Interview de Laurent Vérat

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Laurent Vérat, directeur général de la FFE

En bref

Le directeur général de la FFE présente le Championnat de France et évoque l'actualité.

- Quelles sont les particularités du Championnat de France de Pau ?

Je crois que la principale caractéristique, c’est le lieu des compétitions, au Palais Beaumont. Ce Centre des Congrès est vraiment l’un des plus beaux qu’il m’ait été donné de voir. Entièrement rénové il y a quelques années, il est ultra fonctionnel, tout en gardant son charme d’origine. De plus, il est parfaitement intégré à la ville elle-même, et offre une perspective superbe sur la chaine des Pyrénées.

Quant à la ville de Pau, elle présente de nombreux atouts touristiques et devrait satisfaire, comme en 2008, les compétiteurs ainsi que leurs familles.

Le championnat de France, qui fête en 2012 sa 87e édition, conserve toujours son attrait et sa spécificité dans sa configuration actuelle, à laquelle je reste personnellement très attaché.

- Pouvez-vous détailler les nouveautés de ce Championat de France ?

Il existe un Règlement de la compétition, qui fixe les critères de qualification, et qui n’a pas changé. La seule modification est la disparition du National B, et le fait que les qualifiés viendront maintenant de l’Accession.

- L'an dernier, la retransmission des parties dans la salle était retardée de 30 minutes, ôtant tout intérêt pour les spectateurs. Jordi Lopez (de la FFE) prédisait alors que ca allait devenir la norme. Force est de constater, un an après, qu'aucun tournoi n'a appliqué cette mesure. Comptez-vous la maintenir cette année ?

Il y avait l’année dernière une forte pression liée à l’affaire de la triche. Tout le monde y allait de son avis et de sa proposition, et compte tenu de l’impossibilité de satisfaire les nombreuses opinions divergentes sur la question, nous avions décidé qu’il s’agissait de la moins mauvaise solution ; j’avoue que ce n’était certainement pas la meilleure de nos idées ! Elle ne sera donc pas renouvelée cette année.

- La retransmission des parties sur internet sera-t-elle en différé ?

Non.

- A l'heure où tournois et championnats majeurs offrent aux internautes analyses et vidéos en direct, pourquoi la FFE utilise encore un système vieux de plusieurs années, inadapté aux évolutions technologiques ? De même, pourquoi n'avoir pas fait évoluer le site internet de la FFE ?

Les tournois et championnats majeurs qui utilisent ces technologies disposent de ressources sans aucune mesure avec celles de la FFE.

Excusez-moi de ne pas répondre directement à la question, mais une mise au point préalable s’impose, à mon sens. En tant que fédération sportive, nous avons un certain nombre de missions de base à remplir, et nous n’y parvenons qu’avec grande difficulté. Nous devons gérer une fédération de 900 clubs, 60.000 adhérents et manager cette petite PME ; organiser des championnats de France, individuels et par équipes, qui sont devenus de très gros événements, rechercher des partenaires, faire vivre ces partenariats, organiser les temps institutionnels de l’association, en interne comme à l’international ; et tout un tas d’autres missions dont je ne vous infligerai pas l’énumération ici !

Les fédérations sportives similaires à la notre disposent environ de 15 à 30 personnes salariées à plein temps ; nous ne sommes que 8... Il existe un déséquilibre structurel qui pénalise la FFE, car il y a inadéquation entre les charges qui pèsent sur elle et les moyens dont elle dispose. Mes 7 années à la tête opérationnelle de la FFE m’ont convaincu qu’il y avait une vraie urgence à corriger ce déséquilibre. Je ne rentrerai pas ici dans une analyse détaillée car ce n’est pas le lieu, mais cette problématique de structuration devrait à mon sens être le premier des thèmes de campagne pour les prochaines élections. Et ce serait un service inestimable pour les clubs et les joueurs, mieux soutenus encore par une fédération qui disposerait alors vraiment des moyens de remplir au mieux ses missions. Ceci est d’autant plus vrai qu’avec son installation dans les splendides locaux de la Commanderie des Templiers à Elancourt, le FFE a pérennisé son implantation pour de très nombreuses années.

Pour en revenir à la question spécifique sur Internet, et compte tenu de ce que je viens d’exposer, nous sommes obligés de prioriser les choix budgétaires. J’aimerais qu’il en fut autrement, et je pense qu’il peut en être autrement, mais force est de constater que, dans l’état de structuration actuel, nous n’avons pas les moyens de tout faire. Et nous considérons que le niveau de nos retransmissions est convenable, que leur amélioration ne constitue donc pas une priorité.

- Un forum sur le site de la FFE n'enrichirait-il pas la vie démocratique de la Fédération ?

Je ne suis pas favorable à un forum. D’abord, il nécessiterait des ressources supplémentaires pour le gérer et le modérer. D’autre part, je pense que notre site doit rester un site institutionnel, et que les aficionados de polémiques sans fin disposent déjà d’espaces dédiés au sein des sites échiquéens francophones, sur lesquels ils peuvent se défouler à loisir.

- Vous avez appliqué une simple suggestion de la commission technique de la FIDE concernant l'interdiction de nulle par accord mutuel. Au nom de la cohérence, pourquoi ne pas appliquer les autres mesures proposées par cette commission ?

Il existe au sein de la FFE une instance élue, le Comité Directeur, qui sera d’ailleurs renouvelé le 31 mars 2013. Celui-ci est mandaté pour faire des choix. A la suite de plusieurs longs débats sur le sujet, le CD a décidé de voter point par point, et a adopté l’interdiction de la nulle par consentement mutuel, avec un champ d’application défini qui n’a effectivement pas suivi exactement les préconisations de la Commission Technique fédérale.

Ceux qui considèrent que ce choix politique, ou d’autres orientations prises dans d’autres domaines, manquent de cohérence, auront la liberté d’exprimer cette conviction dans les urnes le 31 mars 2013.

- Sera-t-il un jour possible de jouer aux échecs via le site FFE ?

Il existe pléthore de sites de jeu online. La FFE n’a pas à concurrencer les sites existants. De plus, sa mission de base est de servir les clubs, et il y aurait à mon sens une incohérence à vouloir remplir nos clubs tout en proposant nous-mêmes une alternative online. Enfin, nous avons un ministère de tutelle qui ne voit pas d’un très bon œil que l’on puisse pratiquer une activité sportive sur Internet, et qui nous l’a clairement fait savoir.

Ceci étant, nous avons parfaitement conscience de l’importance du media Internet pour le jeu d’échecs. La FFE a donc vocation à promouvoir des partenariats, et c’est précisément ce que nous sommes en train de préparer avec la zone de jeu d’Europe Echecs. Nos licenciés pourront ainsi bénéficier d’un accès privilégié vers le site francophone leader en la matière.

Le site de la FFE

- Le Championnat de France risque d'être pollué par l'affaire de triche présumée : Sébastien Feller a annoncé sa présence à Pau, malgré l'interdiction faite par la FFE. Quand en aura-t-on fini avec cette histoire ?

Remettons les choses à plat… En réalité, il s’agit simplement de 3 joueurs qui ont été pris la main dans le sac, et qui ont décidé d’être dans le déni de réalité. Le 11 septembre n’a jamais existé, l’Homme n’est jamais allé sur la Lune, et la FFE a ourdi un complot machiavélique contre ses joueurs.

Je comprends les joueurs d’échecs qui déplorent la médiatisation qui a été faite de l’affaire. Aurions-nous dû poser un voile pudique dessus, et demander aux medias de passer leur chemin lorsqu’ils nous sollicitaient ? On en aurait vite conclu que la FFE ne souhaitait pas s’exprimer et, en quelque sorte, couvrait les agissements de ses joueurs.

Je comprends aussi les joueurs d’échecs qui déplorent tout l’argent dépensé dans cette affaire, et ils ont raison. Je n’ai pas fait mystère, dans le rapport d’activité FFE, des 57.000 € dépensés en 2011 pour cette affaire. Qu’aurions-nous dû faire ? Ne pas dévoiler la triche, et la cacher ? Nous nous y sommes évidemment refusés. A partir du moment où Sébastien Feller nous signifie, par l’intermédiaire d’un avocat, qu’il ne s’est rien passé et qu’il convient de lui régler l’intégralité de ses primes et prix, il ne nous laisse plus beaucoup de choix… Nous devons porter plainte, ou le laisser encaisser impunément ces sommes – que nous lui avons quand même versées afin de respecter la présomption d’innocence ! La suite est une cascade de développements juridiques et procéduraux dont l’unique but est de masquer la triste réalité.

A un moment donné, Cyril Marzolo a saisi l’opportunité que lui offrait le CNOSF d’une « conciliation facultative ». J’ai eu l’occasion de dire de vive voix à Sébastien Feller que ma porte était ouverte pour une telle conciliation, tant qu’elle restait possible du point de vue du Code du Sport ; il m’a fait comprendre qu’il ne « pourrait » pas faire machine arrière… Ce qui m’amène à l’influence des entourages, qui a joué un rôle décisif, ce que je déplore vivement. Arnaud Hauchard est un excellent entraîneur, Sébastien Feller, que je connais très peu, à l’évidence un joueur talentueux et travailleur. Je suis sincèrement triste pour eux qu’ils s’entêtent à ce point alors que les voies procédurales s’éteignent les unes après les autres, et qu’il leur faudra bien répondre sur le fond un jour. En ne dévoilant pas l’affaire sur place en Russie - et Dieu sait si nous avons eu des débats en interne à ce sujet -, nous avons souhaité éviter une catastrophe ; j’avoue avoir eu peur qu’ils puissent être incarcérés là-bas, et j’ai milité pour qu’on les laisse rentrer en France. Par la suite, il leur suffisait juste de faire amende honorable. Mais, avec leurs conseils, ils en ont décidé autrement…

Pour revenir au championnat de France à Pau, notre interprétation de la récente décision de justice est que la suspension FIDE n’est pas remise en cause ; Sébastien Feller ne pourra donc pas jouer… La seule possibilité qui leur reste, si ils daignent un jour se présenter devant une juridiction sportive, ce qu’ils n’ont jamais fait jusqu’à présent en 4 occasions (Discipline, Appel, Cnosf, Fide), c’est d’en appeler au Tribunal Arbitral du Sport à Lausanne.

De son côté, la FIDE nous a déjà prévenus que si nous contrevenions à son jugement, nous nous exposerions, non seulement à l’invalidation du Championnat de France, mais aussi à l’exclusion pure et simple de la FFE, comme l'indique le mail que nous avons reçu ! [NDLR : vous pouvez consulter ce mail de la Fide dans le document ci-contre.]

- Qu'en est-il des 2 polémiques liées aux Olympiades (l'interdiction des arbitres français / les chambres individuelles à des prix exorbitants) ?

Le diktat imposé unilatéralement par l’organisation turque ne laissait guère de choix ; accepter ces conditions iniques, ou boycotter la compétition. Nous étions prêts pour cette deuxième option, à la seule condition de ne pas être seuls ; or, après quelques tergiversations, les principales fédérations amies, souvent sous la pression de leurs joueurs - il faut le dire - ont décidé de participer quand même.

- La FFE, dans sa convention avec le ministère des sports, se doit de valoriser les féminines. Dans ce cadre, et au nom du principe d'égalité, pourquoi ne pas rémunérer de la même manière les membres de l'équipe de France, hommes et femmes ?

Sur le plan philosophique ou éthique, c’est une question intéressante ; on peut aussi l’analyser au regard des justes revendications en matière d’égalité salariale entre hommes et femmes. En pratique, le problème est que les femmes sont moins fortes que les hommes, et que nombre de ces derniers considèrent inéquitable l’application d’une stricte égalité ; et ce d’autant que l’investissement de femmes semi-professionnelles, voire amateurs, n’est pas le même que celui de joueurs de haut niveau.

Comme le budget est contraint et qu’il n’est donc pas envisageable d’élever la prime des femmes au niveau de celle des hommes, nous sommes obligés de laisser les choses en l’état… De l’impossibilité de satisfaire tout le monde !