En bref
Dixième partie du match de championnat du monde d'Échecs entre le Norvégien Magnus Carlsen, tenant du titre mondial, et le Russe Ian Nepomniachtchi, vainqueur du tournoi des candidats et challenger. Du 24 novembre au 16 décembre 2021 pendant l'Expo de Dubaï, aux Émirats arabes unis.
Le site officiel https://fideworldchampionship.com propose les parties en direct, un streaming de haute qualité, ainsi que les commentaires du quintuple champion du monde Viswanathan Anand, accompagné par la grand maître ukrainienne Anna Muzychuk.
Retrouvez toutes les informations sur le match : programme, cadence, départages, prix, etc. sur le premier article du dossier du championnat du monde 2021 https://www.europe-echecs.com/art/championnat-du-monde-d-echecs-2021-8622.html
Les debriefings du Maître FIDE Sylvain Ravot
Le score du match Carlsen vs Nepomniachtchi
Nom | Féd | Elo | 01 | 02 | 03 | 04 | 05 | 06 | 07 | 08 | 09 | 10 | 11 | 12 | 13 | 14 | Total |
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Ian Nepomniachtchi | 2782 | ½ | ½ | ½ | ½ | ½ | 0 | ½ | 0 | 0 | ½ | 3,5 | |||||
Magnus Carlsen | 2855 | ½ | ½ | ½ | ½ | ½ | 1 | ½ | 1 | 1 | ½ | | | | | 6,5 |
Les moments clés de la partie N°10
- Carlsen ouvre par 1.e4 comme dans la 8e partie
- Nepomniachtchi préfère jouer la prudence en restant sur sa défense Petrov
- Carlsen utilise le rare 4.Cd3 qu'il avait déjà joué contre Caruana en 2018
- Nepo blitze 7...Cc6 en 5 secondes et laisse, probablement involontairement, deux directions à Carlsen
- Après presque 20 minutes de réflexion, Carlsen préfère le prudent 8.c3 qui va mener à l'échange des Dames plutôt que le plus tendu 8.Fe3
- La structure est symétrique, les pièces s'échangent
- Carlsen dépense du temps, Nepomniachtchi joue solidement et rapidement, il comptera jusqu'à 45 minutes d'avance à la pendule
- Presque toutes les pièces s'échangent et la nulle est signée au 41e coup
- Magnus Carlsen est à 1 point de conserver son titre
Carlsen vs Nepomniachtchi : Partie N°10
Nigel Short : « En passant devant le Royal Opera House à Covent Garden hier, j'ai réfléchi au truisme sportif selon lequel "ce n'est pas fini tant que la grosse dame chante". Hélas pour Ian Nepomniachtchi, à Dubaï, la nordique Walkyrie Brünnhilde a presque terminé son aria d'adieu. »
Erwin l'Ami : « Verrons-nous la première Sicilienne du match aujourd'hui ? Si c'est le cas, je pense que Magnus va réagir avec douceur et donner un échec au troisième coup. »
Après 1.e4 e5 2.♘f3 ♘f6 Même Magnus Carlsen semblait déçu de voir son adversaire refuser le combat et se tourner vers une défense qui ne laisse espérer mieux que le demi-point. 3.♘xe5 d6 4.♘d3 ♘xe4 5.♕e2 ♕e7 6.♘f4 ♘f6 7.d4 ♘c6!? Une nouveauté dans cette position. On joue généralement 7...♕xe2+ 8.♗xe2 ♘c6 comme dans ½-½ (43) Motylev,A (2659)-Rakhmanov,A (2627) Yaroslavl 2018.
Anish Giri pense qu'il aurait dû jouer 7...♕xe2+ alors que ce coup pourrait être "une décision hâtive qui peut se retourner contre lui".
Fabiano Caruana : « Ces lignes avec ♕e2 suivi de l'échange des Dames, même si elles semblent être les plus ennuyeuses du jeu d'échecs, ont conduit à quelques-unes de mes parties les plus intéressantes, contre Kramnik et Carlsen. »
Erwin l'Ami : « Le prochain coup de Magnus déterminera la direction que prendra cette partie. 8.♗e3 conserve les Dames et mène potentiellement à des complications intéressantes. Sinon, avec 8.c3 ou 8.♕xe7+ la journée sera probablement courte. »
Alors que nous retrouvions quelques parties avec 8.c3, après 19 minutes de réflexion, Ian Nepomniachtchi les abandonne aussitôt avec 8...d5 9.♘d2 ♘d8!?
Anish Giri : « Magnus n'a pas choisi 8.♗e3! ou 8.♕xe7+ mais 8.c3, parce qu'il craignait une préparation de son adversaire, alors qu'en fait Nepo vient juste de mélanger les choses. »
10.♘f3 ♕xe2+ Les Dames disparaissent finalement de l'échiquier. 11.♗xe2 ♗d6 12.0-0 0-0 13.♗d3 ♖e8 14.♖e1 ♖xe1 15.♘xe1 ♘e6 16.♘xe6 ♗xe6 Pas grand-chose à analyser ici, des échanges et encore des échanges...
17.g3 avec l'idée de poursuivre la liquidation par ♘g2 et ♘f4. 17...g6 18.♘g2 ♖e8 19.f3
Viswanathan Anand : « On dirait qu'ils se dirigent doucement vers un match nul. »
19...♘h5 20.♔f2 c6 21.g4 ♘g7 22.♗f4 ♗xf4 23.♘xf4 g5 Dans ce diagramme il n'est pas question pour Magnus Carlsen de prendre le « mauvais » Fou de son adversaire. 24.♘e2 f5 25.h3 ♔f7...
Anish Giri : « Parfois, même quand Magnus ne veut rien faire, sa main joue des coups, et ils sont très bons. »
26.♖h1 h6 27.f4!? Tient, une petite surprise avec un coup non proposé par les machines, mais qui va simplement poursuivre la liquidation du matériel entamée précédemment . 27...fxg4 28.hxg4 ♗xg4 29.♖xh6 ♗f5 30.♗xf5 ♘xf5 31.♖h7+ ♘g7 32.fxg5 ♔g6 33.♖h3 ♔xg5 comme dans le diagramme. 34.♖g3+ ♔f6 35.♖f3+ ♔e7 36.♘f4 ♔d6 37.♘g6 ♖e6 38.♘e5 ♘e8 39.♖f7 ♖f6+ 40.♖xf6+ ♘xf6 41.♔e3 ½-½
Rendez-vous vendredi, après le jour de repos, pour la suite et peut-être la fin du match.
Magnus Carlsen sur le choix de la défense Petrov par Ian Nepomniachtchi : « J'imagine qu'à ce stade il est en mode limitation des dommages. »
Ian Nepomniachtchi : « J'ai un couple de parties avec les Blancs dans les quatre restantes. Bien sûr, cela va dépendre de ce que je vais produire dans la 11e partie, mais aujourd'hui, l'idée était juste de jouer une partie normale et d'essayer de ne pas gaffer quelque chose en un coup. Évidemment, je vais essayer de pousser avec les Blancs dans la prochaine partie. »
Magnus Carlsen : « Je n'étais tout simplement pas d'humeur » a dit Magnus à propos du coup critique 8.♗e3 qu'il n'a pas joué. « Franchement, je n'avais pas du tout imaginé qu'il jouerait la Petrov aujourd'hui. Je priais pour diverses ouvertures tranchantes, en pensant que s'il jouait 1...e5, je verrais. Je n'ai pas pensé que faire match nul contre la Petrov serait un problème majeur. »
Peter Wells : « Pour tous ceux qui ont réclamé un changement de stratégie de la part de Nepo ; pour qu'il soit en quelque sorte fidèle à ses instincts... C'est arrivé ! Il s'est finalement lassé de tolérer des questions stupides. La riposte commence !? »
– Question : Il ne vous reste que 4 parties et 3 points à rattraper...
– Ian Nepomniachtchi : Je sais !
– Question : Votre stratégie est-elle encore d'essayer de gagner ce match ?
– Ian Nepomniachtchi : Ça c'est une question absurde !
Anish Giri a signalé un changement d'état d'esprit du challenger : « Il ne s'agit plus de gagner maintenant, il s'agit de bien jouer », arguant que Ian Nepomniachtchi se contenterait désormais de rappeler au monde qu'il peut bien jouer aux échecs et qu'il reste un adversaire de taille.
En attendant la dixième partie du match...
Il n'y a vraiment plus grand-chose à dire après la neuvième partie du match. Ian Nepomniachtchi s'est tout simplement effondré ! Savielly Tartakower avait pourtant prévenu : « Les grosses bourdes sont là, sur l'échiquier, attendant d'être commises. » mais deux gaffes consécutives d'un joueur à ce niveau, il faut le voir pour le croire !
Dans des propos rapportés, Anish Giri a dit qu'à son avis, lorsque l'idée a traversé l'esprit de Ian Nepomniachtchi qu'il pourrait gagner le tournoi des Candidats et jouer le titre mondial contre Magnus Carlsen, cette pensée a commencé à peser sur lui.
Nepomniachtchi, après la neuvième partie, ressemble à un boxeur qui vient d'être compté, complètement groggy, et incapable de lever les bras pour se défendre. La question n'est même plus de savoir si « Nepo » peut revenir dans le match, mais plutôt, dans quel état psychologique va-t-il sortir de ce match ?
Les temps ont bien évidemment changé, mais cette déroute nous remet en mémoire le 6 à 0 infligé par Robert James Fischer à Mark Taïmanov en 1971, dont les conséquences furent terribles pour le Russe : « Avant le match je bénéficiais du statut de « citoyen modèle de l’URSS [...] Après ma défaite, je me retrouvais sous le feu des critiques dévastatrices venant de toutes parts. Ils me destituèrent de mon titre de « Maître émérite du Sport » et je fus expulsé de l’équipe soviétique... » Mark Taïmanov. Nul doute que Ian Nepomniachtchi sera morigéné comme un gamin après ce match. Sur son jeu, ses ouvertures, sa stratégie, bref, sur tout !
On a vu, hier, un Ian tellement sonné qu'il n'arrivait pas à se décider à abandonner après la perte de la pièce. À ce sujet, Gata Kamsky, dans une de ses rubriques de la revue Europe-Echecs, avait un jour écrit : « Il faut un peu de temps pour réaliser que tous les efforts consentis pour atteindre un objectif viennent d’être gâchés. Toutes ces heures de préparation et l’argent dépensé n’ont servi à rien. Il faut se réconcilier avec soi-même et lâcher prise ; ce n’est pas une tâche facile. On joue donc ses derniers coups par inertie. »
Certains d'entre vous nous reprocheront peut-être d'enterrer le challenger un peu vite, mais nous sommes convaincus que les dernières parties vont être un calvaire pour le joueur russe. Sachez cependant que le plus grand « come-back » de tous les temps s'est déroulé en 1853, dans le match entre Daniel Harrwitz et Johann Löwenthal. Harrwitz, qui était mené 9 points à 2, l'a finalement emporté sur le score de 11 points à 10.
Aujourd'hui Magnus Carlsen a l'avantage des pièces blanches, et comme son adversaire peut encore mathématiquement l'emporter, le Norvégien ne peut se payer le luxe de baisser la garde. Il lui manque encore 1,5 point pour conserver la couronne mondiale qu'il détient depuis 2013. Et puisque les joueurs n'ont pas le droit de proposer le partage du point avant le 40e coup, il faut jouer !
D'ailleurs, en conférence de presse, la question a été posée à Carlsen s'il avait pitié du Russe : « Certes, on préfère battre un adversaire qui joue à son meilleur niveau. Mais c'est le championnat du monde, un endroit inapproprié pour la miséricorde, » a t-il répondu.
Une chose est certaine, cette fois, personne ne pourra reprocher à Magnus Carlsen de n'avoir remporter le match qu'en parties rapides de départage ! Même si ceux qui hier regrettaient les nulles à répétition des deux précédents championnats du monde, se plaignent aujourd'hui de la qualité des parties décisives face à un challenger qu'ils jugent trop faible.
Ah, nous allions oublier : Alexander Grischuk avait raison !