En bref
Guy Mazens sera donc parti le premier. Pour ceux qui nous connaissaient, ils devineront que le choc a été terrible. Il était devenu plus que mon frère. Nous partagions les mêmes idées sur tout, nous aimions les mêmes choses, sa culture était sans limite. Je ne connais rien de sa jeunesse, sauf qu'elle avait été difficile et que nous avions souffert dans notre enfance tous deux de la pauvreté, de la guerre, mais lui, avait réussi ses études et terminé comme directeur d'école.
Je sais aussi qu'il avait participé à la guerre d'Algérie mais n'en parlait jamais. Il avait beaucoup voyagé et avait été un moment professeur de français à Pékin. Pour moi, il avait tout vu, tout connu, tout compris. Il aimait les animaux, la musique, la littérature, domaine où je suis nul n'ayant jamais eu de maître à penser, ayant abandonné mes études dès que la loi le permettait.
Cinéphile très averti, il avait tout vu, rien ne lui avait échappé.
On l'aurait facilement pris pour un misanthrope alors qu'il était grand altruiste.
Joueur d'échecs aussi, et c'est dans ce domaine que nous nous étions rencontrés. Déjà à Monaco, mais c'est dans l'organisation des Olympiades de Nice en 1974 , notre guerre de 14, que nous avions véritablement fait connaissance. Son autorité et son efficacité avaient fait merveille.
Une simple anecdote: l'équipe soviétique, alors première en tout, avait protesté en se voyant octroyer le même nombre de chambres que les autres équipes logées au Frantel. Ils menaçaient de rentrer à Moscou, ou, pour être plus précis, leur commissaire politique M. Batourinsky, ancien procureur militaire dont il avait les manières et la tête et, si j'en avais eu les moyens, j'aurais payé de ma poche tout ce qu'il demandait.
Guy était arrivé sur ces entrefaites, avait compris instantanément la situation et avait dit à Batourinsky: « Un minibus va vous reconduire à l'aéroport et vous pourrez rentrer. » Batourinsky s'était écrasé, les Soviétiques étaient restés et avaient gagné l'Olympiade.
Je sais qu'il s'était occupé de nombreuses autres questions, d'hébergement entre autres, et qu'il avait retrouvé le jeu ancien égaré par l'équipe de Mongolie extérieure, et ceux-ci lui en avaient été éternellement reconnaissants.
Il avait été aussi Vice-Président de la FFE dont notre ami commun Raoul Bertolo, parti bon premier, fondateur de la revue EUROPE ECHECS, avait été le Président dans une période très critique.
Un frère doit aider son frère, mais pourquoi l'un des deux est-il toujours plus frère que l'autre ?
Lorsque j'ai commencé à perdre la vue, il s'est occupé de moi, s'est dépensé sans compter alors que moi, je n'ai jamais pu rien faire pour lui sauf lui causer des soucis permanents.
Il était toujours là lorsque je rentrais d'une plus ou moins longue hospitalisation.
Il me disait parfois mes quatre vérités, surtout avec ma dernière hospitalisation qui avait duré cinq mois et il avait bien cru que j'allais y passer. Il m'avait dit que ma vie très noire avait fait de moi un égoïste fini qui ne se souciait pas des autres. Il n'avait pas tort quant aux apparences, car je n'ai jamais su exprimer mes sentiments et je le regrette mais je ne changerai pas.
Finalement c'est lui qui est parti le premier.
Je sais qu'il avait d'autres amis proches, dont certains avaient disparu.
Que ses filles et ses petits enfants trouvent ici tout le poids de mon chagrin.
Une dernière anecdote: 2005 avait été une année très noire pour moi, trois opérations et j'allais subir la troisième et énième de ma vie et la plus grave. Avec son dernier coup de fil avant que je passe sur le billard, il m'avait formellement interdit de mourir. Je lui avais obéi et appris plus tard qu'il partait le lendemain pour la Grèce avec ses petits enfants, dont il me parlait rarement connaissant mon aversion pour les enfants depuis ma propre enfance.
J'espérais bien partir avant lui, lui laissant tout sur les bras comme toujours.
Un choc, un chagrin, les mots sont faibles.
Sylvain Zinser