Interview : Boris Gelfand, le magicien !

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En bref

Le Super GMI Boris Gelfand (2727), n°10 mondial, défend les couleurs de l'équipe d'Israël aux Olympiades.
Sacré champion du Monde Junior en 1988, ce gentleman de l'échiquier fêtera ses 38 ans, le 24 juin. A Turin, il vise le podium et la médaille d'or au 1er échiquier.

Ci-dessus, Boris Gelfand, en 2002, recevant le Cavalier de cristal offert au vainqueur des Rencontres du Cap d'Agde, des mains de Pascal Lazarre, le créateur du tournoi.

Qu'on ne s'y trompe pas, ses postures d'artiste "torturé" ne sont que la caractéristique de son exigence. Confronté à la dimension souveraine de l'échiquier, à l'instar de Shirov, ce Super GMI ne triche pas. Son style est naturellement profond. Il est fondé sur la quête de l'harmonie objective de la position. Avec ses subtilités tactiques, il est également très attractif.

Boris Gelfand avait crevé l'écran lors des 5e Rencontres CCAS du Cap d'Agde, en 2002. Son prénom avait été scandé lors de chacune de ses apparitions dans l'arène de la salle Molière ! Ce vibrant témoignage d'affection d'un public survolté avait ouvert une voie nouvelle : celle des Echecs-spectacle, qui voit les supporters soutenir bruyamment leurs champions, comme au Football.

Quatre ans plus tard, Boris "le magicien" est toujours aussi populaire. Ce gentleman n'a jamais renié ses convictions. Son amour du jeu est sans limite. Il incarne l'esprit de la nouvelle charte graphique du site Echecs.com, qui a été conçue pour vous donner du plaisir et enrichir votre passion.

L'Interview : Boris Gelfand - Vaincre est un plaisir !

Cher Boris, comment allez-vous ?

Je vais bien, merci.

Avant de vous engager aux Olympiades, vous êtes resté invaincu au 1er échiquier dans le 13e championnat de Russie par équipes ! Comment analysez-vous ce résultat ?

Mon résultat à Sochi était bon, mais un score de +2 n'est pas extraordinaire (=8). J ai remporté deux parties intéressantes, ce qui est appréciable, bien sûr (contre Sutovsky avec les Blancs sur un Giuoco Piano, et Grischuk avec les Noirs sur une Défense Petrov). Mais je suis déçu que mon équipe de Termosteps n'ait pas réussi à remporter de médaille. Nous avons fini quatrièmes. J'espère que nous ferons mieux lors de la prochaine Coupe d'Europe des clubs, cet automne.

Vous avez retrouvé votre meilleur niveau et votre Elo actuel (à 2727) est le meilleur classement de votre carrière. Comment expliquez-vous ces excellents résultats depuis deux ans ?

Je ne sais pas... J'ai continué à travailler avec mon secondant Alexander Huzman (le GMI israélien, 44 ans, classé à 2576), comme je le faisais auparavant. Justement, c'est peut-être cette constance dans la préparation qui est la meilleure explication.

Avez-vous néanmoins changé quelque chose de spécial dans votre entraînement ?

Il n'y a pas eu de changements fondamentaux. Nous avons continué principalement à chercher des idées nouvelles dans l'ouverture. Nous avons également étudié toutes les parties qui avaient mal tourné, afin de ne pas répéter les erreurs que nous avions commises précédemment.

Sur l'évolution de la théorie

Quelles différences les plus notables avez-vous pu constater dans le jeu, depuis le changement de siècle, et notamment au niveau des ouvertures et de la préparation ?

Les programmes d'échecs sont devenus plus puissants. C'est la raison pour laquelle la préparation des ouvertures a changé radicalement. Les variantes les plus pointues sont analysées avec l'aide des ordinateurs. Les jeunes joueurs progressent très vite.

En conséquence, vous devez travailler durement - et en permanence - et miser sur vos propres atouts, sur votre expérience et votre compréhension de la stratégie, si vous voulez rester au-dessus du lot.

A ce sujet, quelle est votre opinion sur la variante Zjvaginsev avec 2.♘a3 face à la Sicilienne ?

L'idée de Zvjaginsev est définitivement jouable. Je ne pense pas que les Blancs combattent pour obtenir un avantage dans l'ouverture, mais on ne peut pas la réfuter, et elle conduit à un jeu complexe. C'est incroyable de trouver une nouvelle conception dès le 2e coup !

Je pense toutefois que le Dr. Tarrasch avait raison lorsqu'il se montrait sceptique vis-à-vis du positionnement d'un Cavalier à la bande [Boris Gelfand fait allusion à Siegbert Tarrasch (1862-1934), surnommé le « praeceptor germaniae » pour son dogmatisme s'inscrivant dans la lignée des idées de l'Ecole moderne, prônées par Steinitz].

Et que pensez-vous du système original joué par Kozul, le nouveau champion d'Europe, dans la variante Richter-Rauzer ?

Le système Kozul dans la Richter-Rauzer aboutit à une partie très compliquée sur le plan stratégique. A ce jour, des centaines de parties ont été jouées sur ce thème, mais le verdict final de la théorie est encore loin d'être tombé.

Au-delà, croyez-vous que l'on puisse encore trouver de nouveaux grands systèmes, comme ce fut le cas avec la Révolution Hypermoderne, dans les années 1920 ?

Vadim Zviagintsev est un exemple. Alexander Morozevich et d'autres montrent également que c'est toujours possible. Pour ma part, je crois que c'est aussi une très bonne chose de faire revivre des systèmes oubliés.

Sur les Olympiades

Selon votre expérience, est-il plus agréable de jouer en équipe ou en tournoi individuel ?

J'aime les deux. Evidemment, lorsque vous vous engagez seul dans un événement majeur, sous les regards de centaines de spectateurs, c'est une sensation très spéciale. J'apprécie également les tournois par équipes. Il y a un esprit spécifique aux Olympiades, car vous pouvez y rencontrer de nombreuses personnes que vous ne voyez jamais le reste du temps.

A ce niveau, quelles sont les qualités nécessaires pour être un bon coéquipier ?

Je crois que vous devez déjà aborder toutes les parties de manière très professionnelle. Pour moi, il est également important qu'une bonne ambiance règne dans l'équipe, ce qui est le cas avec Israël. L'état d'esprit est excellent, et c'est la même chose dans tous les clubs pour lesquels je joue.

Sur l'élection FIDE

Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs les raisons pour lesquelles vous considérez Bessel Kok comme le candidat idéal ?

Je pense que Bessel Kok dispose de plusieurs qualités essentielles. C'est un homme d'affaires brillant. Il a une vision. Il aime sincèrement les échecs et il respecte les joueurs. Le fait qu'il ait déjà remporté un succès dans le passé avec la GMA est un autre point important [GrandMasters Association, initiée en décembre 1986 pour remplacer le Conseil des Joueurs (Player's Council) auprès de la FIDE].

Selon vous, quels sont les problèmes majeurs auxquels a été confrontée la FIDE depuis quatre ans ?

Tout est devenu problématique pour la FIDE depuis 2002 jusqu'en 2005 ! Ils ont annulé quatre (!) matchs que devait jouer Kasparov, poussant celui-ci à la retraite. Le seul événement d'envergure a eu lieu à Tripoli, où les joueurs israéliens n'ont pas pu s'engager [le Championnat du Monde 2004 disputé en Libye]. Cet événement a été boycotté par près d'une trentaine des meilleurs joueurs mondiaux. Il a terni l'image des échecs, en la faisant tomber à son plus bas niveau.

Kirsan Iliumzhinov avait été un mécène généreux entre 1996 et 2001, mais son équipe n'a pas réussi à mettre en oeuvre un quelconque programme marketing, pas plus qu'un calendrier stable.

Il n'y a pas de communication vis-à-vis des joueurs, comme vis-à-vis des Fédérations. Ils ont mis l'accent sur leur cadence absurde (avec incrément), alors que près de 70% des professionnels y sont opposés.

Il est vrai, cependant, que durant cette année préélectorale, ils ont bien fait les choses. Le championnat du Monde de San-Luis, la Coupe du Monde de Khanty-Mansiysk, et le futur match Topalov-Kramnik, sont à mettre à leur crédit. Toutefois, aucune information n'a filtré quant à l'organisation des matchs des Candidats en octobre.

Si je m'en tiens à mon cas personnel, et c'est pareil pour tous les Candidats, cela me pose des problèmes pour organiser mon calendrier de l'automne prochain. Mais comme d'habitude, les dirigeants de la FIDE n'assument pas leur responsabilité, pas plus qu'ils ne communiquent sur ce sujet.

A partir d'un certain âge, soit environ la quarantaine, rares sont les professionnels qui peuvent continuer à vivre de la compétition. Selon vous, que devrait faire la FIDE (ou une autre organisation) pour aider les joueurs après leur retraite sportive ?

Je pense que l'introduction [massive] des échecs à l'école et les programmes d'enseignements sur Internet [comme sur le nouvel echecs.com] peuvent créer des emplois pour de nombreux professionnels retraités ou en semi-retraite. Cette idée est également mentionnée dans le programme de Bessel Kok. Malheureusement, je n'ai rien vu du côté de l'actuelle administration de la FIDE, et je doute qu'un programme de cette nature existe.

Sur les Jeunes

D'après vous, que peut apporter la pratique des échecs aux Jeunes, pour leur éducation et dans la vie ?

Il a été prouvé que la pratique des échecs, normalement, permet aux enfants d'être plus performants dans leurs études. J'ai également pu constater qu'un grand nombre de personnes ayant joué dans leur jeunesse ont remarquablement réussi leur vie professionnelle, dans le domaine des sciences ou celui des affaires, etc. Ceux de ces jeunes qui allient passion et talent peuvent bien sûr essayer de devenir des joueurs titrés.

Mais chacun peut prendre du plaisir à jouer et développer ses capacités de concentration, à penser logiquement, à être patient, ou encore à surmonter ses défaites !

En quelques mots, comment dépeindriez-vous votre style à nos jeunes lecteurs ?

Un seul mot suffit : universel. Comme cela, il fonctionne pour être aussi bon dans tous les types de positions.

Jouerez-vous bientôt en France ?

Je l'espère, et je l'attends avec impatience. J'ai gagné un certain nombre d'événements majeurs en France (comme les Rencontres du Cap d'Agde 1994 et 2002, et le NAO Masters de Cannes également en 2002). J'accepterai volontiers une invitation pour toute sorte de tournoi intéressant.

En conclusion, avez-vous un message spécial à adresser à nos lecteurs ?

Je souhaite à tous les lecteurs d'Europe Echecs et d'Echecs.com de prendre du plaisir à jouer, ainsi qu'à regarder des parties et à les analyser !

Merci, Boris, et à bientôt en France !

Propos recueillis le 15 mai 2006