La FIDE : Un état des lieux calamiteux

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En bref

Le travail de M. Touvron est une première. Ses tableaux détaillent le nombre des classés Fide ainsi que le total des parties homologuées. Ces données permettent de mieux cerner l'état actuel du jeu d'échecs dans le monde.

par Léo Battesti

Vice-Président de la FFE

Cet article a été traduit sur le site de Chessbase

Voir les tableaux de statistiques de M. Fabrice Touvron

Cela paraît incroyable, mais le travail réalisé par M. Touvron est une première. Ses tableaux détaillent, fédération par fédération, le nombre des classés Fide par tranches Elo ainsi que le total des parties homologuées. Ces données permettent de mieux cerner l'état actuel du sport échiquéen dans le monde.

A quelques mois des elections à cette même FIDE, cette analyse s'avére édifiante sur l'état calamiteux de notre discipline dans le monde.

Politiques élitistes

Imaginez le football qui n'aurait, sur l'ensemble de la planète, que des joueurs de ligue 1 et de ligue 2. C'est un peu cela les échecs aujourd'hui pour l'immense majorité des 143 pays concernés.

La plupart des fédérations ont, en effet, une politique très élitiste et délaissent le monde amateur. L'évolutionnisme tient lieu de politique, seuls survivent les mieux armés. La masse n'est pas organisée. Peu de compétitions et d'approches spécifiques. Savez-vous, par exemple, que la FFE est la seule à organiser un championnat national des jeunes regroupant plus de 1 000 joueurs ?...

L'Allemagne, en tête du classement, donne le ton : 8394 joueurs classés Fide à plus de 2000 elo pour à peine 5388 pour l'ensemble des autres catégories... Constat encore plus évident pour la Russie (8813/3610). L'importance de l'élite russe est toutefois à relativiser par rapport à sa population et au nombre de parties homologuées. Comparés à ceux de la France, les chiffres sont surprenants : 0,0088 de la population contre 0,012 et 18 114 parties homologuées contre 21 349. Les joueurs russes à plus de 2000 elo ne jouent donc qu'occasionellement. Mais que font donc leur 1 501 joueurs titrés (GMI,MI et MF) !

Même constat pour la plupart des pays, les USA, par exemple, ne comptent que 297 joueurs à moins de 2000 elo sur un total, déjà faible, de 2227.

Mais les maîtres en la matière sont les chinois : à peine 398 licenciés Fide dont 9 % à peine ont moins de 2000 elo. Pour une population de 1 338 000 000 habitants.

Au niveau mondial, les conséquences de ces choix élitistes sont édifiantes : 42 894 joueurs ont un élo supérieur à 2000, 32460 un elo entre 1800 et 2000.

Or, à peine 19 888 licenciés dans le monde ont un elo fide inférieur à 1800 ! A noter que la France et l'Espagne représentent 17 % de cette catégorie et les 10 premiers pays 67 %... Ces deux fédérations ont, en effet, un ensemble plus harmonieux, respectivement 3628 / 6434 et 2751/5282 (elo+2000/elo-2000)

Garry Kasparov & Léo Battesti. Photo © Léo Battesti

Fin des mythes

A la lecture de ces tableaux, d'autres mythes s'effondrent.

La Turquie, qui a généralisé l'enseignement au niveau des écoles, est loin au classement. Elle stagne à la 25e place avec à peine 1 056 licenciés Fide et uniquement 1 117 parties homologuées contre 21 349 pour la France. Le seul enseignement dans les écoles n'est donc pas suffisant pour développer ce sport. Les structures de terrain, les liens entre l'école et les clubs, l'organisation fédérale sont autant d'outils indispensables. Des atouts qui, à l'évidence, ne sont exploités que par une poignée de pays.

Des critères économiques peuvent être, certes, invoqués, mais ne suffisent pas à expliquer que sur 295 061 parties homologuées, 77 % se déroulent dans les 20 premiers pays (227 972). Les faiblesses structurelles sont particulièrement criantes au niveau de territoires pourtant riches et de bonne tradition échiquéenne : USA (3 235 parties), Royaume-Uni (à peine 1 487, soit moins que la Corse 2167 !)), Pays Bas (3 820). La palme d'or revient, par contre, à l'Espagne (38 9110) devant l'Allemagne (31506), la Tchéquie et la France.

Pseudo démocratie interne

Les élections de la Fide vont donc se dérouler avec le corps électoral suivant : Votants, 143. Soit 1 Fédération, 1 voix. A l'instar, malheureusement, de la plupart des fédérations sportives.

Ainsi 50 pays vont représenter une moyenne de 28 joueurs (certains de 1 à 5...) et peser autant, dans leur choix que, l'Allemagne 1 voix pour 13782, la Russie 1 voix pour 12423 etc.

Que toutes les Fédérations soient représentées, est un droit. Sauf celles qui n'ont qu'une existence virtuelle. Mais que des déséquilibres aussi monstrueux soient acceptés est une entrave aux principes démocratiques. De fait, on l'aura compris, cet alibi d'égalitarisme ne sert qu'à maintenir un système de contrôle de fédérations n'ayant aucune existence réelle et dont les délégués qui se rendent aux olympiades sont parfois les seuls membres. Invités, le plus souvent, par le Président sortant...

Confrontées à cette problématique, quelques fédérations exigent un minimum de licenciés et de clubs pour distinguer fédération membre de plein droit et fédérations associées.

Une telle réforme paraîtrait opportune pour dynamiser la FIDE. Mais, cruelle contradiction pour des amateurs du noble jeu, c'est la stratégie qui fait défaut aux dirigeants échiquéens. L'essentiel de l'activité FIDE est concentrée sur l'élite de l'élite. L'illusion d'un fonctionnement tient uniquement dans l'organisation du cycle du championnat du monde. Lors de sa dernière AG à Turin, pas une ligne, pas un mot n'ont été consacrés à une politique d'ensemble permettant d'élargir la base de la pyramide. Et le budget consacré à la politique scolaire ou aux jeunes est dérisoire et bien léger face, par exemple, aux frais de fonctionnement...

Susan Polgar & Léo Battesti. Photo www.susanpolgar.blogspot.com

La candidature d'Anatoly Karpov à la Présidence de la FIDE est de nature à susciter des espoirs. Le champion russe a, depuis longtemps, compris l'importance du développement des Echecs à l'école. N'a-t'il pas créé plusieurs dizaines d'écoles Karpov dans le monde. C'est, forcément, de bon augure.

Dans des régions où est développée une stratégie de masse le pourcentage des moins de 2000 est de l'ordre de 90 %. Imaginez l'impact au niveau international, il y aurait, tout bonnement, 400 000 classés FIDE supplémentaires !

Les chiffres clés *

  143 fédérations, 116 362 licenciés classés Fide
  Top ten : Allemagne, Russie, Espagne, France, Inde, Pologne, Hongrie, Italie, Tchèquie, Serbie
  Les 7 premiers pays ont pratiquement le même nombre de licencés Fide que les 136 autres !
  Les 20 premiers pays (85439) ont près de 3 fois plus de licenciés que les 123 autres (30923)
  50 derniers pays (2217) ont près de 4 fois moins de joueurs classés que la seule France (8033)
  Seules 26 fédérations dépassent les 1 000 classés FIDE....

* Merci à M. Fabrice Touvron, joueur d'Echecs du Var, pour son remarquable travail de recherche qui me permet aujourd'hui de vous livrer ces réflexions relatives aux licenciés Fide dans le monde.