En bref
À 17 ans, Fiona Steil-Antoni, la jeune joueuse luxembourgeoise avait réalisé un superbe exploit à l’Olympiade de Turin en 2006 : médaillée d’or au 2e échiquier (10/12) devant Kateryna Lagno ! 16 ans après, elle joue toujours en compétition, mais de moins en moins. Fiona est devenue une star sur internet. Elle est l’un des présentatrices les plus en vue. Pionnière du stream, elle commente les plus grands tournois, comme le Tata Steel en janvier, et travaille régulièrement avec Nakamura.
Comment expliques-tu le succès en ligne d’Hikaru ?
Fiona Steil-Antoni : C’est simplement le plus fort joueur qui streame régulièrement. Les gens peuvent voir sa puissance de calcul et surtout la vitesse avec laquelle il joue ses coups. Ils se rendent compte de ce que représentent les échecs de top niveau. Ils sont fascinés, même s’ils ne comprennent pas tout ce qui se passe sur l’échiquier, ça va trop vite. Même moi, j’ai parfois du mal à suivre. C’est impressionnant ! Ils ne sont pas obligés de regarder pendant des heures. Hikaru est peut-être le meilleur joueur du monde en bullet (1 minute KO) et il est monstrueux en blitz. Il n’y a pas que ses qualités et sa force échiquéenne. Il travaille beaucoup. Il streame pendant des heures, c’est hallucinant ! Aujourd’hui, les gens apprécient sa régularité. Je pense également qu’il a très bien compris ce qu’ils voulaient. Ils raffolent de contenus rapides. Il est devenu un showman.
Et cette fascination est addictive, n’est-ce pas ?
Fiona Steil-Antoni : Oui, par exemple, quand il calcule les variantes, il met 20 flèches sur l’échiquier pour montrer les coups et il commente : « Je fais ça, ça, ça et après ça, hop, ça gagne ! » Personne ne peut suivre. Même des joueurs très forts sont impressionnés. C’est un show ! Ses parties sont passionnantes. Tout le monde connaît son style. Il est très agressif et se prête très bien au stream sur Twitch.
Cela veut-il dire qu’il choisit volontairement les lignes les plus spectaculaires lorsqu’il joue ses tournois en ligne ?
Fiona Steil-Antoni : Pas toujours. Je crois qu’il garde quand même une bonne objectivité. Cela dépend de l’évènement. Est-ce que c’est un « truc » où il n’y a pas d’enjeu ? Par exemple contre des spectateurs du stream. Est-ce que c’est un « Titteld Tuesday » ou un autre très fort tournoi organisé sur Chess.com ? Il ne peut pas se permettre de faire n’importe quoi lorsqu’il joue contre les meilleurs du monde. Il essaie de faire les meilleurs choix. Vu le nombre de tournois qu’il gagne en ligne, il ne peut pas seulement « faire le show » en jouant à chaque fois les coups les plus spectaculaires. Il est très professionnel. Il essaie de garder le contrôle, quoi qu’il arrive sur l’échiquier.
Vu son succès, il a constitué une équipe de streamers autour de lui, dont tu fais partie ?
Fiona Steil-Antoni : J’ai commencé avec lui en 2021. Il joue tellement de tournois. Certaines fois, les horaires ne lui conviennent pas et d’autres fois, il n’a simplement pas le temps de streamer, par exemple lors du championnat des États-Unis (en classiques), en octobre dernier. Dans ces cas-là, il engage des personnes pour streamer à sa place sur sa chaîne. Il peut demander à quelqu’un de commenter le début de la ronde, et il reprend le commentaire après quelques heures. C’est ce qu’il a fait durant les Grands Prix. Pour lui, c’était bien sûr très intéressant que sa chaîne couvre ses parties en direct, et je faisais partie de son équipe.
De combien de personnes l’équipe est-elle composée ?
Fiona Steil-Antoni : Ce n’est pas fixe et les personnes changent. Au début, c’était toujours « Gotham » (le MI Levy Rozman) et Anna Rudolf (la GMF hongroise). Ils ont décroché ensuite parce qu’ils sont trop pris par leurs propres activités. Aujourd’hui, il y a surtout Benjamin Bok (le GMI néerlandais). Hikaru aime avoir un fort joueur à ses côtés. En fait, nous sommes 4 ou 5 à travailler avec lui plus ou moins régulièrement. Sur certains tournois, il peut engager quelqu’un pour une seule journée. Il aime que les gens qui travaillent pour lui sachent produire un stream, c’est-à-dire sa réalisation technique, qu’ils sachent ce que les gens attendent de voir sur sa chaîne. Il me donne les visuels. Je m’occupe du reste.
De ton côté, tu streames depuis très longtemps. Tu étais une pionnière, n’est-ce pas ?
Fiona Steil-Antoni : Oui, un peu. J’ai commencé en 2016. Nous n’étions pas nombreux, à l’époque, peut-être une dizaine. L’évolution est incroyable. La pandémie a mis un gros coup d’accélérateur. Il y a eu ensuite la série de Netflix, The Queen’s Gambit. On peut parler d’une explosion. Le mot n’est pas trop fort. Aujourd’hui, si on fait une recherche sur Google avec le mot « échecs » (ou « chess » en anglais), il a des dizaines, voire des centaines de gens qui streament à chaque instant. En toutes les langues, pour tous les niveaux. Il y a vraiment de tout ! Forcément, c’est bon pour les échecs.
Les streameuses qui ont du succès sont plutôt de jolies jeunes femmes. Est-ce une obligation pour réussir sur Twitch ?
Fiona Steil-Antoni : Je ne suis pas d’accord. Il faut déjà avoir une bonne caméra, que la qualité visuelle soit attrayante. Je pense que l’esthétique du stream est plus importante. Évidemment, cela ne va pas être un inconvénient d’être jolie. Il y a une majorité d’hommes parmi les abonnés aux chaînes de Twitch, comme dans les échecs, mais cela ne garantit pas le succès. On parle souvent des soeurs Botez, par exemple. Elles sont très intelligentes. Elles travaillent beaucoup et proposent un gros contenu.
Faut-il impérativement parler anglais pour avoir du succès sur Twitch ?
Fiona Steil-Antoni : Ce n’est pas une obligation. Kevin Bordi est devenu le 3e ou 4e plus grand streamer au monde (avec sa chaîne Blitzstream qui compte près de 150 000 abonnés). Ce qu’il fait est incroyable. Il montre qu’on peut avoir ce genre de succès dans le monde francophone. Beaucoup de gens ne se rendent pas compte du travail que ça représente pour y arriver. Il y a tout le temps de la planification pour définir le contenu. Il faut ensuite passer des heures devant la caméra, avec les lumières en face. C’est extrêmement fatigant.
S’oriente-t-on vers des chaînes TV 100% échecs, comme les chaînes de football ?
Fiona Steil-Antoni : En Norvège, les retransmissions en direct des échecs à la télévision marchent très bien, mais c’est lié à Magnus Carlsen. On a vu avec Twitch que les chiffres des audiences sont redescendus après la grosse explosion durant la pandémie. Ce n’est pas une vague qui monte sans jamais s’arrêter. Il y a des creux et ensuite, ça repart ! Il faut proposer des shows qui sont riches en contenu et sont télévisuels. Si on continue sur cette lancée, je l’espère. Magnus a fait beaucoup pour les échecs en ligne. Il lui arrive de streamer, mais c’est occasionnel. Alireza Firouzja streamait lui aussi et il a arrêté. Si des joueurs aussi forts continuent, qui sait ? Hikaru était auparavant en Californie. Il a déménagé en Floride et a déclaré qu’il voulait changer ses horaires de stream. Il veut élargir son audience, toucher encore plus de public. Il commence tôt le matin pour que les viewers en Europe puissent le suivre. C’est-à-dire qu’il se met à streamer quand il est à peu près 14 heures ici.
Peut-on dire que le stream a rafraîchi l’image du jeu ?
Fiona Steil-Antoni : Complètement. Beaucoup de gens avaient des idées préconçues sur les échecs et cela a changé. Tout le monde devrait en bénéficier. Les clubs peuvent avoir leur chaîne Twitch ou publier régulièrement du contenu sur YouTube, « quelque chose » de nouveau, parler de ce qui s’est passé récemment. Je ne m’y connais pas assez pour me prononcer, mais je n’ai pas l’impression que ce processus soit en marche. Aujourd’hui, tout le monde a un ordinateur, un téléphone portable. L’avenir est dans les médias. Nous sommes dans une époque où les gens veulent voir des contenus courts, intéressants, excitants. »
Propos recueillis par Jean-Michel Péchiné
Europe-Echecs : La référence francophone du jeu d'échecs
Fondée en 1959 par Raoul Bertolo, la revue Europe-Echecs résulte de la fusion entre L'Échiquier de France et l'Échiquier de Turenne. Tout a commencé avec L'Échiquier de Paris (bulletin des cercles de l'Île-de-France) créé en 1946, qui a fusionné après son 60e numéro, en 1955, avec L'Échiquier de France. Ce mensuel a à son tour fusionné, après 36 numéros, en décembre 1958, avec L'Échiquier de Turenne créé en 1955, pour finalement fusionner après 41 numéros, en décembre 1958, avec le magazine Europe-Echecs créé en janvier 1959.
Le nom de la revue Europe-Echecs a été choisi en raison de l'origine de plusieurs collaborateurs, les plus éminents : Ludek Pachman et Albéric O'Kelly de Galway. Puis Max Euwe, Svetozar Gligoric, Alexander Kotov, Edmar Mednis, Boris Ivkov, Alexandre Bessler, Jean Oudot... Europe-Echecs est l'une des plus anciennes revues françaises sur le jeu d'échecs encore en parution. Merci à tous pour votre soutien et votre fidélité !