Cinquième match nul entre Ian Nepomniachtchi et Magnus Carlsen

Championnat du Monde d'Échecs 2021

Publié le - Mis à jour le
Ian Nepomniachtchi | Photo Éric Rosen

En bref

Ian Nepomniachtchi a joué dans le style de son adversaire et a forcé Magnus Carlsen a adopter une défense passive dans la cinquième partie du match. La position prometteuse du Russe s'est cependant révélée insuffisante pour le gain. Repos jeudi.

Cinquième partie du match de championnat du monde d'Échecs - du 24 novembre au 16 décembre 2021 - pendant l'Expo de Dubaï, aux Émirats arabes unis, entre le Norvégien Magnus Carlsen, tenant du titre mondial, et le Russe Ian Nepomniachtchi, vainqueur du tournoi des candidats et challenger.

Le site officiel https://fideworldchampionship.com propose les parties en direct, un streaming de haute qualité, ainsi que les commentaires du quintuple champion du monde Viswanathan Anand. Il est accompagné par la grand maître ukrainienne Anna Muzychuk.

Vous pouvez retrouver toutes les informations du match - programme, cadence, prix, etc. sur le premier article du dossier du championnat du monde 2021 https://www.europe-echecs.com/art/championnat-du-monde-d-echecs-2021-8622.html

Les debriefings du Maître FIDE Sylvain Ravot

Le Maître FIDE Sylvain Ravot, entraîneur diplômé FIDE et FFE, auteur de la rubrique « Finales » dans la revue Europe-Echecs, vous propose une playlist de vidéos avec debriefings et coups du jour.

Les moments clés de la partie N°5 par Sylvain Ravot

- Nepomniachtchi insiste avec la partie Espagnole et son anti-Marshall 8.a4
- Carlsen dévie tout de suite de la partie N°3 avec
8...Tb8 mais ne surprend pas Nepo
- Le Norvégien ne peut initialement pas placer le coup d5 mais il y parvient tout de même au 13e coup
- Après 15 coups les Blancs, avec encore 1h57 à la pendule, ont obtenu une position plus agréable à jouer, peu caractéristique de l'Espagnole (3 colonnes ouvertes)
- Nepomniachtchi manque 20.c4! qui aurait davantage contrarié Carlsen
- 3 pièces s'échangent, ce qui soulage la position des Noirs mais Nepo conserve une meilleure position
- Des coups 27 à 30, Carlsen se recroqueville passivement et ses pièces se retrouvent presque paralysées
- Poussé dans ses retranchements, le champion du monde montre, avec son bon coup de défense
31...f6! qui a surpris les commentateurs, qu'il a compris que la défense passive était assez robuste pour tenir la partie !
- Il libère sa position et Nepomniachtchi n'a plus rien à attaquer. La nulle est signée peu après.

Le score du match Carlsen vs Nepomniachtchi

NomFédElo0102030405060708091011121314Total
Ian Nepomniachtchi
2782½
½½½
½









2,5
Magnus Carlsen

2855 ½
½ ½ ½
½








2,5
Ian Nepomniachtchi | Photo Anastasiya Karlovych
Magnus Carlsen | Photo Anastasiya Karlovych

Nepomniachtchi vs Carlsen : Partie N°5

Vous n'aurez pas été sans remarquer que trois des nouveautés théoriques de Magnus Carlsen l'ont été par des coups de Cavaliers : 8...a5!?, 8.e5!? et 18.h4!?. Aurons-nous à nouveau un saut inédit dans cette cinquième rencontre avant le second jour de repos ?

Nepomniachtchi - Carlsen, après 14.bd2

À nouveau une partie Espagnole, véritable colonne vertébrale des « Jeux Ouverts » : 1.e4 e5 2.f3 c6 3.b5 a6 4.a4 f6 5.0-0 e7 6.e1 b5 7.b3 0-0 8.a4 Une des variantes Anti-Marshall, sauf que cette fois Magnus Carlsen a préféré 8...b8, au lieu de 8...b7 de la troisième partie. 9.axb5 axb5 10.h3 d6 11.c3 b4 12.d3 et après 12...bxc3 13.bxc3 d5!? est un nouveau coup, au lieu de 13...d7 comme dans Balashov,Y (2565)-Janocha,W (2330) Wisla 1992, 1-0 (41). Ian Nepomniachtchi attendait apparemment cette nouveauté le pied ferme, puisque 28 secondes ont suffi pour continuer par 14.bd2 (diagramme) 14...dxe4 15.dxe4.

Ce n'est que suite à 15...d6 que le joueur russe a arrêté de blitzer. Un stop-and-go d'un peu plus de 5 minutes pour placer sa Dame en c2, sans doute la meilleure case ici. 16...h6 En 8 minutes. 17.f1 En 42 secondes. 1h52-1h28. Visuellement la position blanche est agréable, surtout que la structure de pions noirs manque de souplesse. 17...e7 En 9 minutes et 17 secondes. 18.g3 En 3 minutes dont 2 pour revenir à l'échiquier. Les ballets de Cavaliers sont bien entendu classiques dans ces positions : f5 pour les Blancs, f4 pour les Noirs, sont des destinations habituelles.

Nepomniachtchi - Carlsen, après 18.g3
Nepomniachtchi - Carlsen, après 26...b8

18...g6 19.e3 e8  a coûté 19 minutes à Magnus. Anish Giri : « C'est une voie à sens unique et il est vraiment agréable d'avoir cette position dans un match de championnat du monde, surtout en 2021, quand les Blancs peinent à prendre l'avantage. » 20.ed1!? Les ordinateurs auraient souhaité voir 20.c4!? avec +0.80. 20...e6 21.a4 d7 Nepomniachtchi semblait mécontent après ce coup. 22.d2 a pris plus de 18 minutes. Une éternité pour « Nepo ». 22...xa4 23.xa4 xa4 24.xa4 a8 25.da1 xa4 26.xa4 b8 Vishy Anand : « Je dirais que Magnus doit être soulagé ici. »

Remarque de Nigel Short : « En 1927, Alexander Alekhine a batut l'« imbattable » José Raul Capablanca, au talent et à la technique donnés par Dieu, en jouant dans un style assez proche du Champion du Monde. Serait-ce aussi le plan de Ian Nepomniachtchi ? »

27.a6 e8!? Magnus anticipe les attaques de la Cavalerie blanche en f5 et c4 sur son Fou en d6. 28.f1 Fabiano Caruana : « Ian n'a pas vraiment d'approche concrète pour mettre la pression sur les Noirs. Il essaie simplement d'amener lentement le Roi en e2. » 28...f8 29.f5 e6 30.c4 d8. Diagramme. Nepomniachtchi, dans le style de Carlsen, a forcé le Norvégien à adopter une défense passive. 31.f3 On attendait plutôt 31.g4. 31...f6 Et ici c'est 31...h5, justement pour prévenir la poussée g4, que les commentateurs prévoyaient. 32.g4 f7 33.h4 f8 34.e2 d6.

Nepomniachtchi - Carlsen, après 30...d8
Nepomniachtchi - Carlsen, après 35...xd6

Anish Giri sur 31...f6 et non pas 31...h5 : « Si quelqu'un d'autre l'avait fait, j'aurais dit qu'il manquait d'expérience, mais Magnus, non seulement est très fort, mais il est aussi fort cultivé, donc il connaît tout à propos de ces coups thématiques. Peut-être qu'il a une compréhension très profonde de tout ça. » 35.xd6 xd6 (diagramme) Vishy Anand : « Les Noirs sont totalement passifs, mais peut-être que ça va... Si le Roi des Blancs peut monter sur l'échiquier, alors la défense des Noirs s'effondrera, mais cela ne semble pas être possible pour le moment. » 36.h5 f8 37.a5 e8 38.d5 a8 39.d1 a2+

40.d2 a1 Le premier contrôle du temps est atteint, mais les joueurs n'iront pas beaucoup plus loin. 41.d1 a2+ 42.d2 a1 43.d1 ½-½

Magnus Carlsen : « J'ai pensé que sa meilleure chance était 20.c4 pour essayer de jouer c5, parce qu'après ce qu'il a fait, progressivement j'allais mieux... Je pense que j'ai sous-estimé la finale. C'était un peu plus triste que j'espérais... Évidemment, la tension monte et il devient de plus en plus clair qu'il va être difficile pour nous deux de percer. » 

Nepomniachtchi - Carlsen, après 43.d1 ½-½

Ian Nepomniachtchi sur le fait de ne pas avoir joué 20.c4 : « La position était tellement agréable qu'il était difficile de choisir le type d'avantage que je voulais voir sur l'échiquier. » À Magnus Carlsen - Étiez-vous inquiet ? « Ouais ! »

Question à Nepomniachtchi : « Quel est votre sentiment général sur le résultat, compte tenu de la position que vous aviez ? » Ian Nepomniachtchi : « Bien sûr que je suis déçu. »

Magnus Carlsen : « Évidemment, je ne suis pas ravi de la partie. À moins de compter ...a2+ ...a1 à la fin, je n'ai pas joué un seul coup actif, ce n'est pas idéal. Mais le résultat est bon. »

« Dans un microcosme rempli de démoniaques modules, l'analyse approfondie de Vishy Anand du match Carlsen contre Nepomniachtchi est susceptible d'entrer dans l'histoire des retransmissions comme d'authentiques masterclass, exécutées avec patience, éloquence et sans aucune suggestion informatisée. » Olimpiu G. Urcan — Sur la photo d'Éric Rosen, accompagné par la grand maître Anna Muzychuk.

En attendant la cinquième partie du match...

Après une quatrième partie nulle, les conversations sur les préparations informatiques qui « tuent » les échecs classiques ont repris bon train. La déclaration de Ian Nepomniachtchi, hier : « Je n'en suis pas certain, mais j'ai peut-être eu toute la partie dans mes notes. » abonde même en ce sens. Cependant, et même si à ce jour il s'agit du 18e match nul consécutif en Championnat du Monde - la dernière partie décisive date du 24 novembre 2016, à New York, lors du match entre Magnus Carlsen et Sergey Karjakin - nous pensons qu'il serait erroné d'en faire une généralité.

Nous l'avons dit, un match de championnat du monde représente l'Everest du joueur d'échecs. Magnus et Ian se préparent pour cette épreuve depuis des mois avec toute une équipe de secondants et de puissants ordinateurs. Nous vous laissons imaginer le montant de cet investissement financier pour seulement quatorze parties ! Et hormis pour se parer d'une couronne mondiale, on ne voit pas qui d'autre dépenserait autant.

Bien sûr, les variantes d'ouvertures qu'ils ont décidé de jouer pendant ce match ont été décortiquées, désossées, dépecées, disséquées même, mais de combien de variantes parlons-nous ? De quelques gouttes d'eau dans l'océan de l'ECO (Encyclopédie Des Ouvertures). Ainsi, rassurez-vous, « la mort » des échecs classiques n'est pas pour demain. Nous pouvons même voir le verre à moitié plein et profiter des avancées théoriques dans ces ouvertures. Viswanathan Anand l'a d'ailleurs déjà dit il y a quelques années : « Pour chaque porte que les ordinateurs ont fermé ils en ont ouvert une nouvelle. »

Penchons-nous plutôt sur la stratégie de match quelque peu surprenante de Ian Nepomniachtchi. Où est passé le jeu agressif et parfois hasardeux qui a mené « Nepo » au match de championnat du monde ? Parce que pour l'instant tout du moins, le Russe semble plutôt suivre l'exemple de Sergey Karjakin et Fabiano Caruana, basant avant tout son jeu sur la solidité.

Nepomniachtchi chercherait-il ainsi à pousser son adversaire à un excès d'optimisme en lui laissant croire que sa préparation est insuffisante pour obtenir des chances de gain ? On ne peut de toutes façons nier que derrière le mouvement des pièces se déroule une lutte psychologique, même si elle nous échappe en grande partie. Jusqu'à maintenant, Magnus Carlsen a tenté plus de choses que le Russe, tout en prenant soin de ne jamais dépasser le point de non-retour. D'un autre côté, Ian Nepomniachtchi ne doit surtout pas penser, après quatre parties nulles sans frayeur, que le danger s'est éloigné.

À ce sujet, le commentaire de Fabiano Caruana est intéressant : « J'ai beaucoup appris en jouant un match de Championnat du Monde... Ne jamais baisser la garde ! J'ai dû défendre beaucoup de positions difficiles. Et l'une des façons de le faire est de ne jamais, jamais être négligent, surtout contre Magnus. »

La stratégie conservatrice de Nepomniachtchi aura forcément des limites, et tôt ou tard il lui faudra prendre des risques. Et pourquoi pas aujourd'hui ?

Les parties du match de championnat du monde Magnus Carlsen vs Ian Nepomniachtchi