En bref
Bonjour Laurent. Tu es l’un des organisateurs du prochain championnat de France des Jeunes qui aura lieu à Saint-Paul-Trois-Châteaux en avril-mai prochain. Peux-tu nous donner une idée de l’avancement de l’organisation ?
Philippe Freulon et moi-même avons été à l’initiative du projet il y a plus d’un an et demi, avec un soutien indéfectible du maire Jean-Michel CATELINOIS.
Mais c’est surtout une formidable équipe de bénévoles qui s’est rassemblée autour de cette organisation.
Outre une dizaine de parents dévoués, une équipe de 25 jeunes de 16 à 20 ans, issus des associations de la ville, sera présente pour informer, accompagner, servir les joueurs et leurs accompagnants pendant 8 jours.
Depuis le début, grâce au soutien de la ville qui vivra au rythme des Echecs durant toute la durée du championnat, nous avons souhaité faire de cet évènement un souvenir inoubliable pour les joueurs, les arbitres, les entraîneurs, mais aussi leurs proches. Nous avons donc prévu de nombreuses animations, diverses facilités d’organisation et des espaces permettant à tous d’exercer leur fonction idéalement.
Je ne peux rien dévoiler, mais nous espérons que tous seront agréablement surpris, et que les conditions idéales seront réunies pour tous les joueurs, notamment ceux qui constitueront notre élite, l’équipe de France espoir, qui est le centre de la campagne en ce moment !
Justement, l’équipe sortante conteste que les résultats des équipes de France espoirs soient en baisse. Qu’en penses-tu ?
Je peux comprendre que certains membres de cette équipe, et en tout premier lieu Jean-Baptiste MULLON, se soient sentis mis en cause par le constat qui a été fait sur notre site de campagne. Il est bien évident qu’il n’y a aucune attaque personnelle. Mais force est de constater que le tableau des médailles présenté par Jean-Baptiste lui-même confirme la lente décrue amorcée par les résultats ces dernières années. Malheureusement ! Et j’imagine que personne ne se satisfait de ce constat.
Il y a cependant deux façons de réagir à ce bilan. Celle du chef de délégation est de persévérer dans la voie actuelle, en misant sur le fait que les résultats s’amélioreront d’eux-mêmes ou qu’ils s’expliquent par « des injustices » quand il parle de Bilel Bellahcène, par exemple.
Et il y a celle que je soutiens, qui consiste à repérer les points négatifs pour tenter de les corriger.
Les entraîneurs sont-ils responsables de cette décrue ?
Là encore, personne n’est pointé du doigt puisqu’il s’agit d’un travail d’équipe. Je compte même pas mal d’amis au sein du groupe d’entraîneurs qui compose cette équipe. Pour avoir moi-même encadré les jeunes Français aux championnats du monde 2010, je sais à quel point leur mission est difficile.
C’est plutôt le cadre mis en place qui est en cause. Car que fait la Fédération pour leur faciliter la tâche ?
- Un point de détail, par exemple : Le rendez-vous de départ de l’équipe est systématiquement à Paris. Pourquoi ne pas organiser un départ groupé pour les jeunes et les entraîneurs qui habitent la même région ? Tout le monde comprend que se déplacer de 400 km vers l’ouest pour finalement aller à l’est est une perte de temps et d’énergie. Au final, cela coûte aussi très cher à la Fédération.Un autre point, sans doute moins anecdotique : Pourquoi la Fédération n’organise-t-elle pas des stages de coordination permettant aux entraîneurs de mettre en commun leurs observations et leurs expériences ?
Actuellement, ils ne parlent de leurs impressions qu’autour d’un verre ou dans l’avion. Mieux vaudrait, sans doute, proposer un cadre pour systématiser ces échanges. Les jeunes ne sont pas toujours suivis par la même personne au fil des championnats. Partager sur ces questions techniques et pédagogiques permettrait de mieux cerner ce qui doit être amélioré pour le groupe comme pour chacun des joueurs.
Mais alors, qui est responsable ? Qui décide aujourd’hui de la politique « jeunes » de la Fédération ? Et demain, si notre liste est choisie, comment seront prises les décisions ?
Jean-Baptiste a répondu aux articles publiés sur notre site de campagne. J’apprécie de pouvoir analyser sa vision des choses. Cela nous permet en toutes choses d’affiner notre jugement. Mais il se dit lui-même « conseil » de la Fédération.
Alors, qui sont les décideurs de la politique actuelle ? Quels sont les membres des commissions ? Où peut-on trouver une trace écrite définissant les objectifs et les moyens ?
Bien que je sache la quantité de travail abattu au quotidien par Jordi Lopez, je suis toujours étonné qu’il soit en mesure de sélectionner des jeunes dont il ne peut parfois rien consulter d’autre que la courbe élo et quelques résultats.
Pourquoi ne pas lui donner les moyens de choisir efficacement, en ayant par exemple des contacts dans les Ligues, en lui permettant de faire présenter ses idées à d’autres jugements, afin de les améliorer ?
A mon sens, il faut qu’un groupe de personnes compétentes soient saisies du sujet, qu’elles puissent consulter l’avis des différents acteurs et surtout que les décisions soient collectives !
Cela permettrait également de supprimer, ou du moins atténuer, les ressentiments des enfants et des parents qui se sentent lésés par les décisions : lorsque celles-ci sont collégiales, elles sont plus compréhensibles et donc mieux acceptées.
Cette saison, un stage a été organisé pour les équipes de France Jeunes. Jean-Baptiste Mullon propose la participation de plus de jeunes dans les petites catégories. Est-ce une avancée ?
Si ce stage était évidemment une bonne idée, il est aussi un aveu implicite d’échec. Il n’y en avait pas les années précédentes. Pourquoi avaient-ils été supprimés alors qu’ils étaient régulièrement organisés dans le passé ?
On peut s’interroger également sur la programmation de ce stage. Etait-il judicieux qu’il se termine la veille du départ pour le championnat d’Europe ?
Enfin, une dernière question sur ce sujet : combien de fédérations ambitieuses n’ont organisé qu’un seul stage de haut niveau en plusieurs saisons pour leurs espoirs internationaux ?
En ce qui concerne la proposition de Jean-Baptiste d’ouvrir la participation aux championnats à des « autorisés », c’est là encore un retour en arrière. Lorsque je jouais les championnats de France, il était permis à certains joueurs – dans mon souvenir jusqu’au 3ème – de participer à leurs frais aux championnats du monde.
J’y vois aussi un contresens avec ce qu’écrit Jean-Baptiste par ailleurs. Selon lui, il n’est pas bon d’ouvrir la sélection à un trop grand nombre, et l’équipe doit rester « une élite ».
Enfin, Jean-Baptiste déclare que sa proposition n’a été « tranchée » qu’il y a quelques jours. Puisqu’il est « conseil », cette proposition a-t-elle été faite aux deux équipes candidates ?
L’équipe sortante trouve le PEI irréaliste. Est-il légitime d’être si ambitieux ?
Je ne comprends pas pourquoi l’ambition serait risible, comme le suggèrent les dernières lignes de la lettre de Jean-Baptiste.
Le rôle de la Fédération n’est-il pas d’être à l’écoute des propositions ? Celles qui ont été faites sont-elles réellement toutes si mauvaises ?
Je rêve parfois que les deux équipes ne sombrent pas dans une vision uniquement politicienne des débats, qu’elles ne soient pas systématiquement en contradiction avec les idées « adverses » alors qu’elles les auraient soutenues si elles avaient été émises par leur propre « camp ». N’oublions pas que toutes les personnes qui sont sur une liste ou une autre ont un point commun : ils souhaitent développer le Jeu d’Echecs !
Restons objectifs. Je veux rappeler qu’il existe toujours un échelonnage possible dans les objectifs, à court, moyen et long termes. Pour les propositions du « PEI », puisqu’il s’agit bien de propositions, je suis allé « fouiller » les sites des Fédérations Françaises d’autres sports. Surtout celles qui connaissent ou ont connu une grande réussite ces dernières années (natation, judo, escrime…).
A chaque fois, détection, formation et ambition sont au programme !
Pourquoi ne pas reproduire, en les adaptant bien-entendu, les modèles qui ont fait leurs preuves ?
Les moyens sont une chose, la volonté une autre.
J’admets, par exemple, que la « création d’une « Ecole Française d’Echecs » est très ambitieuse. Oui ! Mais lorsqu’il s’agit de définir les horizons à long terme - c’est-à-dire « dans 8 ans » – ne faut-il pas se fixer des objectifs suffisamment élevés ?
Pourquoi ne pas tendre vers le dépassement ?
Essayons d’abord ! En cas d’échec, il sera temps de déclarer qu’il s’agissait d’une vision irréaliste. Car qui peut dire ce qui est possible ou pas ?
Que l’on soit séduit ou non par l’idée, force est de constater que Léo Battesti a réalisé en Corse ce qu’il avait annoncé il y a quelques années : faire que chaque enfant sur l’île joue aux Echecs.
Mais je lui pose maintenant ces questions, et je pense qu’il saura s’interroger objectivement :- « Au début », combien sont ceux qui l’ont qualifié d’irréaliste ?
- Combien sont les personnes qui ont cru en son projet ?
- Quels sont ceux, parmi ses proches, qui présentent aujourd’hui l’ambition et les propositions concrètes pour voir plus loin dans le domaine des jeunes ?
- N’est-il pas choquant que des propositions ambitieuses pour les jeunes soient qualifiées d’irréalistes ?
Et si nos propositions sont irréalistes, qu’on nous dise alors quel objectif à long terme semble le plus adéquat !
J’ai la faiblesse d’aimer que, lorsque l’on se dit responsable d’une nation sportive, on se montre ambitieux et conduit par un esprit de développement fort.
Peu importe quelle équipe dirigeante orientera demain les destinées des jeunes joueurs d’Echecs, pourvu qu’elle soit à la hauteur de leurs attentes et leurs besoins. Un fort soutien technique et moral doit les pousser à se surpasser plutôt qu’à se maintenir à un niveau « correct mais sans plus ». Il ne faut pas se contenter de « petites touches » dont le but serait d’améliorer lentement la situation actuelle. Définir un cap, en équipe, permettrait à nos jeunes d’exprimer pleinement leur potentiel.
Car si rien ne bouge, pourquoi se battre ?
Pour toutes les fédérations que j’ai évoquées, parce qu’elles sont devenues les meilleures mondiales dans leur domaines à force de décisions marquées, des politiques globales claires et ambitieuses sur le plan international ont été mises en place.
Des stages nombreux ont permis de détecter des talents inconnus ou issus de régions peu propices au développement. Une formation continue a été mise en place. Les entraîneurs ou coachs ont consulté les spécialistes de leur domaine… N’y a-t-il pas moyen de chercher à les imiter ?
Mais les financements d’un tel programme ne sont pas assurés aujourd’hui. Est-ce seulement un rêve ou une promesse de campagne qui n’engage à rien ?
Les 2 candidats affirment qu’ils ont les carnets d’adresses nécessaires pour amener de nouvelles ressources. Je ne suis pas compétent pour trouver de l’argent. Je ne peux donc pas exprimer un point de vue crédible sur ce sujet. Mais j’ose espérer que les nouvelles sources de financement serviront, aussi, au développement du secteur jeune.
Jean-Baptiste a calculé que nos propositions multiplieraient par 100 le budget actuel… Il convient cependant de rappeler que ces propositions n’ont pas besoin d’être appliquées en même temps, ni de l’être toutes. C’est le principe même des propositions. On en discute, on les applique ou on les laisse. Mais toutes doivent être structurées d’une façon cohérente. D’où l’intérêt de se fixer des objectifs à court, moyen et long terme.
Puis, c’est aux « décideurs », dans l’idéal les membres d’une commission de spécialistes, de constater si ces propositions sont réalisables ou non. A mon sens, cela dépend de la volonté autant que des moyens. En effet, certains points ne coûtent rien ou presque. Par exemple :
- Des « relais / détecteurs » départementaux ou régionaux pourraient dès aujourd’hui être mis en place. Je suis directeur des jeunes pour le Vaucluse et donc en mesure de dire quels jeunes sont prometteurs, travailleurs, motivés. Pour ceux que je connais un peu moins bien, je peux m’appuyer sur le réseau local des formateurs que je connais parfaitement. Les stages nationaux de détection d’espoirs pourraient s’appuyer efficacement sur ce type de relais.
- Certaines ligues ont déjà mis en place des équipes espoirs. Des entraineurs sont déjà en activité pendant les championnats de France pour les ligues et les plus gros clubs. Pourquoi ne pas inciter les autres ligues à organiser des stages en inscrivant des dates dédiées sur le calendrier fédéral ?
La commission des jeunes serait sûrement une force d’innovation pour ce secteur. A titre personnel, as-tu d’autres idées que tu souhaiterais proposer à une telle instance ?
Je dirais qu’il existe presque autant de propositions possibles que de combinaisons sur un échiquier !
Et puisqu’il m’est donné d’en mettre quelques-unes en avant, voici quelques idées, en vrac :
- Nos grands champions, qui ont souvent été de brillants compétiteurs dans les catégories jeunes, pourraient venir partager leurs souvenirs et leur expérience, donner de la motivation supplémentaire… J’appelle cela« lien inter-générationnel » entre séniors de haut niveau et jeunes en devenir. La forme reste à définir.
- L’organisation des stages pourrait tenir compte de l’appartenance géographique des membres de l’équipe de France. Cela éviterait que certains jeunes traversent la France avec des frais énormes pour seulement 2 jours.
- La Fédération devrait inciter, favoriser, organiser le contact entre les entraîneurs fédéraux et leurs futurs élèves avant les compétitions. Elle devrait aussi organiser les contacts avec les entraîneurs clubs ou individuels. C’est ce que j’avais fait à titre personnel avec l’entraîneur d’un jeune qui m’avait été confié pour le mondial 2010. Au final, 2 jours avant le championnat, la Fédération m’avait retiré ce joueur, pour satisfaire à la demande d’un autre jeune qui n’était lui-même pas satisfait du choix qui lui avait été imposé ! Il ne l’a pas plus été après, selon mon souvenir.
- Une charte de l’équipe de France devrait être mise en place et signée par chacun des joueurs. Je pense qu’un engagement écrit des participants est nécessaire. Le haut niveau implique une hygiène de vie, le respect des horaires, le sens du groupe. Cette charte comprendrait un règlement clair et des sanctions concrètes en cas de non respect. Il va de soi que ça n’est pas la proposition la plus ambitieuse, la plus coûteuse, ni la plus difficile à mettre en place. Peut-être sera-t-elle la première adoptée par la prochaine équipe dirigeante ?
D’autres membres de cette future commission des jeunes auront sans doute autant d’idées que moi. Je m’en réjouis d’avance. Le partage des expériences et des idées devrait apporter beaucoup de force à l’édifice, une force qui manque aujourd’hui.
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