En bref
Notre ami, Adrien Hervais nous a quittés cette nuit dans son sommeil.
Nos premières pensées vont évidemment à ses parents, Alain et Monique, qui l'accompagnaient dans les nombreuses compétitions auxquelles il participait.
On retiendra bien sûr son incroyable palmarès comportant 12 titres de champion de France des déficients visuels ! Il y a tout juste un an, il était le principal artisan d'un projet hors du commun : l'organisation à Lyon du Championnat d'Europe des déficients Visuels à Lyon.
Malgré les difficultés, sa détermination a permis de faire de cette compétition inédite en France, un franc succès. La vivacité d'esprit, la persévérance et l'énergie d'Adrien étaient de puissants moteurs pour notre jeune Direction Nationale du Handicap.
L'éventail de ses compétences techniques et réglementaire dépassant largement notre secteur. Nous perdons aujourd'hui, un champion, une éminence mais surtout un ami.
Communiqué par Frédéric Loyarte, Directeur National du Handicap
Source www.echecs.asso.fr
J'ai appris la terrible nouvelle du décès d'Adrien Hervais cette nuit.
Adrien avait participé activement en juillet 2015 à la tenue à Lyon du championnat d'Europe des déficients visuels. C'était un compétiteur de premier plan puisqu'il venait de remporter son 12e championnat de France des déficients visuels à Sète en mai dernier. Il était très actif en tant que Président du club de Rouen.
J'avais demandé à Adrien de rejoindre ma liste au mois de mai et il m'avait fait l'honneur d'accepter. Nous avions beaucoup échangé autour du rôle qu'il aurait si nous étions élus. Il m'avait dit qu'il serait heureux et fier de pouvoir servir la FFE et sa maman me l'a confirmé ce matin.
J'adresse à sa maman, son papa et à tous ses amis mes plus sincères condoléances.
Bachar Kouatly
Le Stephen Hawking des échecs, PAR JEAN STAUNE
J’avais entendu parler d’Adrien Hervais et ses onze titres de champion de France des Mal Voyants. Et j’avais vu une photo de lui, mais, avant un Interclub le mois dernier, je ne l’avais jamais rencontré. Le voir est assez impressionnant car il cumule pas moins de quatre handicaps ! Sa taille est comparable à celle du pianiste Michel Petrucciani (99 cm), mais il est beaucoup plus maigre et surtout quasiment paralysé (il peut marcher un tout petit peu pour entretenir ses muscles mais en temps normal il est dans une chaise roulante de toute petite taille). Victime d’insuffisance respiratoire, il se déplace avec des tuyaux qui lui infusent de l’oxygène dans le nez, et, surtout, il est aveugle depuis l’âge de quatre ans. Cela ne l’empêche pas d’avoir quasiment atteint un niveau de 2100 (légèrement retombé à 2070 aujourd’hui) dès l’âge de 16 ans, ayant commencé à jouer aux échecs à six ans et demi.
Quand on le voit ainsi réfléchir, sa grosse tête tournée vers le ciel, qui vous regarde sans vous voir, on se dit que les échecs doivent être son unique passion et qu’il est en permanence immergé dans le monde des 64 cases pour fuir la réalité qui est la sienne. Mais en fait il n’en est rien !
Il a étudié pendant 5 ans le droit public à l’Université de Rouen et a obtenu dans ce domaine un DEA, avec un mémoire consacré à la politique française concernant les cellules souches embryonnaires. Sur ce point, sa position est que la France, par rapport aux Etats-Unis ou à d’autres pays, possède suffisamment de garde-fous pour qu’on puisse se lancer dans certaines recherches visant à éradiquer des maladies génétiques rares, une position qui n’est pas sans lien avec sa propre situation. Passionné de politique (il aurait préféré faire Science-Po plutôt que du droit public s’il y avait eu un institut d’études politique à Rouen), il anime une émission sur ce thème sur une radio libre locale et s’investit également dans différentes manifestations de lutte contre toute forme de discrimination.
Comme de nombreux jeunes, il a bénéficié d’un professeur pour progresser mais étant donné le très petit nombre de livre d’échecs disponible en braille, il doit se faire lire les livres et les revues d’échecs. Il nous dit que contrairement à des joueurs d’échecs non-voyants qui utilisent en permanence un échiquier avec leurs mains, il se représente d’abord les parties dans son cerveau puis confirme la situation en touchant avec ses mains. Il est président du Club d’Echecs de Rouen, le plus grand club d’échecs du département et est capitaine de son équipe. Il aime les positions ouvertes mais dit ne pas lui-même agresser l’adversaire en premier, car il aime jouer en contre-attaque. Contre un joueur à 2150, il a joué avec les noirs une ouverture assez étrange qui donne le centre aux blancs (1d4 d5 2c4 e6 3Cc3 Cf6 4Cxd5 Cxd5 ?!), et pourtant il a trouvé assez facilement une façon d’obtenir la nulle par répétition du coup, ce qui a contribué à la victoire de son équipe sur la nôtre, le Club 608, pourtant nettement plus forte en moyenne Elo.
Adrien ne se considère pas comme un héros même s’il comprend que ce qu’il fait peut sembler extraordinaire au vu de son état, il consent à être, selon sa formule un « héros ordinaire », et insiste sur l’aide extraordinaire que lui ont apporté ses parents (j’ai pu constater durant le match combien son père s’occupait bien de lui) et ses amis sans qui rien de tout cela ne serait possible. Néanmoins, à l’image de Stephen Hawking, le célèbre astrophysicien totalement paralysé de Cambridge, qui ne peut plus que communiquer par un seul doigt, Adrien Hervais illustre de façon exceptionnelle et poignante la force de l’esprit humain et la façon dont celui-ci peut, quelques soient les limitations induites par la maladie ou les handicaps, arriver à exprimer son potentiel.
Notons enfin qu’Adrien Hervais est quasiment inconnu en France, il n’a même pas de page Wikipédia, alors qu’aux Etats-Unis il serait passé sur de nombreuses émissions télévisées et aurait certainement un million de followers sur Facebook. Selon lui, cela tient au fait qu’en France le handicap est caché et seulement exhibé lors du téléthon ou de manifestations de ce genre. Il n’existe aucun présentateur de télévision handicapé alors qu’Adrien Hervais serait passionné d’interroger des hommes politiques à la télévision. Nous touchons ici aussi aux limites de la médiatisation de notre jeux, aucune télévision n’ayant proposé à Adrien de jouer devant ses cameras.
Article publié dans la revue Europe Echecs N°663 de mars 2016.