En bref
Ce professeur de philosophie qui ne définissait pas le mot « retraite » restera dans l’histoire échiquéenne comme un des tout meilleurs joueurs Français des années 60 et peut-être le meilleur stratège échiquéen non professionnel que Bordeaux aie jamais connu.
Très modeste et lucide, Michel se racontait ainsi en 2001 dans une lettre (de réclamation) adressée à F.Arrabal, auteur de « Echecs et Mythes » :
« Mon palmarès échiquéen est celui d’un amateur. Cependant j’ai 69 ans et je suis champion de Bordeaux 2001. Après mon service militaire, j’ai fait, avec de bons résultats, le tournoi d’Eastbourne gagné par O’Kelly. Puis à Paris en 1963, j’ai été cinquième en national. J’ai failli avoir le titre. J’ai été deuxième à l’Open de Monaco en 1968. Et premier à un Open du Championnat de France en 1970 (je crois).
J’ai particulièrement le souvenir d’une partie au championnat de France à Pau en 1969 contre St. Bonnet, citée par Alexander dans son ouvrage « Initiation au Jeu d’Echecs », chez Payot, p.54 : un sacrifice de Dame qui met la Dame trois fois en prise. »
Ironie des choses, c’est en laissant (involontairement) une dame en prise contre B. Huguet qui en avait proposé l’échange qu’il manqua de gagner un National. Et de s’écrier : « cela ne serait pas arrivé à Cormier ! ».
Précisément, le quatuor Cormier / Sanner / Caminade / Brunetiere donna à Bordeaux (club de l’Echiquier d’Aquitaine) son unique Coupe de France le 14 juin 1964 face au Strasbourg de Michel Roos et J-Cl. Letzelter dans les locaux de Caïssa au temps de Mme. Le Bey-Taillis [voir Europe-Echecs n° 66 et Zwangzug n°31, p.945 à 949 (article de Michel Daumens)]. Strasbourg prit sa revanche sur l’Echiquier d’Aquitaine une génération plus tard, en 1990.
En cette année 1964 s’était tenu à Bordeaux un grand tournoi international relevé (relaté par Europe-Echecs) à l’issue duquel la Grande Dame des Echecs Mme. Chaudé aurait fait remarquer avec amusement que Michel, qui l’admirait pourtant, ne lui avait même pas laissé l’avant dernière place !
Michel Sanner, que je n’ai découvert qu’en 1977, a beaucoup servi par la suite, notamment en Nationale 1, le club de l’ASPOM Bordeaux dans une dynamique de bonne camaraderie jamais démentie. Ses performances étaient régulièrement relatées dans la revue bimestrielle locale ZWANGZUG (1982-1997) patronnée par Philippe Collet, autre grand disparu Bordelais (février 2010), ou dans le Bulletin du club tenu par Alain Sallette.
Son style élégant fortement positionnel mais non dénué de coup de patte tactique était celui de son modèle Petrossian : il menaçait de menacer tout en menaçant. Bref, il jouait aux Echecs. {Ce qu’il aurait fait jusqu’au bout si sa pudeur ne l’avait dissuadé d’offrir publiquement le spectacle d’une maladie injuste (Parkinson) supportée dix ans.}
Intellectuel, il avait évoqué la psychologie des Echecs dans des ouvrages spécialisés et donc peu connus :
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« Modèles en conflit et stratégies cognitives. Esquisse d’une psychologie de la Raison », Ed. Boeck Universités (Belgique), dans lequel il exprime notamment la nécessité d’une bonne compréhension de la notion de stratégie dans le jeu d’Echecs comme dans l’éducation.
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« Du concept au fantasme » (1983) chez PUF, qui est centré sur la notion d’obstacle épistémologique : il y en a aux Echecs.
Ces productions alimentent le souvenir d’un penseur pointilleux, appliqué et impliqué, à la recherche de la juste distance vis-à-vis d’un jeu passionnant mais parfois ingrat.
En dépit de ma légitimité limitée (aucune amitié avouée ne nous lia), je terminerai sur une touche personnelle facétieuse. Nous ne jouâmes qu’une fois ensemble, en 1977. Il avait 45 ans, moi-même pas 17. Une bonne partie plutôt tactique (oui) où chacun a eu sa chance (publiée dans Caïssa et Circe, bulletin de J-M Matisson). A la fin, j’annonçai le résultat au Président Mandouze, intéressé : « je n’ai fait que Nulle ! ». Réaction attendue de Michel : « Mais ils sont ambitieux, ces jeunes ! ». Histoire de recadrer gentiment.
Proposons aux lecteurs entre autres deux parties souvenirs (contre Richard Lichtenberg de Périgueux et Damien Laporte de Bordeaux : rappelons qu’en 2003 Sanner avait 71 ans) qui figurent normalement sur Internet, caractéristiques du style et de la force d’un joueur auquel le milieu des Echecs peut se référer et dont le souvenir ne peut s’effacer d’une mémoire reconnaissante pour toujours.
Bernard CALAS