Jacques Lambert, ancien Président de la FFE, nous a quittés

In memoriam Jacques Lambert

Publié le - Mis à jour le

En bref

Europe-Echecs apprend avec tristesse la disparition de Jacques Lambert à l'âge de 88 ans qui a été président de la Fédération Française des Échecs (FFE) de 1976 à 1987. À sa famille, ses amis, son club, nous présentons nos sincères condoléances. Adieu Jacques !

J’apprends avec tristesse la disparition de Jacques Lambert à l'âge de 88 ans, qui a été président de la Fédération Française des Échecs (FFE) de 1976 à 1987. J’ai connu Jacques Lambert en tant que jeune joueur arrivant en France, suite à la guerre civile au Liban.

C’est un grand président de la FFE, qui a engagé les réformes qui ont mené au développement de la FFE et du jeu d’échecs en France aujourd’hui. Je me rappelle qu’il a détecté Jean-Claude Loubatière qui était à son époque directeur technique national et c’est ce tandem qui a développé l’activité échiquéenne pour le secteur de la jeunesse.
Les résultats éminents de nos jeunes joueurs depuis les années 80 doivent beaucoup à l’impulsion initiée par Jacques Lambert.

Je me rappelle d’un homme qui n’avait pas sa langue dans sa poche lorsque nous nous vîmes lors d’un week-end de février 2020 afin d’évoquer l’histoire de la FFE et de la préparation du centenaire pour mars 2021. L’échange avec cette mémoire de la FFE est restée gravée dans mon esprit. Jean Bertrand ancien président de la FFE et Georges Bertola étaient présents.

Un autre souvenir que j’ai en mémoire est sa présence aux côtés de l’équipe de France à Dubaï aux olympiades de 1986 et la réception amicale à la résidence de l’ambassadeur de France en soirée, au cours de laquelle les équipes étaient conviées en présence du Président Lambert qui en étonna plus d’un par ses qualités de danseur.

Je me souviens également d’un grand moment d’émotion à l’assemblée générale de la FFE le 29 juin 2019 ou en fin de séance le président Lambert parla avec brio de la FFE et démontra encore une fois que sa vie avait été en grande partie liée à l’essor du jeu d’échecs en France.

Il fut longuement applaudi debout dans un moment de communion.

À sa famille, ses amis, son club, je présente mes sincères condoléances en mon nom et au nom du monde des échecs. Adieu Jacques !

Bachar Kouatly

Le 8 février 2020 dans les locaux de la Fédération Française des Échecs, à Asnières, sur invitation du président Bachar Kouatly, j’ai eu le plaisir de rencontrer Jacques Lambert, ancien président de la FFE. Nous avons partagé un moment, émouvant, plein de souvenirs et de nostalgie en compagnie d’un autre président Jean Bertrand.

Georges Bertola : D’où vous est venu l’intérêt pour le jeu d’échecs ?

Jacques Lambert : Vers l’âge de 13 ans, alors que je connaissais la marche des pièces, je me suis rendu dans le club d’échecs du Mans. Les locaux se trouvaient dans un grand café de la place principale de la ville. J’ai joué contre un ou deux joueurs, qui avaient été faits prisonniers pendant la guerre et qui étaient de retour en France. J’ai gagné et l’on m’a conduit vers un monsieur très digne, très sérieux qui m’a mis une épouvantable raclée et m’a considéré comme une mazette. Je me suis levé et me suis dit que peut-être un jour je pourrais être à sa place, être le joueur le plus fort du club.

GB : Pourtant vous vous êtes plutôt intéressé à l’aspect organisationnel pour devenir président de la FFE.

Jacques Lambert : Effectivement, ce qui m’a surtout intéressé par la suite c’est d’organiser. La quantité de textes qui sont issus de ma machine à écrire, c’est absolument affolant. C’était facile à ce moment-là car il n’y avait rien. Les comités départementaux n’existaient pas, les ligues n’étaient que des provinces tenues par des ducs, des barons qui faisaient ce qu’ils voulaient et ne savaient même pas les départements qui dépendaient de leur juridiction. Il n’y avait pas de catégories jeunes, de compétitions sérieuses à part la « Coupe de France ». Quand il n’y a rien, c’est facile de créer beaucoup !

GB : A quel moment avez-vous exercé la présidence ?

Jacques Lambert : De 1976 dans la pratique à 1987, une douzaine d’années, ce qui fait beaucoup.

GB : C’était une époque où l’URSS et les pays de l’Est exerçaient leur domination. Avez-vous eu des contacts fréquents avec les Soviétiques ?

Jacques Lambert: Fréquents non, des relations avec des dirigeants soviétiques parfois. C’étaient toujours des relations étranges, du chantage avec une méthode que j’ai employée deux ou trois fois et qui marchait bien mais pas d’une élégance extraordinaire. C’était de dire : Oh, vous savez je voudrais beaucoup ceci, bon bien entendu, si ne je ne peux pas l’avoir, alors cela peut-être me conviendrait. Quelques jours après, ils me répondirent : « Ah, Jacques cela n’est pas possible ! Mais vous aurez ceci si vous voulez. »

J’étais content car c’est justement ce que voulais…

Jean Bertrand, Jacques Lambert et Georges Bertola

G.B : Les Soviétiques étaient donc les véritables patrons de la FIDE ?

Jacques Lambert : Non seulement ils étaient les patrons mais ils avaient l’impression de diriger le monde. La FFE n’était rien du tout sur le plan échiquéen. Un an avant ma présidence nous avions perdu contre Monaco et fait nul contre les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey, c’était loin d’être extraordinaire. Lorsque j’ai pris la présidence il n’y avait qu’un seul maître international en France, Aldo Haïk. Il était seul pour se préparer, obtenir ses normes et il a réussi. La FFE n’avait pas les moyens de l’aider. Aldo venait d’être sanctionné pour avoir abandonné un tournoi avant la fin, je crois que c’était le championnat de France, et je me souviens que lors de ma première réunion avec le bureau, j’ai exigé trois choses : Premièrement - que Haïk soit réintégré, deuxièmement - que toute personne qui dit du mal des joueurs français soit virée et troisièmement - comme j’ai des douleurs dans le dos, je voyagerais en 1ère classe !

C’était les trois premières décisions d’un président énergique.

GB : A cette époque, le nombre de clubs affiliés à la FFE était-il très différent ?

Jacques Lambert : Le nombre de clubs n’a pas évolué de manière extraordinaire. Un des grands drames qui a précédé mon temps de présidence était le problème des clandestins. Tout le monde se rappelle qu’il y avait une guerre terrible. Si vous aviez un club vous deviez déclarer tous vos joueurs, sinon vous aviez des clandestins. Je trouvais ce raisonnement stupide. Si dans un club il y a 52 personnes qui viennent jouer et que seuls 5 joueurs font de la compétition, pourquoi les autres prendraient-ils une licence ? Il faut que l’on crée des compétitions pour tout le monde et quand les gens auront un choix de compétitions, ils prendront une licence de façon logique. On ne devient pas licencié à la FFE pour des raisons sentimentales. Ceci a été une des raisons pour laquelle j’ai lancé la départementalisation.

GB : Comment expliquer que à cette époque, contrairement aux Pays-Bas, à l’Allemagne ou même la Suisse, peu de tournois internationaux étaient organisés en France ?

Jacques Lambert : Je vais prendre quelques risques mais il n’y avait pas de FFE, il y avait une ligue « Ile de France » qui gérait toute la vie nationale et internationale et la province n’existait pas. Il y avait quelques pôles actifs, par exemple l’Alsace mais qui allait jouer en Allemagne ou la ligue du Nord qui allait jouer en Belgique. Pour le reste de la France, il n’y avait presque rien, à part la Coupe de France, le championnat de France et la Coupe « Biscay » pour les jeunes. Pas de compétitions, pas de structure, quelqu’un qui habitait Montpellier, Orange ou Brest n’avait aucun lien avec la Fédération.

Jacques Lambert | Photo ML - YVON LOUE Le Maine Libre

GB : C’est donc devenu très différent aujourd’hui ?

Jacques Lambert : Cela a bien changé. Bon, il doit y avoir prescription. Disons qu’un de mes atouts pour réussir a été de montrer aux clubs de province que l’Ile de France était un colosse aux pieds d’argile et qu’ils pouvaient eux, les provinciaux, prendre le pouvoir et faire des réalisations qui étaient égales à celles de l’Ile de France. La départementalisation, la création des championnats départementaux, que ce soit en catégorie jeune ou tout autre catégorie était quelque chose qui a complètement modifié la vision du monde des échecs parce que tout le monde avait une raison de prendre une licence. Il y a eu, avec le génie particulier de Jean-Paul Loubatière, qui était le président technique de l’époque, cette création des Nationales 1, Nationales 2 et 3 qui a bouleversé la vie française. Ceci parce que les Mairies, lorsqu’on leur a dit qu’elles avaient une équipe en Nationales 2 ont compris que c’était comme une équipe « nationale 2 » comparable au football. Elles ont donc trouvé normal de subventionner une équipe en Nationales 2 par exemple. Les clubs se sont retrouvés avec plus d’argent et une notoriété plus importante. Ce qui, au niveau des villes, a eu pour conséquence qu’une équipe en Nationales 2 ne pouvait pas continuer à vivre sa vie dans un bistrot et nous avons obtenu des salles dans des « Maisons de jeunes », des salles communales. C’est l’aventure extraordinaire des Nationales qui a sorti la Fédération des bistrots où elle se trouvait avant.

GB : Comment percevez-vous l’évolution avec une France qui compte plus de 50 grands-maîtres, un championnat jeune qui réunit plus de mille joueurs, une équipe de France capable d’aligner des GMI de haut niveau. Cela vous intéresse-t-il toujours ?

Jacques Lambert : Cela m’intéresse sans m’étonner ! Et ceci à partir du moment où on a disposé d’une structure. Car aucune Fédération française n’avait une structure aussi belle que la nôtre et de très loin. On a toutes les catégories jeunes, des Nationales, le Top 16 et une centaine d’opens en France. Aucune Fédération sportive française n’offre une telle palette, un tel éventail de compétitions. Nous avons une force considérable. Tout individu qui a envie de consacrer une dizaine de week-ends ou plus à la compétition a une place dans notre Fédération. Je n’ai pas vraiment réussi mais j’aurai aimé que la Fédération développe, comme pour le bridge, des tournois complets qui se seraient déroulés sur un week-end ou sur un dimanche seulement avec le jeu semi-rapide. Qu’il y ait un classement indépendant du classement Elo. J’ai été rattrapé par la suite par les sportifs acharnés qui ont fait du classement rapide une sorte de petit Elo mais cela n’a pas donné cette ouverture vers un public plus large que je souhaitais. On ne peut pas tout réussir dans la vie.

GB : Vous avez vécu en direct un championnat du monde opposant Karpov à Kasparov. Ceci avant l’informatique, les champions étaient alors admirés, évoluant dans une sphère où eux seuls ou presque comprenaient ce qui se passait. Comment avez-vous vécu ces moments ?

Jacques Lambert : J’ai eu deux satisfactions dans ma vie fédérale. La première lorsque nous avons reçu un petit courrier de Spassky nous disant : « Si vous le voulez, je jouerais dans votre équipe. » Quel extraordinaire évènement, un champion du Monde qui nous dit que les équipes françaises ont un niveau suffisant pour que, au vu de son prestige, il puisse intégrer l’équipe de France sans déchoir ! Ensuite ma participation à la commission d’appel du championnat du monde. C’était la reconnaissance mondiale, une consécration pour un représentant de la France. Il pouvait contribuer sur le plan international au développement d’une compétition comme celle du championnat du monde.

GB : Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous motive encore sur la planète échecs ? Suivez-vous les exploits des meilleurs joueurs ?

Jacques Lambert : Je suis arrivé dans une Fédération qui n’avait pas de structures, j’ai pris un plaisir immense à créer ses structures. Quel rôle jouait les meilleurs joueurs français lorsqu’il n’y avait pas de structure sportive ? Pas grand-chose, je ne pouvais guère les aider et eux leur prestige était insuffisant pour m’aider. Les relations que j’avais en tant que président avec les meilleurs joueurs français étaient certes amicales. Lorsque de grands opens se sont développés, alors à ce moment-là, il a pu apparaître un lien d’intérêt entre les joueurs et la Fédération. A l’époque, un très bon joueur qui était engagé par un club, grâce à une action de la Fédération, gagnait sa vie ! Nous avions à la fois un lien d’intérêt et de prestige qui allait dans les deux sens. C’était un échange positif. L’idée d’échanger du prestige m’a beaucoup intéressé mais l’idée d’admirer béatement nos meilleurs joueurs, j’aurais pu le faire mais ce n’était pas mon affaire.

GB : Alors qu’est ce qui est le plus important ?

Jacques Lambert : Ce qui me motive, c’est le nombre de joueurs. Dans l’Open du Mans, je n’ai pas de très grands joueurs mais il y a 250 participants donc je suis enchanté. Lorsque je vois que dans un tournoi il y avait 10 ou même 12 MI ou GMI mais seulement 80 joueurs, j’observe cela d’un œil plutôt amusé. Tant que les dirigeants français n’ont pas considéré qu’il fallait construire une base solide de la pyramide, il n’y avait rien de fait. J’ai été passionné par la construction de cette base de la pyramide. C’était ma vie, cela reste ma vie. Le sommet de la pyramide, je l’observe et l’aime bien mais ce n’est vraiment pas ma tasse de thé.

Georges Bertola

Bachar Kouatly et Jacques_Lambert en février 2020