet, seule une Française pouvait postuler pour le titre. J’étais très en colère et affirmais que s’il fallait examiner ma carte d’identité, cela aurait dû être fait avant et non pas au moment où je venais de remporter le titre. Mais cet incident n’a rien changé à la réalité des choses : j’avais la nationalité française et j’étais bel et bien championne de France d’échecs en 1956. »

Amie des artistes

Madame Choko a poursuivi et exploré plusieurs domaines avant de s’occuper des artistes et plus précisément des peintres en organisant de nombreuses expositions : « J’ai fait beaucoup de choses puisque je n’avais aucun métier ! » À la question : vous êtes donc devenue peintre ? « Non, les vrais artistes, les peintres, c’est leur vie. Ils ne peuvent pas faire autre chose à côté. (cela semble se vérifier aussi chez les grands joueurs d’échecs). J’ai choisi la famille, j’avais besoin de reconstruire une famille, mais, dès que j’ai pu, j’ai aidé les artistes en organisant des expositions, des ventes, pour leur permettre de vivre et moi aussi. »

Décès d'Isabelle Choko — Publié le 22 juillet 2023

Elle était selon le titre de son autobiographie, « celle qui avait tenu la mort en échec ». Isabelle Choko, présidente de l’Union des déportés de France, qui fut internée des camps de concentration pendant la guerre, et devint championne d’échecs à ses lendemains, s’est éteinte hier à l’âge de 94 ans.

Née Izabela Sztrauch à Łódź en Pologne, en 1928, son enfance fut bouleversée par l’irruption de la barbarie nazie lorsqu’en 1939 ses parents, pharmaciens juifs, furent privés de leur officine. Puis ce fut le ghetto, sa promiscuité et ses privations, dont son père ne réchappa pas. Au crépuscule de la guerre, alors âgée de 15 ans, elle fut déportée à Auschwitz, puis à Waldeslust et Bergen-Belsen, où sa mère mourut du typhus dans ses bras, quelques jours avant sa libération par les troupes britanniques.

Les conséquences du travail forcé, du froid, des coups, manquèrent d’emporter la jeune Izabela, qui après plusieurs mois de convalescence en Suède, rejoignit un oncle établi en France. Celle qui déjoua de si nombreuses fois la mort y reconstruisit sa vie. Alors qu’elle n’avait pour seul bagage que quelques notions de français, elle s’inscrivit à l’Alliance Française et, à force de détermination, passa avec succès son baccalauréat. Elle fit la rencontre d’un jeune homme, Arthur Choko, lui-même d’origine polonaise, qu’elle épousa, et donna naissance à ses trois garçons, Marc-Henri, Stanislas et Nicolas. 

De fil en aiguille, d’une partie l’autre au détour de vacances en famille, se dévoila un talent hors-norme pour les échecs, dont elle avait appris les règles dans le ghetto. De simple loisir, le jeu se mua rapidement en passion, et à la pratique en club succéda rapidement les premières compétitions. En 1956, elle brilla lors du championnat de France de Vittel, qu’elle remporta haut la main, avant de représenter, l’année suivante, son pays d’adoption au premier championnat du monde par équipe féminine aux Pays-Bas.

Ce furent ensuite l’oubli de la Shoah, le négationnisme, la falsification et la résurgence de la haine, qu’Isabelle Choko prit pour adversaire. En 1994, elle concourut à l’établissement d’un monument en souvenir des déportés de Bergen-Belsen au cimetière parisien du Père-Lachaise. En 2005, elle publia « Mes deux vies », son autobiographie, puis « La jeune fille aux yeux bleus » (2014), quelques années plus tard. Son dernier ouvrage, « La mort en échec », également autobiographique fut comme un ultime manifeste, publié il y a quelques mois à peine, en janvier dernier. Avec un engagement constant auprès des collégiens et lycéens, elle continua de témoigner que perdure la mémoire. Isabelle Choko était devenue, en 2022, présidente de l’Union des déportés de France.

Le Président de la République salue la mémoire d’une figure de l’engagement pour la mémoire, et le parcours d’une femme de passion et de transmission. Il adresse à sa famille et à ses proches ses condoléances attristées.

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