Evaluation et valeur relative

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En bref

« Un pion passé accroît sa force au fur et à mesure que le nombre de pièces diminue sur l'échiquier ».
José-Raul Capablanca (1888-1842)

La hiérarchie des pièces a été fixée dans l'absolu à partir de l'échelle 1 du pion. Mais la force des 32 figurines est évolutive. Leur valeur diminue ou augmente en cours de jeu.

La Dame, par exemple, est communément estimée à 10 pions. Un Cavalier et un Fou valant 3, on pourrait donc sacrifier sa Dame contre 3 pièces mineures plus 1 pion (3x3 = 9 + 1 = 10). Cet échange serait correct.

En valeur relative, tout dépend de la position (ouverte, fermée, etc.), et du stade où en la partie. La puissance de feu de la Dame s'accroît au fur et à mesure que les pièces disparaissent de l'échiquier.

Voici l'échelle d'évaluation standard :

Pion = 1

Cavalier = 3

Fou = 3

Tour = 5

Dame = 10

Un indice de majoration et de pondération

Si l'on veut y voir clair, il faudrait donc corriger en permanence la valeur des pièces. Voyons dans l'ouverture. Cette phase initiale est une course parallèle. Les deux camps cherchent, notamment, à prendre le contrôle effectif ou à distance des quatre cases du centre.

A ce stade, la valeur des pions « a », « b », « g » et « h » est inférieure à celle de leurs homologues des colonnes « c » et « f », et, a fortiori, des pions centraux « d » et « e ».

A contrario, en finale, ce sont souvent les pions des ailes qui font la différence. Leur valeur relative reste la même (1), mais leur valeur réelle pourrait être décuplée (10), car ils peuvent être potentiellement promus en Dame.

Voyons maintenant trois de ces critères minorant ou majorant la valeur des pièces :

1. Mobilité

Un Fou bloqué derrière ses pions vaut évidemment moins qu'un Fou rayonnant sur de grandes diagonales. Perdre ce « bon Fou » est un handicap. Réussir à échanger « ce mauvais Fou » est une bonne opération.

Il en va de même pour la valeur de vos Tours, qui varie énormément selon que l'on se situe dans l'ouverture, en milieu de partie ou en finale. Il est difficile d'exploiter correctement le potentiel offensif des Tours sans une colonne ouverte ou semi-ouverte. En conséquence, si vous pensez avoir une avance de développement, votre stratégie devrait consister à ouvrir des lignes.

C'est également le cas pour la paire de Fous, qui voit sa force croître au fur et à mesure que les pions sont éliminés. A contrario, les Cavaliers savent trouver de bonnes cases dans des positions fermées, même si là encore, la règle n'est pas absolue.

Autre exemple : en finale, on considère qu'une Dame a un avantage positionnel sur sa rivale, si elle occupe une case centrale. Ce n'est pas toujours vrai, mais pensez-y !

2. Collaboration

Offrir de la mobilité à vos pièces ne suffit pas... Encore faut-il que leur collaboration soit efficace ! Un Cavalier isolé à la bande ou un Fou exposé au centre sont des cibles naturelles.

Mieux vous contrôlez l'espace, avec une action coordonnée de vos troupes, moins vous serez en danger. Si vous avez déjà un avantage matériel, pensez à ne pas être trop gourmand. Il vaut parfois mieux préserver la bonne coordination de ses pièces, plutôt que de capturer un pion supplémentaire, qui peut être empoisonné...

Autre exemple, en finale : plus votre Roi est éloigné de votre chaîne de pions, voire de votre pion passé, plus l'équilibre de votre position sera fragilisé. Un pion passé isolé constitue une menace, mais aussi une faiblesse. Pensez-y avant d'engager une liquidation de pions à l'aile-Dame, si votre Roi est encore au centre ou pire, à l'aile-Roi.

3. Activité

Si vous avez l'initiative, poursuivez ! Plus vous accentuerez la pression, plus votre adversaire sera acculé en défense. Engagez une offensive positionnelle, par exemple, avec un jeu dynamique de pions sur une aile.

Une fois ce rapport de forces établi, vous pourrez activer toutes vos pièces encore hors jeu (comme les Tours), en les faisant participer à l'attaque avec des gains de temps précieux. Vous venez de rentrer dans le cercle vertueux de la partie gagnante !

Plus vous creuserez votre avantage, plus vous gagnerez de l'espace, plus vos pièces seront mobiles, moins votre adversaire aura de contre-jeu. Et ainsi de suite, jusqu'à l'abandon de votre rival, qui craquera nécessairement... Il sera asphyxié par votre emprise positionnelle.

Un dernier conseil : n'oubliez pas la tactique !

Créez votre propre système !

Pour évaluer classiquement une position, commencez par calculer l'indice d'activité des pièces en lice. Passez en revue tous les coups réellement jouables : éliminez les coups perdants, inutiles. Faites le total pour vous et votre adversaire... et comparez.

Mais vous pouvez également créer votre propre grille d'évaluation !

Par exemple, en finale, dites-vous qu'une Dame centralisée vaut 11, alors qu'une Dame collée à la bande vaut 9 ! Qu'un Cavalier n'ayant pas de bonne case vaut 2, alors qu'un Cavalier actif dans le camp ennemi vaut 4 ! Ou encore, qu'un Fou de mauvaise couleur vaut 2, et un Fou contrôlant des diagonales stratégiques vaut 4, etc.

Ces calculs peuvent vous paraître fastidieux, mais ils peuvent vous aider à ne pas vous tromper : vous avez peut-être un avantage positionnel !? Comment savoir qui a l'initiative ?

Vous serez surpris de constater que le déficit matériel d'un pion est souvent compensé par un indice d'activité supérieur. Ce type d'avantage n'est souvent que relatif.

Tout dépend de la dynamique de la position.

Une page d'histoire : du pionnier al-Adli à Capablanca

Les Grands Maîtres du Califat de Bagdad furent les premiers joueurs à attribuer une valeur objective aux pièces, dès le 9e siècle.

Ces champions avaient pour nom al-Adli (décédé v. 840), ou encore as-Suli (854-976). Ils prirent pour échelle l'unité monétaire de leur temps : le dirhem.

Les règles primitives indiennes étaient encore en vigueur. Les Fous, nommés « al-fil » (éléphants), se déplaçaient de deux cases en diagonale. Les mouvements de la Dame (« firzan », vizir) étaient limités à une case dans toutes les directions.

. Le Shah (Roi) avait la plus haute valeur. Mais celle-ci était inchiffrable, car « il serait indigne d'estimer la valeur du Roi », pouvait-on lire dans les traités anciens.

. Le Rukh (Tour) était le maître étalon. Sa valeur était estimée à 1 dirhem.

. Le Cheval (Cavalier) valait deux-tiers de dirhem.

. Le Vizir (Dame), un tiers de dirhem.

. L'Eléphant (Fou), un quart de dirhem.

. Les pions Roi et les pions Dame (pions centraux) valaient chacun un quart de dirhem. Les pions Fou et les pions Cavalier valaient chacun un cinquième de dirhem. Quant aux pions Tour, ils n'étaient estimés qu'à un huitième de dirhem, car « ils ne peuvent prendre que dans une direction ».

Les virtuoses du Califat se servaient de cette hiérarchie comme référence pour procéder à des échanges. Chaque champion avait ses préférences : par exemple, Abu'n Na'am conseillait l'échange d'un Fou contre deux pions, en toutes circonstances.