La FIDE est-elle réformable ?

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En bref

Le 2 juin 2006, lors de l'Assemblée générale du congrès de la FIDE, un mandat de quatre ans sera remis entre les mains de Kirsan Ilyumzhinov ou de Bessel Kok. Kirsan Ilyumzhinov, comme à son habitude, n'a pas vraiment fait campagne lui-même. Il a laissé le soin de cette mission à son président délégué, Giorgios Makropoulos, qui est en réalité celui qui dirige la FIDE depuis de nombreuses années.

Ilyumzhinov n'a pas de programme, mais il a un bilan. Celui-ci est maigre au regard des sommes engagées et annoncées depuis bientôt onze ans (près de 30 millions de dollars), lorsqu'il fut élu au congrès de Noisy-le Grand.

Makropoulos, la faille du système

Chaque « ticket » en lice est une équipe qui doit être composée d'un Président délégué, d'un Vice-président, d'un Secrétaire général et d'un Trésorier. Le ticket 2006 de Ilyumzhinov comprend Makropoulos (Grèce), Ncube (Zambie), Leong (Singapour) et Freeman (Bermudes). Concernant Makropoulos, les avis sont quasiment tous similaires. C'est un homme du monde des échecs, puisqu'il fut un fort Maître International en son temps, mais qui a réussi à vampiriser la FIDE à son seul intérêt.

Le championnat du Monde de Las Vegas en 1999 avait failli très mal se terminer. Alors que Ilyumzhinov avait confié une avance de 1 million de dollars pour l'organisation de cet événement à Makropoulos et son équipe, Kirsan et ses conseillers s'aperçurent très vite que le montant s'était volatilisé, d'où un retard pour le paiement des prix des joueurs à l'issue de ce championnat. Kirsan avait oublié que Las Vegas, ce paradis pour joueurs de casinos invétérés, avait fait succomber son Président délégué.

Voilà l'une des histoires qui émaillent, malheureusement, le parcours de la FIDE depuis plus de dix ans. Tant que l'actuel Président n'aura pas défini une plate-forme, une stratégie claire et des moyens pour atteindre ses objectifs, la FIDE perdra en image et en crédibilité, pour le plus grand malheur de tous ceux qui aiment le jeu d'échecs.

Levis Ncube de Zambie n'a pas, pour l'instant, une carte de visite nous permettant de nous faire une opinion. Par contre, Ignatius Leong et Nigel Freeman, qui furent respectivement secrétaire général et soutien de la campagne que j'avais menée en 1994, sont des renforts de qualité. Leong travaille depuis trente ans pour le développement des échecs en Asie, et particulièrement en Extrême-Orient. Il y est très connu et respecté pour les efforts considérables qu'il a accomplis. Par ailleurs, il a créé une académie des échecs à Singapour qui rayonne. Elle fonctionne en terme de résultats échiquéens et est bénéficiaire financièrement. Nigel Freeman est l'archétype du passionné des échecs qui a conjugué son savoir-faire dans le monde de la finance et sa passion pour organiser plusieurs événements aux Bermudes. Son intégrité en tant que trésorier pourra difficilement être mise en doute. La manœuvre de Makropoulos consistant à intégrer Leong et Freeman, afin de faire passer un message sur « le changement de l'organisation » n'est pas acceptable. Il faut réformer la structure par le haut et accepter de sortir du jeu le manipulateur Président délégué ! Il ne doit plus pouvoir contrôler le processus de décision.

Cette responsabilité est celle du Président actuel qui a décidé depuis trop longtemps de laisser ce système grangréné en place, afin de pouvoir vaquer à des occupations plus importantes en tant que Président de la République de Kalmoukie, et de gérer ses nombreuses affaires.

Un affrontement Nord-Sud

Le ticket Bessel Kok (Pays-Bas), Yacizi (Turquie), Ingolotti (Paraguay), Vijjuprabha (Thaïlande), Borg (Malte) fait un travail de terrain depuis six mois. Après l'exclusion de Karpov par Kok, pour cause d'étroitesse d'un seul siège de Président pour deux, et une campagne de communication interne de Léo Battesti sous l'égide de la FFE, venu apporter son soutien à Cannes en février, Bessel Kok et son équipe ont multiplié les initiatives.

Le « bon coup » du candidat néerlandais fut d'inclure Ali Nihat Yacizi et Geoffroy Borg, qui ont travaillé méthodiquement. Malheureusement pour Bessel Kok et les siens, une certaine arrogance transpire de leurs propos. Dès lors, cette élection se transforme d'une certaine manière en un affrontement Nord-Sud pour de nombreux délégués, ce que ne manquera pas d'exploiter la liste adverse. Par ailleurs, une élection à la tête d'une organisation internationale ne se gère pas comme une grande multinationale, avec la transparence voulue par le candidat néerlandais et son équipe. Leur incursion en politique est nouvelle et l'amateurisme dont ils ont fait preuve, en dévoilant qui les soutenait sur leur site www.rightmove06.org, se révèle être une arme à double tranchant qui se retourne contre eux.

Les soutiens de Kok sont en majorité européens, blancs et riches, alors que les soutiens de Kirsan sont multiculturels, sans distinction ethnique, avec de nombreux pays en voie de développement. Par ailleurs, tous les indécis, qui sont légions dans ce type d'élection et qui attendent de savoir qui est en tête à Turin pour faire allégeance, n'auront pas trop de problèmes grâce aux informations données par Kok.

Bessel Kok, accompagné de Nigel Short, avait pris récemment son bâton de challenger pour visiter la Thaïlande, Hong-Kong, l'Indonésie, Bruneï et la Malaisie. Sa vision sur le monde des échecs s'est certainement élargie à autre chose qu'aux tournois extraordinaires qu'il avait organisés durant les vingt dernières années. Il a pu se rendre compte, lors de ses voyages, que la cour de Grands Maîtres qui l'accompagne ne pèse pas beaucoup dans la décision des délégués des petits pays aux moyens modestes. La campagne lancée récemment pour dénoncer le « 1 pays = 1 voix » par les supporters de Bessel Kok n'arrangera certainement pas leurs affaires lors du vote des délégués de la FIDE.

Il faut espérer malgré tout, qu'à l'issue de cette campagne et du vote qui interviendra, de nouvelles orientations seront prises pour que les institutions représentatives du jeu d'échecs regagnent la crédibilité et le prestige, qui leur manquent cruellement aujourd'hui.

Bachar Kouatly