Comment jouer ses premières parties

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En bref

Un article destiné principalement aux joueurs débutants pour mettre en évidence les clés d'une partie d'échecs avec les règles fondamentales de la stratégie. Morphy - Baucher, à l'aveugle, Paris 1858.

La série « The Queen's Gambit » (un titre plus précis que la traduction française : Le Jeu de la dame) et les confinements répétés dus à la pandémie de la Covid-19, ont pour conséquence une incroyable augmentation du nombre de joueurs et de joueuses d'échecs. Bien souvent, ces joueurs ont appris à jouer il y a déjà longtemps, sont ensuite passés à autre chose, et reviennent aujourd'hui sur les zones de jeu en direct. Cependant, pour certains, ce retour est assez difficile. En effet, s'ils connaissent les règles du jeu, ils sont relativement peu nombreux à posséder des bases solides. À tous ces joueurs, nous offrons cet article, remarquablement commenté par Sylvain Zinser, pour mettre en évidence les clés d'une partie d'échecs.

Sylvain Zinser (1936-2013) fut l'une des figures de proue de la revue Europe-Echecs. Cet homme a consacré la majeure partie de son existence au développement du jeu d'échecs. Cette passion ne l'a jamais abandonnée; et nous tous, lecteurs du magazine et internautes lui devons énormément. Sans son travail titanesque et son érudition hors du commun, Europe-Echecs n'existerait pas aujourd'hui. Raoul Bertolo, le fondateur de la revue et Sylvain auront à eux deux, créé et accompagné la revue de 1959 à 1991 pour Raoul, et jusqu’en 2000 en ce qui concerne Sylvain.

« C'est la raison même du jeu d'échecs, une joute entre deux esprits, un simulacre de combat avec lequel on peut gagner mais aussi perdre, sans autre conséquence que de pouvoir recommencer. C'est aussi une lutte contre soi-même, mettant en jeu connaissances et aptitudes, enseignant à ceux qui la pratique la faculté de concentration, l'esprit d'analyse et de décision. » C'est ainsi que Sylvain Zinser débuta son article paru dans la revue Europe-Echecs N°293 du mois de mai 1983, un article destiné principalement aux joueurs débutants.

Pour jouer une partie d'échecs il suffit de connaître la marche des pièces et quelques principes élémentaires, mais pour bien jouer aux échecs, il faut acquérir une maîtrise de cet art qui transforme la graine semée en frondaisons touffues et superbes. Les grands champions d'échecs ont atteint une maîtrise que les amateurs ne peuvent guère soupçonner. Dans le jeu d'un maître, même s'il n'est pas infaillible, rien n'est laissé au hasard, et dès les premiers coups le but ultime de la victoire est recherché par tous les moyens acquis par l'étude et l'expérience pratique. Pour certains champions, dans leur art, ils sont comparables aux grands peintres, musiciens, écrivains, sculpteurs et même scientifiques dont toutes les civilisations peuvent s'enorgueillir.

Pour expliquer le déroulement d'une partie d'échecs, Sylvain Zinser a choisi une partie du champion américain Paul Morphy (1837-1884) disputée à Paris, au Café de la Régence, le 27 septembre 1858, au cours d'une séance de parties simultanées à l'aveugle contre huit adversaires. Après dix heures de jeu, Morphy gagna six parties, les deux autres se terminant par la nullité. L'adversaire de Morphy dans cette partie était ce qu'il était convenu d'appeler à l'époque un fort amateur. Face au champion, son jeu relativement faible ne laissera pas d'être instructif et nous permettra de mettre en évidence les clés d'une partie d'échecs.

Morphy,Paul - Baucher,Henri, Simultanée à l'aveugle +6-0=2 Paris (Cafe de la Regence), 27.09.1858. Défense Philidor [C62] [Par Sylvain Zinser & Europe-Echecs]

Le but du jeu étant étant le mat, pour y parvenir chaque camp doit développer son armée pour attaquer le Roi adverse. Dans un premier stade il lui faut sortir ses pièces sur les cases où elles seront les plus efficaces et sans perte de temps. C'est « l'ouverture ». C'est un domaine complexe très analysé de nos jours où la mise en jeu des pièces est régie par des règles fondamentales qu'il faut connaître.

1.e4

Des avances de pions sont nécessaires dans un premier stade pour assurer le terrain à leurs figures et leur éviter d'être immédiatement attaquées par les pions adverses, et dans un deuxième stade pour servir par leur avance de bélier en ouvrant des brèches dans la position ennemie. Le coup de la partie occupe le centre et contrôle une des cases centrales adverse : « d5 ». Les Blancs disposent de nombreux autres coups possibles : 1.d4, 1.c4, 1.f3, 1.g3, 1.b3, tous avec l'idée de diriger l'action vers le centre. Des coups sans réel objectif comme : 1.a3? ou 1.h3? ou 1.a3? ou 1.h3? céderaient l'avantage de débuter la partie à l'adversaire qui pourrait commencer sa construction centrale par 1...e5 ou 1...d5 ou même 1...c5. Le débutant pose fréquemment la question : « Quel est le meilleur début ? » À cela les maîtres répondent : « Celui que vous connaissez le mieux ! »

1...e5

Les Noirs sont à leur tour confrontés au problème de développement de leurs forces, avec le handicap qu'ils doivent tenir compte des intentions et des menaces révélées par le premier coup adverse. Par ce coup symétrique 1... e5, ils occupent et contrôlent eux-mêmes leur part du centre. Ils peuvent toutefois adopter une attitude plus mesurée mais les Blancs occupent alors sans plus attendre le centre par 2.d4, la formation centrale d4-e4 étant un but souhaitable. Par exemple : 1.e4 e6 2.d4 d5 (défense française), 1.e4 c6 2.d4 d5 (défense Caro-Kann), 1.e4 d6 2.d4 f6 (défense Pirc), etc. 1.e4 c5 (la défense Sicilienne) pose déjà d'autres problèmes car les Noirs contrôlent la case « d4 », ce qui n'est pas le cas dans les ouvertures que nous venons de citer.

2.f3

Après 2.♘f3

En jouant 2.f3 les Blancs développent une figure en attaquant le pion adverse en « e5 » et ils dégagent la route au futur petit roque qui leur permettra à la fois de mobiliser la Tour en h1 en l'amenant au centre et de mettre leur Roi à l'abri. La nécessité pour les Noirs de tenir compte de la menace adverse est la première expression de « l'initiative », un élément très important tout au long de la partie d'échecs. Il faut éviter de jouer trop de coups de pions dans l'ouverture, ce qui retarde d'autant le développement des pièces. Ici les Blancs ne peuvent plus constituer le centre désiré par 2.d4 car 2...exd4! et les Noirs ont gardé la parité du centre (pion « d » contre pion « e »), mieux encore, si les Blancs regagnent de suite le pion par 3.xd4 les Noirs développent une figure avec gain de temps par 3...c6 et la Dame blanche doit jouer de nouveau. Une règle importante : ne pas jouer inutilement plusieurs fois la même pièce dans l'ouverture.

2...d6

Les Noirs défendent leur pion de la manière la plus simple en constituant une première « chaîne de pions ». Le coup 2...d6 (défense Philidor) n'est toutefois pas sans inconvénient. En effet, le pion d6 ferme prématurément la route du Fou en f8. Toutefois, au moment de cette partie, les conceptions révolutionnaires d'André Danican Philidor (1726-1795) influençaient le développement du jeu. On préfère généralement 2...c6.

Qu'il suffise de savoir qu'un coup comme 2...f6? ouvre non seulement dangereusement la diagonale blanche a2-g8 et prive le Cavalier en g8 de sa case naturelle de développement, mais ici il serait réfuté par le sacrifice de pièce 3.xe5! e7!? le moins mauvais. (3...fxe5? 4.h5+ g6 5.xe5+ e7 6.xh8 xe4+ 7.d1!+- et les Blancs gagnent.) 4.f3 xe4+ 5.e2+- Malgré l'égalité matérielle, le pion f6 gêne le développement du Cavalier, le Roi noir est bloqué au centre encore plusieurs coups, la Dame noire est exposée - et sera chassée avec gain de temps par le développement du Cavalier en b1 - plus l'avance de développement des Blancs déjà prêts à roquer, laissent aux Noirs une position misérable.

Un coup comme 2...d6? fréquemment joué par le débutant est mauvais : il place le Fou devant le pion d7, ce qui ralentit les possibilité de développement central du Fou en c8 et crée un véritable « embouteillage » du jeu noir.

Nous l'avons dit, Henri Baucher était ce qu'il était convenu d'appeler à l'époque un fort amateur. Voici d'ailleurs une victoire contre Jules Arnous de Rivière (1830 - 1905) l'un des meilleurs joueurs d'échecs français du XIXe siècle. En 1858, Arnous de Rivière rencontre Paul Morphy à Paris et dispute contre lui un grand nombre de parties amicales au Café de la Régence. Au cours des années suivantes, il gagne plusieurs rencontres, ainsi en 1860 à Londres par +5 ; -2 contre Thomas W. Barnes, la même année à Paris par +7 ; -1 contre le Français Paul Journoud et en 1867 à Paris par 2-0 contre le Hongrois Löwenthal. En 1883, il perd de justesse à Paris contre Mikhail Tchigorine par +4 ; -5. 2...f6 défense Petrov. 3.d4 xe4 4.dxe5 d5 5.d3 g4 6.c3 c6 7.f4 c5 8.0-0 0-0 9.e2 xf3 10.gxf3 g5 11.h1 e6 12.g3 g5 13.b4 b6 14.a3 e7 15.g1 h6 16.c2 g6 17.e3 gf4 18.xf4 xf4 19.f5 h3 20.xg7+ h8 21.d1 xf2 22.g4 g8 23.f1 h5 24.d2 xg4 25.fxg4 xg4 26.xf2 xf5 27.e1 g8 28.e6 fxe6 29.d4+ g7 30.e5 g4 0-1 (30) Arnous de Riviere,J-Baucher,H Paris 1859

3.d4

En faisant intervenir un deuxième pion, les Blancs renouvellent l'attaque contre « e5 » et la menace est 4.dxe5 dxe5 5. xd8+ xd8 6.xe5 et les Blancs ont une position techniquement gagnante. 3.c4 et 3.c3 seraient aussi de bons coups, mais sensiblement moins énergiques.

3...exd4

La même année, Paul Morphy réalisa ce que l'on appelle « La partie de l'opéra », une célèbre partie d'échecs jouée en octobre 1858 contre le duc de Brunswick et le comte Isoard de Vauvenargues, les Noirs jouaient en consultation. Elle s'est déroulée lors d'une représentation à l'Opéra de Paris, d'où son nom. 3...g4?! C'est ce que l'on nomme une « imprécision ». Les Noirs pensent clouer le Cavalier, mais en fait non... 4.dxe5! xf3 (4...dxe5? 5.xd8+ xd8 après l'échange des Dame le Fou en g4 ne cloue plus rien et les Blancs s'emparent du pion. 6.xe5 avec une position blanche déjà gagnante.) 5.xf3 dxe5 6.c4 Menace du fameux mat du Berger. 6...f6? En revanche, ce coup est une faute à cause de 7.b3! Une « attaque double », les Noirs perdent forcément un des deux pions attaqués. 7...e7 8.c3! Morphy renonce toutefois à prendre le pion en b7, préférant poursuivre son développement en espérant obtenir une position encore plus prometteuse. 8...c6 9.g5 b5? Les Noirs tentent de chasser le Fou de la dangereuse diagonale qui mène à leur Roi, mais 10.xb5! cxb5 11.xb5+ bd7 Les Blancs ont sacrifié un Cavalier contre deux pions et une attaque. 12.0-0-0 L'embouteillage des pièces noires coince le Roi noir au centre. 12...d8 Dans cette position, si les Noirs pouvaient jouer ...De6 pour échanger les Dames ils resteraient avec un avantage matériel. 13.xd7! Gagne le temps d'amener l'autre Tour sur la case d1. 13...xd7 14.d1 e6 Tout est place pour la combinaison finale... 15.xd7+ xd7 16.b8+! Un superbe sacrifice de Dame, dit de « déviation », pour dévier le Cavalier et ouvrir la colonne « d » à la Tour blanche. 16...xb8 17.d8# 1-0 (17) Morphy, P-Duke ofBrunswick/Count Isouar,K Paris 1858

Les Noirs peuvent aussi jouer 3...d7 la variante Hanham, du maître américain James Moore Hanham, mais après 4.c4 c6 5.0-0 e7 6.dxe5 dxe5 7.g5 xg5 8.h5 f6 9.xg5 g6 10.xg6 hxg6 11.a4 avec la paire de Fous pour les Blancs et des pions doublés pour les Noirs, les Blancs ont l'avantage. 1-0 (44) Vachier Lagrave,M (2718)-Cossin,S (2509) Haguenau 2013

4.xd4

Les Blancs rétablissent « l'équilibre matériel ». Il faut en effet toujours considérer celui-ci à moins de s'être assuré avoir une « compensation » pour un « désavantage matériel ». Donner du matériel dans l'ouverture en échange par exemple d'un contrôle supérieur du centre, ou d'une avance importante dans le développement, se nomme un « gambit ». En voici un exemple : 4.c3!? dxc3 5.c4 cxb2?! 6.xb2 et avec 3 pièces développées, un Roi prêt à roquer, alors que toutes les pièces noires sont encore sur leur case initiale, les Blancs ont des « compensations » pour les deux pions de moins. Évidemment, il faut prendre en compte que les Noirs ne sont pas obligés d'accepter le matériel offert.

On préfère de nos jours reprendre en d4 avec le Cavalier par 4.xd4 f6 5.c3 e7 (5...g6!? développant le Fou sur la diagonale qui a été ouverte par l'échange de pions en d4.) 6.g3 0-0 7.g2 e8 8.0-0 f8 9.h3 bd7 10.g4 c5 11.e1 c6 12.g5 fd7 13.f4 a5 14.e3 c7 15.a4 a6 16.d2 (16.f3 dc5 17.ad1 d7 18.h4 ad8 19.g3 b4 20.f5 c8 21.h5 1-0 (33) Onischuk, V (2498) -Zavgorodniy,S (2428) Alushta 2011) 16...dc5 17.ad1 d7 18.de2 ad8 19.g3 c8 20.h2 d5 21.e5 b4 22.f2 b6 23.d4 f5 24.e2 1-0 (52) Karjakin,S (2752)-Carlsen,M (2862) INT 2020

4...c6?!

Croyant gagner un « tempo » par l'attaque de la Dame blanche. On pouvait envisager 4...f6 5.c3 e7 6.g5 0-0 7.0-0-0 c6 et ici, en effet, les Noirs gagnent ce temps, parce que la Dame blanche doit fuir l'attaque du Cavalier. Cela ne signifie pas que Morphy n'eût pas gagné la partie, l'égalité de position est une conception bien aléatoire quand il n'y a pas égalité de force.

5.b5!

Après 5.♗b5!

Les Blancs sont prêts à renoncer à la « paire de Fous » pour maintenir la Dame dans sa position centrale. Ce faisant ils poursuivent le déploiement de leur armée, et sont déjà prêts à effectuer le roque. Apparaît ici un des éléments fondamentaux du jeu d'échecs : le « clouage ».

5...d7

Décloue le Cavalier et renouvelle la menace sur la Dame blanche, ce qui force l'échange en c6 ou le retrait de la Dame. En jouant 5...d7, les Noirs évitent aussi d'avoir des « pions doublés ».

6.xc6 xc6 7.g5

Un nouveau coup de développement comportant une menace. Était possible aussi 7.c3 e7 8.0-0 f6 9.d3 e7 10.e1 0-0 11.g5 ½-½ (11) Delgado Ramirez,N (2610) -El Debs,F (2529) Concordia 2019

7...f6?

Après 7...f6?

Maintenant le Cavalier en g8 ne pourra plus bénéficier que d'un développement inférieur, et la position noire se trouve affaiblie sur les cases blanches. Il valait mieux continuer par 7...f6 8.c3 (Les Noirs voulaient sans doute éviter de rester avec des « pions doublés » qui auraient surgi après 8.xf6 xf6 9.xf6 gxf6 Néanmoins, la « paire de Fous » des Noirs aurait compensé ce léger désavantage.) 8...e7 9.0-0-0 0-0 avec plusieurs options pour les Blancs : 10.he1 (ou 10.h4; ou même le direct 10.e5)

8.h4

Gardant la pression sur la diagonale d8-h4. 8.e3 était jouable aussi, les Blancs n'ayant pas réellement perdu de temps à jouer deux fois leur Fou, compte tenu du désavantage infligé à la position noire. En effet, à la différence des pièces, les pions ne reculent jamais ! C'est-à-dire qu'ici l'affaiblissement causé par l'avance 7...f7-f6 est définitif ! C'est pour cette raison que les deux coups de Fou consécutifs 7.c1-g5 et 8.g5-e3 (ou h4) sont rentabilisés. Une partie a continué par 8...e7 Les Noirs payent maintenant le prix de leur coup 7...f6? avec ce développement rampant du Cavalier. 9.c3 g6 10.0-0-0 e7 11.c4 Empêche les Noirs de roquer. 11...e5 12.b3 xf3 13.gxf3 d7 14.hg1 g6 15.d5 a6 16.h4 0-0-0 17.h5 hg8 18.b4 de8 19.xc6 xc6 20.f7 gf8 21.e6+ d7 22.xd7+ xd7 23.hxg6 hxg6 24.xg6 avec un pion de plus pour les Blancs. 1-0 (54) Yu,Y (2574)-Yu,L (2407) China 2010

8...h6

L'autre stratégie possible était 8...e7 9.c3 g6 mais après 10.g3 e7 11.0-0-0 0-0 le Cavalier serait molesté par la poussée 12.h4 suivie de h5.

9.c3

Avant d'entreprendre des actions plus directes, il est important d'achever le développement. Le débutant a tendance à sortir juste deux ou trois pièces pour passer directement à l'attaque et il se trouve surpris de ne pouvoir aboutir. En sortant leur second Cavalier, les Blancs conservent l'option entre les deux roques.

9...e7

Une nouvelle option apparaît ici : celle de « mauvais Fou ». Le Fou en e7 est gêné au maximum par ses propres pions. D'ailleurs, dans cette position, la puissance, et donc la valeur de ce Fou ne dépasse pas celle d'un pion. Une première évaluation de la position au seuil du « milieu de jeu » fait apparaître un net avantage aux Blancs : ils dominent plus d'espace, toutes leurs figures sont efficacement postées et leur camp ne comporte aucune faiblesse, tandis que la position noire, resserrée aux trois dernières rangées, est affaiblie sur les cases blanches, le Fou en e7 est mauvais, le Cavalier en h6 mal placé sur le bord de l'échiquier.

10.0-0 [10.0-0-0 était possible aussi. Question de goût.] 10...0-0

Après 10...0-0

Le moment est venu de concevoir « un plan ». Les Blancs ont développé rationnellement leurs pièces sans bien entendu prévoir de suite éventuelle jusqu'au mat, mais pour pouvoir aisément s'adapter aux circonstances. Il était concevable ici d'améliorer encore la position en centralisant les Tours par Tad1 et Tfe1, mais estimant qu'il serait prématuré de déterminer la position des Tours, les Blancs entreprennent une approche de la position adverse avec la figure la plus appropriée aux escarmouches de première ligne : le Cavalier.

11.c4+!

S'emparent du contrôle de la diagonale affaiblie et libérant avec gain de temps la case d4 pour le Cavalier en f3 qui menacera de faire irruption sur la case e6.

11...h8 12.d4 d7

La Dame est mal utilisée dans les rôles défensifs. 12...d7 pour pouvoir échanger en e6 si le Cavalier y surgit était préférable. D'ailleurs, quelques années auparavant, une partie avec continué par 13.ad1 c6 14.e6 xe6 15.xe6 f7 16.e2 e8 17.b3 f5 18.g3 fxe4 19.xb7 b8 20.xa7 xb2 21.fe1 d5 22.d4 f6 et les Noirs avaient obtenu le demi-point : ½-½ (66) Loewenthal, J-Harrwitz,D London (Chess Divan) 1853

13.ad1

Après 13.♖ad1

Les Blancs centralisent leurs forces, ce qui crée une pression contre la position adverse.

13...f7?

Un coup qui n'a absolument aucun sens. Il est évident que les Noirs ne suivent aucun plan - sans doute voulaient-ils soustraire préventivement la Tour en f8 de l'attaque par Ce6 - et le contraste avec le jeu des Blancs dont chaque coup poursuit un objectif est frappant.

14.f4

Les Blancs n'ont joué que deux coups de pion dans l'ouverture, ce qui leur a suffi pour mobiliser entièrement leurs forces. Mais l'aide de l'infanterie est à présent de nouveau requise pour soutenir des points forts dans le camp adverse (la case e6) et éventuellement créer la brèche prélude à l'invasion.

14...a5

Les Noirs ne savent visiblement pas quoi jouer. 14...e8 suivi de Ff8, Tfe7 et Cf7 aurait au moins eu le mérite d'organiser la défense.

15.f5!

Après 15.f5!

Au premier abord ce coup pourrait sembler critiquable car il laisse un « pion arriéré » sur une colonne semi-ouverte, et abandonne aux Noirs une « case forte » en e5. Toutefois, le Fou des Blancs pourra contrôler la case e5, tandis qu'en f5, le pion assure la possession d'une superbe case forte en e6 tout en bloquant le pion f6. Les Noirs ne pourront plus jamais se libérer par le « contre » ...f6-f5!. Ainsi, les avantages du coup 15.f5! l'emportent de loin sur les inconvénients.

15...ff8

La position noire est déjà compromise et même un champion n'aurait sans doute pu la sauver.

16.e6 g8

Sans doute avec le secret espoir de contre-attaquer par g7-g6 ou g7-g5. Mais cela n'ira pas plus loin, alors que la Tour va rendre un bien mauvais service à son Roi. Les Blancs ont atteint leur premier objectif : l'installation d'un Cavalier sur un « avant-poste » dans le camp adverse affaibli. Il faut concevoir un nouveau plan en tenant compte des nouvelles données de la position. Le Cavalier en e6 et le pion en f5 exercent une pression dans les parages immédiats du Roi noir et il est de bonne stratégie d'attaquer là où l'on est fort. Il convient par conséquent d'accumuler de nouvelles figures à l'aile-Roi pour essayer de faire la décision de ce côté.

17.a4

Morphy sentant que les Noirs ne peuvent rien faire, joue un coup de précaution limitant une éventuelle expansion noire à l'aile-Dame. Plus direct était 17.f3!?; Voire même 17.d5!?

17...g4

Après 17...♘g4

Ce Cavalier sort enfin d'exil avec une menace grossière ; une triple fourchette en e3 sur la Dame et les deux Tours.

18.e2

La Dame abandonne sa belle case centrale sans remords : elle y a obtenu ce qu'elle désirait, et tout en parant la menace précitée, elle attaque le Cavalier noir, mais surtout se prépare à intervenir en force à l'aile-Roi (la case h5) !

18...e5 19.g3

Le Fou ne joue plus grand rôle et le Cavalier en e5 est trop bien posté pour être toléré longtemps.

19...c8?

Après 19...♕c8?

En prévision de l'échange qui suit les Noirs veulent conserver la symétrie des pions et pouvoir reprendre avec le pion « d6 », ce qui donnera aussi un peu d'air au Fou en e7. [19...f7! était nécessaire.]

20.xe5 dxe5 21.f3 d7

Pour éliminer enfin le Cavalier ennemi, mais il est trop tard. Les Blancs ont suivi une stratégie simple sans aucun coup inutile qui les a conduit dans une position où ils ont un avantage écrasant. La parole est à la « tactique » ! Pour simplifier, la stratégie répond à la question « quoi faire ? » et la tactique à la question « comment faire ? ».

22.h3

Les Blancs trouvent un coup d'attaque qui force les Noirs à se défendre et ne leur laisse pas le temps de prendre en e6. La menace est un mat élémentaire par 23.xh7+! xh7 24.h5 mat ! Dans cette position, les Noirs menacent de prendre le Cavalier et le pion après la reprise en e6. Et si 22.c4? alors 22...xe6 23.fxe6 d6 et les Noirs ont pratiquement résolu tous leurs problèmes.

22...h6

Sur d'autres coups les Blancs gagnent aussi. 22...e8? 23.h5 h6 24.xg7! xg7 25.xh6+ f7 26.g6+ f8 27.h8# Ou 22...g6?! 23.fxg6 xg6 (23...xe6 24.xh7#) 24.xh7+! g8 (24...xh7 25.h5+ h6 26.f7+ h8 27.g7#) 25.h5 e8 26.g5!! fxg5 27.f1! f5 28.xf5 f6 29.xf6 a6 30.h8+ g7 31.h7+ xf6 32.xe8 g4 33.e7#

23.d2!

Après 23.♕d2!

Avec une superbe « attaque double » constituée par la menace évidente de prendre le Fou en d7 et celle un peu plus cachée de sacrifier la Tour en h6 puis de mater par xh6. Après le coup de la partie les Noirs pouvaient tout aussi bien abandonner, mais cela nous eût privé d'une attaque de mat instructive.

23...h7 24.xd7 d6

Bien que sans voir l'échiquier ailleurs que dans son esprit, Morphy a vu une conclusion élégante. C'est ici que le jeu d'échecs cesse d'être une science et un sport pour devenir un art véritable.

25.xh6+!!

Après 25.♖xh6+!!

Le pion g7 étant cloué, le Roi noir est attiré à découvert.

25...xh6 26.d3!!

Un joli sacrifice de Dame basé sur un « tableau de mat » connu, celui du « couloir », mais effectué à la bande. Les trois cases critiques devant le Roi lui sont interdites (g7, g6, g5) et la menace est 27.h3 mat !

26...h5 27.f7+ 1-0

Après 27.♕f7+ 1-0

Les Noirs abandonnèrent car ils ne peuvent éviter le mat en deux coups. Après 27.f7+ si 27...g4 (Ou 27...h4 28.h3+ g4 29.g6#; Ou encore 27...g6 28.h7+ g4 29.h3#) 28.g6+ h4 29.h3#

Une jolie partie d'échecs durant laquelle les Blancs ont construit simplement leur victoire. Dans le début ils ont développé leurs pièces sur les meilleures cases, gagné de l'espace, occupé du terrain chez l'adversaire et lancé une attaque directe sur le Roi noir, conclue par une série de jolis sacrifices. La connaissance des règles fondamentales de la stratégie était présente tout au long de leur jeu, et dans la phase finale, la connaissance des tableaux de mat a contribué et facilité la recherche et la découverte de sacrifices possibles.

Morphy,Paul - Baucher,Henri, Simultanée à l'aveugle +6-0=2 Paris, 27.09.1858.