En bref
L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie, alors rattachés à l’empire des tsars, devenaient indépendants à l’issue de la première guerre mondiale tirants habilement profit de la situation de faiblesse provoquée par la révolution en Russie et la défaite du Reich de Guillaume II. Une indépendance bientôt fragilisée à la fois par l’émergence de l’URSS de Staline et de la nouvelle Allemagne d’Hitler dont ils seront bientôt les victimes.
Sacrifiés aux appétits de Staline, conséquences directe du pacte germano-soviétique Ribbentrop-Molotov de 1939, les pays baltes furent annexés par l’Union Soviétique et occupés sans véritable résistance en juin 1940. Des dizaines de milliers de Baltes furent déportés vers la Sibérie, alors que le nombre des troupes soviétiques ne cessait de croître. La brutalité exercée par les troupes d’occupation, 570.000 hommes en juillet 1941, permettra aux Allemands d’être perçus comme des « libérateurs » lors de l’opération « Barbarossa », soit l’invasion de l’Union Soviétique par l’armée allemande. Les Baltes espéraient retrouver leur indépendance mais ils se virent immédiatement placés sous administration militaire et des centaines de milliers de Baltes, à leur tour, furent déportés vers l’Est et remplacés par des populations allemandes, alors que le génocide des Juifs de la région débutait. En 1944, retour du bâton avec l’occupation de l’Armée rouge. (Source Les Etats baltes une longue dissidence S. Nies Armand Colins 2004)
Dévastations, exils, déportations, condamnations et exécutions furent le lot quotidien des populations civiles et la Lettonie vit un tiers de sa population anéantie.
Les armées allemandes, cantonnées en Courlande, se sont battues jusqu’au 8 mai 1945, jour de la capitulation, avant de se rendre aux Russes et comptaient encore 180.000 hommes dont de nombreux « Malgré-nous » venus d’Alsace et de Lorraine, beaucoup seront portés disparus.
Vladimirs Petrovs naquit le 27 septembre 1908 à Riga d’un père russe et d’une mère russo-lettonne. Ses débuts aux échecs furent assez tardifs, il commença à jouer sérieusement vers l’âge de treize ans. Son premier titre en 1926 fut celui de champion de Riga. En 1928, il fit partie de l’équipe olympique lettonne qui se rendit à La Haye. Petrovs réussit une performance honorable au 3ème échiquier avec 5 victoires, 4 défaites et 7 nulles. A Hambourg au 2ème échiquier en 1930, il améliora sensiblement avec 8 victoires, 3 défaites et 6 nulles et réalisa le meilleur pourcentage de l’équipe. A Prague ce fut encore mieux au 3ème échiquier, derrière Matisons (1894-1932) et Apsenieks (1894-1941), avec 9 victoires, 2 défaites et 5 nulles. En 1932, il remporta à nouveau le titre de champion de Riga.
Voici une partie qui l’opposa à son compatriote Mosvas Feigins (1908-1950), un de ses plus grands rivaux à l’époque, qui mourut dans la misère en Argentine en 1950.
Feigins,Mosvas - Petrovs,Vladimirs
Riga, 1932
Début Anglais [A25]
1.c4 e5 2.¤c3 ¤c6 3.g3 g6 4.¥g2 f5 5.e3 ¥g7 6.¤ge2 ¤ge7 7.¤d5
Réagir avec 7.d4!? pour chercher à déstabiliser le centre était plus ambitieux.
7...d6 8.¤ec3 ¥e6 9.0–0 0–0 10.d3 ¥f7
Préférable 10…Dd7 pour lier les tours.
11.¦b1
Soustrait la tour de l’action du fou g7 et prépare l’expansion sur l’aile dame avec la poussée b2–b4–b5, un plan qui s’est imposé dans la pratique de l’Anglaise.
11...¦b8 12.b4 ¤xd5 13.¤xd5 ¤e7 14.¤xe7+?!
L’échange d’une des pièces les plus actives ne peut que favoriser les noirs.
14...£xe7 15.£a4 a6 16.¥b2 g5!
Les noirs affichent leur supériorité sur le plan stratégique. Alors que la dame blanche s’est éloignée du champ de bataille pour du menu fretin, les noirs déclenchent une attaque sur l’aile roi et la phalange des pions noirs va permettre de démolir le roque adverse.
17.¦be1?!
Ramener la dame en défense évitait les complications qui vont suivre.
17...f4
Cette poussée est rendue possible à cause du coup intermédiaire qui gagne un tempo sur la dame après 18.exf4 gxf4 19.gxf4 Fe8! etc.
18.£c2 ¥g6 19.¥d5+ ¢h8 20.£d2?
Il était nécessaire d’empêcher le coup suivant par exemple 20.exf4 gxf4 21.De2.
20...f3!
Introduit la possibilité de boucler un réseau de mat avec De7–d7–h3–g2.
21.h3?! £d7
Prématuré. 21...c6! 22.¥e4 ¥xe4 23.dxe4 ¦f6 et l’initiative noire sur l’aile roi était sans doute décisive.
22.¢h2 ¥f5?
Abandonne le pion f3, une erreur qui redonne espoir aux blancs en écartant les menaces de mat.
23.¥xf3 ¥xh3 24.¥g2 ¦f6
Le fou est tabou à cause de la menace 25…Th6.
25.¦h1
A considérer 25.f4 ¦h6 26.¢g1 £g4 27.£f2 avec des chances de tenir la position.
25...¥xg2 26.¢xg2 ¦bf8 27.f4?
Le passif 27.¦e2 permet 27...£g4 suivi de l’arrivée d’une tour sur f3 et la poussée h7–h5–h4 etc.
27...gxf4 28.gxf4
28...¦xf4! 29.exf4 £g4+ 30.¢h2 ¦f5 0–1
Les blancs abandonnèrent sans attendre 31.Dg2 Dh4 32.Dh3 Df2 33.Dg2 Th5 mat.
En 1935, à Varsovie, Petrovs occupa le premier échiquier et se vit opposé cette fois à l’élite mondiale. Il se hissa à peine au-dessus de la barre des 50% (+6 -5 =7) car il ne put se soustraire à la défaite face aux meilleurs. (Alekhine, Keres, Fine, Flohr, L. Steiner).
A cette occasion, il fut le maître de cérémonie d’une simultanée sur 40 échiquiers qu’Alekhine (1892-1946) disputa sur le chemin du retour à Riga le 12 septembre et qui tourna au désastre (+9 -15 =16). Laissons la parole à Alekhine :
« C’est la première fois dans ma vie que j’obtenais un résultat en dessous des 50%. C’est vrai, je me sentais un peu fatigué après le tournoi des nations de Varsovie mais les joueurs de Riga peuvent être tenus essentiellement responsables. Je ne m’attendais pas à si forte opposition, et je peux dire que Moscou et St. Petersburg ont été rejoints par une autre ville où le niveau est exceptionnellement élevé. Les joueurs ici sont tout aussi forts que ceux qui n’ont pas permis à Flohr d’obtenir plus de 40% à Moscou. »
En 1936 Petrovs disputa son premier tournoi international à Podebrady, un résultat sans éclat mais encourageant avec 50% des points (+5 -5 =7) et à Munich, au tournoi olympique, il réussissait 10 victoires pour 3 défaites et 7 nulles au premier échiquier. Un excellent résultat mais le tournoi de sa vie fut Kemeri 1937 où il partagea la première place en compagnie de Flohr (1908-1983) et de Reshevsky (1911-1992).
Cette partie fut récompensée par un prix spécial pour la meilleure victoire d’un joueur letton face à un maître étranger. Petrovs reçut une coupe avec l’inscription gravée « A la mémoire de Nimzovich ».
Le maître allemand Ludwig Rellstab (1904-1983) joua toutefois assez faiblement, son aile roi fut l’objet d’une démolition exemplaire et la conclusion conduite de manière énergique et spectaculaire.
Rellstab,Ludwig Sr - Petrovs,Vladimirs
Kemeri (6), 06.1937
Début Colle [D04]
1.d4 d5 2.¤f3 c5 3.e3 ¤f6 4.¥d3 g6!? 5.¤bd2 ¤bd7 6.b3 ¥g7 7.¥b2 0–0 8.h3?! cxd4! 9.exd4 ¤h5 10.g3?! £c7! 11.£e2 ¤c5! 12.¤e5?! ¤xd3+ 13.¤xd3 ¥f5 14.¦c1 ¦ac8 15.£e3 £d6!? 16.c3?! ¦fe8 17.f4
17...g5!
« Démolit l’aile roi et ouvre la colonne g, ce qui va conduire à une décision rapide. » Le livre du tournoi
18.0–0 gxf4 19.¤xf4 ¥h6 20.£f3 ¤xf4 21.gxf4 ¢h8 22.¦f2 ¦g8+ 23.¢h2 ¦g6 24.c4 ¦cg8 25.cxd5
25...¥xf4+!! 26.£xf4 ¦g3! 0–1
L’une des parties décisives pour l’attribution de la première place fut jouée lors de la première ronde. Voici le commentaire de Reshevsky :
« Durant ma première partie, j’ai noté que Petrovs était un adversaire beaucoup plus fort que je ne l’avais prévu. Avant le début du tournoi, je ne le connaissais pas du tout car les joueurs lettons étaient rarement invités dans des tournois internationaux. Bien que je gagnais ma première partie contre lui, c’était surtout grâce à la tension psychologique qui dura jusqu’à la fin. Au moment critique, j’ai utilisé un stratagème bien réfléchi. Il a répondu avec le coup logique, mais c’était perdant. Avec plus d’expérience à ce niveau, il aurait trouvé les moyens de déjouer toutes les ruses de ses adversaires. Le style de Petrovs est basé sur une saine compréhension positionnelle qui m’a impressionnée. Pour le futur, il doit travailler pour améliorer son sens tactique et je serais très intéressé de voir jusqu’où il pourra aller sur le plan international. »
Max Euwe « commente »
Reshevsky,Samuel Herman - Petrovs,Vladimirs
Kemeri (1), 06.1937
Variante de Meran [D49]
1.d4 ¤f6 2.c4 e6 3.¤f3 d5 4.¤c3 ¤bd7 5.e3 c6 6.¥d3 dxc4
C’est l’ordre des coups du livre du tournoi. Deux biographies, consacrées à Petrovs, donnent un ordre différent : 1.d4 d5 2.c4 e6 3.Cc3 c6 4.Cf3 Cf6 5.e3 Cbd7 6.Fd3 dxc4 etc.
7.¥xc4 b5 8.¥d3 a6 9.e4
« Une des variantes principales de la Meran qui crée de grandes complications.»
9...c5 10.e5 cxd4 11.¤xb5 ¤xe5 12.¤xe5 axb5 13.£f3 « La nouveauté de Stahlberg ! »
13...¥b4+ 14.¢e2 ¦b8 15.£g3
« Reshevky avait déjà joué cela auparavant mais, fait intéressant, dans cette partie, il ne trouve pas la meilleure suite. »
15...£d5
« Un peu mieux est 15…Dd6 mais après 16.Cf3! Dxg3 17.hxg3 les blancs ont la meilleure finale. »
16.¤c6?
« Gagne la qualité, mais les noirs obtiennent une dangereuse attaque. Meilleur était 16.Cf3! »
16.¤f3 Petrovs avait préparé 16...e5!? qui pose des problèmes difficiles après 17.£xg7 (17.£xe5+!? £xe5+ 18.¤xe5 ¦b6 19.¥d2 fut joué quelques semaines après dans la partie Landau-Schmidt Stockholm 1937. 19...¥d6!?) 17...e4 18.£xh8+ ¢e7 avec une position loin d’être claire.
16...£xc6 17.£xb8 0–0 18.f3 ¥b7 19.£e5 ¤d5
« Bien joué, les noirs ne doivent pas perdre de temps car la position exige un jeu énergique. Tant que la dame blanche bloque le centre, les noirs ne peuvent poursuivre l’attaque. Par conséquent la dame doit être délogée. » Le livre du tournoi
20.¥d2
« Si 20.Dxd4? e5 avec les menaces …Cf4 et …f5 qui ouvrait la position au détriment du roi blanc. »
20...£c5! « Menace 21…Cc3! » 21.¥f4 ¤xf4+
21…Db6!? avec l’idée 22…f6 était plus dangereux.(Georges Bertola)
22.£xf4 e5 23.£f5 g6 24.£f6 e4!
« Une belle combinaison qui ouvre la position au service de l’attaque noire. »
25.fxe4 ¥xe4 26.¥xe4 ¦e8
« Maintenant nous voyons l’idée de 24…e4! »
27.¦hc1
« Les blancs ne peuvent défendre le fou, si 27.¢d3 £c4#; Ou 27.¢f3 £h5+ 28.g4 £h3+ 29.¢f4 ¥d2#; Ou encore 27.£f3 £c2+ etc. »
27...¦xe4+ 28.¢f2?! Plus précis 28.Rf1!? 28...£f8 « Le seul coup mais fort! »
L’ami Fritz trouve le diabolique 28...¥c3! qui exploite la position du roi blanc peu confortable sur la diagonale a7–g1; par exemple 29.bxc3 dxc3+ 30.¢f1 ¦e5 et la menace 31.Tf5 récupère avantageusement la matériel.
29.£f3 £e7 30.¦c7 £e6 31.¦c2?
« Il n’existe pas de meilleure suite pour les blancs. » Le livre du tournoi. Plus coriace 31.Rg1!?(Georges Bertola)
31...¦e3 « 31…d3! 32.Dxd3 Df5 gagnait. » 32.£f4 ¦e5 33.¢g1
« Le seul coup qui apparemment donne une position égale. Après un examen plus attentif, les noirs ont cependant un avantage décisif. »
33...d3 Plus fort 33…Fd6! 34.¦c8+ ¢g7 35.£d4?!
35...¢h6??
« Une terrible erreur en zeitnot (Le coup logique selon Reshevsky!) 35...¥d2! 36.¦c6 (36.¢h1 ¥e3 37.£c3 b4–+) 36...¥e3+ 37.£xe3 ¦xe3 38.¦xe6 fxe6 39.¦d1 ¢f6 40.¢f2 ¦e2+ 41.¢f3 ¦xb2 42.¦xd3 ¦xa2–+ Les noirs ont raté le gain, maintenant ils perdent une tour. »
36.£xb4 £xc8 37.£f4+ ¦g5 38.h4 £c5+ 39.¢h1 1–0
Une partie importante sur le plan théorique à l’époque.
Petrovs prit sa revanche contre l’autre étoile montante venue des Etats-Unis.
Petrovs,Vladimirs - Fine,Reuben
Kemeri (9), 06.1937
Défense Alekhine [B03]
1.e4 ¤f6 2.e5 ¤d5 3.d4 d6 4.c4 ¤b6 5.f4 dxe5 6.fxe5 ¤c6 7.¥e3 ¥f5 8.¤c3 e6 9.¤f3 ¤b4 10.¦c1 c5 Une idée d’Alekhine pour remettre en question la solidité du centre. 11.¥e2!
Ce simple coup de développement est supérieur à 11.a3 joué par Znosko Borovsky dans sa partie contre Alekhine (Paris 1925). Voir la chronique Sacrifice de Dame à la Saint-Valentin.
11...¥e7
Le maître letton Karlis Betins tenait 11...cxd4 12.¤xd4 ¥g6 pour préférable mais le sacrifice de pion 13.c5! infirme ce jugement car 13...¥xc5? 14.¥b5+ ¤d7 15.¤xe6 est dévastateur.
12.0–0 0–0 13.a3
« Un moment important, 13…Cc6 n’est pas bon à cause de 14.d5. Le coup de la partie engendre un sacrifice de pion temporaire avec des complications critiques. » Euwe
13...cxd4 14.¤xd4 ¤c6 15.¤xf5 exf5 16.¦xf5 g6
« La phase de l’ouverture se termine. Les noirs ont quelques problèmes. Il est vrai qu’ils vont regagner le pion en quelques coups mais les blancs disposent de la paire de fous. De plus, le cavalier sur b6 reste mal placé. » Bagirov
17.¦f1 ¥g5
« Ce coup intermédiaire est essentiel car après 17…Cxe5 18.Dxd8 (18.Db3!?) suivi par 19.Cb5, les blancs ont la meilleure partie. » Euwe
18.¥c5!? ¦e8
« Un sacrifice de la qualité prometteur basé sur des considérations générales car après 18...¥xc1 19.£xc1 (mais pas 19.Fxf8 Fe3+) l’aile roi noire est dangereusement affaiblie, ce qui, grâce à la paire de fous des blancs, offre des possibilités d’attaque prometteuse. » Euwe
Sur le plan concret ceci reste à démontrer après 19...¦e8 20.¤e4 (20.£f4 ¤xe5 21.¥d4 ¤bd7 22.¤d5) 20...¦xe5 21.¤f6+ ¢g7 22.¤g4 (analyse de Bagirov) 22...¦e6!?
19.£xd8 ¦axd8 20.¦cd1 ¦d2
« Un bon coup qui donne aux noirs un contre-jeu adéquat. A noter qu’ils ne peuvent pas encore capturer sur e5. » Euwe
Les chances sont probablement égales grâce aux pièces noires très actives. Une partie Keres-Sajtar (Prague 1943) se poursuivit avec 20...¤xe5 21.¤e4 ¦xd1 22.¥xd1 ¥e7 23.b3 ¥xc5+ 24.¤xc5 ¦e7 25.¥c2 f5 avec des chances égales.
21.¦xd2 « Trop dangereux était 21.b4 Tc2! » Euwe 21...¥xd2 22.¥d6 Bagirov préfère 22.Td1
22...¥xc3 23.bxc3 ¤xe5
« Pour le moins nous avons une lutte très intéressante en perspective. Les blancs ont les deux fous et les noirs la meilleure structure de pions. La position est à peu près égale mais les noirs doivent jouer avec prudence pour éviter que l’adversaire n’obtienne quelques chances d’attaque car, dans ce cas, les deux fous pourront révéler leur puissance. » Euwe
24.c5 ¤d5
Euwe condamne 24...¤bc4!? à cause de 25.¦b1 pourtant il n’y a rien à craindre après 25...¤xd6 26.cxd6 b6 27.¦b5 f6 28.¦b4 ¦d8
25.¦c1 ¦e6 26.¥f1 a6
« Les noirs surestiment leur position et commettent une erreur décisive. Ils décident d’adopter une politique active mais ils oublient qu’ils sont aux mains de l’adversaire. 26…Ce3 conduisait à une position presqu’égale. » Euwe
27.¦b1
Après 27.a4 ¤e3 28.¦b1 ¤5c4 29.¥xc4 ¤xc4 30.¥c7 les chances sont égales.
27...b5!
Une réplique sous-estimée par Euwe.
28.cxb6
Amène une suite forcée axée sur ce puissant pion passé.
28...¦xd6 29.b7 ¤c6 30.c4! ¤e3 31.¦b6?!
Menace 32.Txc6! Plus prudent était 31.c5 ¦d2 32.¦e1 ¤xf1 33.¦e8+ ¢g7 34.¢xf1 ¦b2 35.¦c8 ¦xb7 36.¦xc6=
31...¦d1! 32.¢f2 ¦xf1+ 33.¢xe3 ¤b8 34.¦d6?!
Selon le livre du tournoi plus précis était 34.¢e2! ¦f5?! (34...¦g1 35.¦d6 ¢g7 36.¦d8 ¤c6 37.¦c8 ¦xg2+ 38.¢d3 ¦b2=) 35.¦d6 ¦e5+ 36.¢d3+–
34...¦e1+ 35.¢d4
35...¢f8??
Le coup perdant. Après 35...¢g7! 36.c5 ¦b1 37.c6 ¤xc6+ 38.¦xc6 ¦xb7 39.¦xa6 ¦b2 l’avantage passait aux noirs.
36.¦d8+ ¦e8 37.¦c8! ¢e7 38.¢d5 ¦d8+ 39.¦xd8 ¢xd8 40.¢d6 1–0
Une lutte titanesque contre un des meilleurs joueurs de l’époque.
Quelques considérations portées par Petrovs à Kemeri sur les meilleurs joueurs du tournoi :
« Flohr a très bien joué. Il utilisa sa tactique habituelle en tournoi, assurer la nulle avec les pièces noires et conserver la pression et jouer pour le gain avec les blancs. Il n’a pas eu une seule position perdante pendant tout le tournoi, excepté peut-être contre Tartakower.
L’Américain Reshevsky était étonnamment peu convaincant. Dans ses cinq parties contre Keres, Hazenfuss, Apsenieks, Landau et moi, il aurait dû obtenir un total de 1,5 point, pourtant il a marqué 5 points! Il était aussi complètement perdu contre Tartakower. Vers la fin du tournoi, il était fatigué. Pourtant, il n’y a aucun doute que Reshevsky est l’un des plus talentueux grands-maîtres et ne pourra que progresser.
Alekhine ne m’a pas impressionné dans ce tournoi. Il montrait beaucoup de nervosité, la conséquence de son prochain match entre lui et le Dr. Euwe. J’ai la conviction qu’Alekhine est le meilleur joueur et c’est un tacticien supérieur à Euwe. Ce dernier a toutefois une meilleure compréhension positionnelle et stratégique. Il est plus calme et son jeu est plus méthodique. Si Alekhine perd le match, ce qui est très possible, alors le monde des échecs s’en sortira appauvri.
Keres a un grand avenir. Son jeu est la meilleure preuve que le jeu d’échecs n’est pas en train de s’assécher, il suffit de rechercher l’initiative dans le milieu de jeu. »
Après s’être marié il se rendit à Stockholm, accompagné de sa jeune épouse Galina, pour jouer l’Olympiade au premier échiquier de l’équipe lettone. Il réussit un parcours satisfaisant (+5 -3 =10).
Au fort tournoi de Lodz, il partage la 3ème place avec 9,5 points en compagnie d’Eliskases (1913-1997) et de Stahlberg (1908-1967), distancé par Pirc (1907-1980) 10,5 points et Tartakower (1887-1956) 10 points.
Stahlberg,Gideon - Petrovs,Vladimirs
Lodz, 1938
Nimzo-indienne [E22]
1.d4 ¤f6 2.c4 e6 3.¤c3 ¥b4 4.£b3
La spécialité de Stahlberg qu’il avait joué à deux reprises dans son match contre Nimzovich en 1934.
4...¤c6 5.e3 d5 6.cxd5?!
Critique est 6.¤f3 0–0 7.a3 dxc4 8.¥xc4 ¥d6 9.¥b5 e5 10.¥xc6 exd4 11.exd4 (n'est pas sans danger 11.¤xd4 bxc6 12.¤xc6 £d7 13.¤d4 £g4 avec une dangereuse initiative sur l’aile roi Capablanca-Ragozine Moscou 1936)) 11...bxc6 12.0–0 ¤g4 etc.
6...exd5 7.¥b5
« Un coup qui ne s’oppose en rien au développement du jeu adverse. Meilleur 7.Fd3. » Tartakower
7...£e7 8.a3 ¥xc3+ 9.bxc3 0–0
10.¥xc6?
« Cohérent mais mauvais. 10.Cf3, pour accélérer la mobilisation des pièces blanches, offrait encore l’espoir de redresser la balance. » Tartakower
10...bxc6 11.¤e2 ¥a6 12.£c2 £e4
Force des simplifications avantageuses.
13.£xe4 ¤xe4 14.f3 ¤d6 15.a4
Avec l’idée d’activer le fou de cases noires mais les pièces noires dégagent trop d’activité pour égaliser.
15...¦ab8 16.¢f2 ¦b3 17.¥a3 ¦fb8!
Le coup de la partie est meilleur que 17...¥xe2 18.¢xe2 ¦xc3 19.¦hc1 et les blancs parviennent à mobiliser toutes leurs pièces.
18.¥b4
Si 18.¦hc1 ¤c4 19.¥c5 ¤b2! avec la menace 20…Cd3
18...¦b2! 19.¦he1 ¥c4
Pour s’opposer à 20.Tab1? Txb1 21.Tb1 a5 qui gagnait une pièce.
20.a5 ¤b5!
Dans la biographie de Petrovs, signée Andris Fride, l’ordre de coup est incorrect 20...f5 21.f4? (21.¦ab1!) 21...¤e4+–+
21.¦ac1
Si 21.¦ab1? ¦xb1 22.¦xb1 ¥xe2 23.¢xe2 ¤xc3+–+
21...f5! 22.f4?
L’affaiblissement de la case e4 est fatal.
22...¤d6 23.¢f3
Après 23.¥xd6 cxd6 l’ouverture de la colonne b est décisive, par exemple 24.¢f3 ¦a2 suivi du doublement des tours sur la 2e rangée.
23...¤e4 24.¦a1 h6 25.h3
Insuffisant 25.h4 ¦d2 et il n’y a rien à opposer à 26…c5 pour ouvrir la colonne b car si 27.dxc5 d4! –+
25...g5 26.fxg5 hxg5 27.h4
Si 27.g4 fxg4+ 28.hxg4 c5 29.¥xc5 ¤xc5 30.dxc5 ¥xe2+–+
27...¥xe2+ 0–1
Les blancs abandonnèrent car 28.Txe2 g4! gagne la tour.
« Cette partie scintille comme un bijou par rapport aux fréquentes et arides conceptions stratégiques modernes. » Tartakower
Peu après, au tournoi de Margate, il remporta la totalité de l’enjeu face au champion du monde.
Petrovs,Vladimirs - Alekhine,Alexander
Margate (5), 24.04.1938
Ouverture Catalane [E02]
1.d4 ¤f6 2.c4 e6 3.g3 d5 4.¥g2 dxc4 5.£a4+ ¤bd7 6.¤f3 a6 7.¤c3 ¦b8 8.£xc4 b5 9.£d3 ¥b7 10.0–0 c5 11.dxc5 ¤xc5 12.£xd8+ ¦xd8 13.¥f4
« La partie est à peu près égale. Les blancs n’ont rien obtenu de l’ouverture. Des positions de ce type conduisent la plupart du temps au partage du point entre deux grands-maîtres. Mais Alekhine a un style très particulier, il joue toujours agressif et ici une nulle ne lui donnerais aucune satisfaction. Sa quête de la recherche du gain échouera ici, avant tout parce Petrovs ne montrera aucune peur en cherchant à jouer défensif, au contraire il répondra à chaque attaque portée contre lui par une attaque. La suite de la partie est passionnante et instructive. » H. Kmoch
13...b4 14.¤d1 ¤d5 15.¦c1!
« Cédant la paire de fous à l’adversaire pour obtenir du jeu sur l’aile dame. » Petrovs
Jusqu’ici Alekhine n’avait utilisé que 15 minutes, il mit 25 minutes pour décider de son coup suivant.
15...¤xf4
Rabinovitch considérait ce coup fautif car l’excellent cavalier centralisé ne méritait pas d’être échangé, il préférait 15…Fe7 mais 16.Ce3 forçait pratiquement l’échange.
16.gxf4 ¥d6 17.¤e5!
« A leur tour, les noirs doivent restituer la paire de fous et se défendre contre l’expansion blanche sur l’aile dame. » Petrovs
17...¥xg2 18.¢xg2 b3 19.axb3 f6?!
Alekhine cherche des complications. Plus simple était 19...¤xb3 20.¦c3 (20.¦c6 ¤d4 21.¦xa6 ¤xe2) 20...¤d2 21.¦g1 f6 22.¤c6 ¦c8 =+ selon Khalifman.
20.¤c6 ¦c8 21.¤d4 ¢d7
« Ce coup naturel décide de l’issue de la partie comme vont le montrer les deux coups suivants. » Petrovs
Très optimiste mais préférable était 21...¢f7 22.e3 ¦hd8 23.¤c3 e5 24.fxe5 fxe5 25.¤f5 ¤xb3 jugé égal par Khalifman.
22.¤e3!
« Exploite la présence du roi noir sur la colonne d et, en sacrifiant un pion, activent leur deuxième tour. Apparemment, les noirs n’avaient pas envisagé cette possibilité. » Petrovs
22...¥xf4 23.¦fd1 ¢e7
Ce coup logique n’est pas forcé.
Intéressant était 23...¤e4!? pour échanger une paire de tours, si 24.¦a1 (24.¤df5+ ¤d6) 24...¥xe3 25.fxe3 ¦a8 26.¤f5+ ¢e8 27.¤xg7+ ¢e7 avec du contre-jeu pour le pion sacrifié.
24.b4! ¥xe3
« Détruisant la structure blanche, mais les noirs n’auront jamais la possibilité d’atteindre la finale pour exploiter cette situation. Les Blancs ne permettront pas de développer la tour noire sur l’aile roi, et malgré le peu de pièces restantes, ils commencent une attaque de mat. » Petrovs
25.fxe3 ¤d7?!
« Meilleur 25...¤e4 26.¦a1 (Khalifman renforce avec 26.¦c6! ¦xc6 27.¤xc6+ ¢f7 28.¦d7+ ¢g6 29.¦a7! f5 30.¦xa6 ¢f6 31.b5 avec net avantage pour les blancs 31...¤c5 32.b4!+–) 26...¦a8 27.¤c6+ ¢f7 28.¦d7+ ¢g6 avec de bonnes chances de nulles pour les noirs. » Petrovs
26.¦a1! ¤b8 27.b5!
« L’idée gagnante, occuper la 7e traverse ! » Petrovs
27...axb5 28.¦a7+ ¢d6
« Les noirs sont perdus d’une manière ou d’une autre 28…Cd7? 29.Cc6 Txc6 30.Taxd7 +– ou 28…Re8 29.Cxe6 » Petrovs
29.¤xb5+ ¢c5 30.¤d6 ¦c6?
Ne sauvait pas la partie 30…Tcd8 31.b4! +–
31.b4+! ¢xb4 32.¦b7+ ¢c3 33.¤e4+ ¢c2 34.¦bb1 1–0
Après Capablanca (=3), Petrovs égalisa au score contre Alekhine (+1 –1 =3)
Il obtiendra l’un de ses meilleurs résultats aux Olympiades de Buenos Aires en 1939, alors qu’éclatait la seconde guerre mondiale.
Alexandre Alekhine « commente »
Petrovs,Vladimirs - Grau,Roberto
Buenos Aires ol (Men) fin-A (5), 06.09.1939
Pion Dame [D06]
1.d4 d5 2.¤f3 ¥f5
« Cette défense rare a fait l’objet d’une étude particulière de l’actuel champion d’Argentine. La présente partie ne parle nullement en sa faveur. »
3.c4 e6 4.£b3 ¤c6 5.¥d2
« Si 5.£xb7 alors 5...¤b4 suivi par 6…Tb8 forçant la nulle. »
Une partie Fine-Grau (Varsovie 1935) s’était poursuivie avec 5.c5 ¦b8 6.¤c3 ¥e7 7.¥f4 g5!? 8.¥g3 g4 9.¤e5 ¥f6 10.£a4 ¤ge7 11.¤xc6 et ici 11...¤xc6!? 12.¤b5 ¦c8! 13.¤xa7 ¦a8 14.¤xc6 ¦xa4 15.¤xd8 ¦xd4 16.¥xc7 ¦b4 avec des complications où les noirs ont leurs chances.
5...¦b8 6.e3 a6
« Tout cela fait partie du système; ici il était nécessaire d’empêcher la manœuvre 7.cxd5 exd5 8.Fg5 etc. »
7.¥d3
« Puisque les noirs doivent prendre leur temps pour mobiliser le reste de leurs forces, les blancs devaient faire de même et prévenir les simplifications qui vont suivre en jouant d’abord 7.a3. Après le coup de la partie, les noirs n’ont pas de problème pour égaliser. »
7...¥xd3 8.£xd3 ¤b4 9.¥xb4
« Ou 9.£b3 dxc4 10.£xc4 £d5 »
9...¥xb4+ 10.¤bd2 ¤f6 11.0–0
« Si 11.c5 Ce4 et, après l’échange de toutes les pièces mineures, le léger avantage blanc est pratiquement impossible à exploiter. »
11...0–0
« Va permettre de bloquer le jeu après quoi la position noire deviendra très difficile, si ce n’est définitivement perdue. Nécessaire était 11.c5 avec une confortable égalité. »
12.c5!
« Menace de gagner le fou avec 13.Cb3 suivi de 14.a3. »
12...¥xd2 13.¤xd2 c6 14.f4 ¤d7 15.b4 f5
« Les noirs n’ont pas d’alternative satisfaisante. Si par exemple 15…b5, les blancs ne prennent pas en passant à cause de 16…Dxb6 avec contre- attaque mais pourraient s’emparer du contrôle de la colonne a en jouant 16.a4 suivi par Ta3, Tf1–a1 et si nécessaire Ta1–a2 et Dc3–a1. » Au lieu de bloquer le centre, Petrov a recommandé 15…f6!? avec la possibilité de jouer la poussée e6–e5 ultérieurement.
16.a4 £c7 17.¦fc1
« Avec ce coup et le suivant, les blancs empêchent l’avance du pion b7. »
17...¦a8 18.b5 ¦fb8 19.¤f3
« Les blancs ont rapidement réalisé le renforcement de la pression et maintenant ils ont la possibilité de réduire la mobilité des pièces ennemies par une éventuelle avance des pions sur l’aille roi. (h3–g4 etc.) La réponse noire va rendre inutile cet effort supplémentaire et permettre une intrusion décisive via la colonne a. »
19...axb5?
« L’erreur stratégique décisive, il fallait jouer 19…Dd8 avec l’intention de continuer par 20…axb5 21.axb5 Ta5! Cette transposition permet aux blancs d’établir un avant-poste sur a7. »
20.axb5 £d8 21.b6! ¦xa1
« Si les noirs omettent cet échange, les blancs deviendront maître de la colonne a en jouant Dc3, Txa8 et Ta1. »
22.¦xa1 h6?!
« Après 22…Ta8 23.Dc3 (23.Ta7? Txa7 24.bxa7 Da5) Txa1 24.Dxa1 Db8 25.Da7 les noirs perdront parce que la case de défense d8 est accessible au cavalier en cinq coups uniquement (Cf8–g6–h8–f7–d8) alors que la case a5, qui permet de poursuivre l’offensive, peut être rejointe en trois coups pour le cavalier blanc. »
Pourtant cette variante n’est pas tout-à-fait concluante après 24…Dc8! 25.Da7 Cf6 26.Cd2 Ce4! 27.Cb3 De8! 28.Dxb7 Dh5 et l’arrivée de la dame sur l’aile roi permet d’obtenir du contre-jeu face à un roi sans défenseur.
23.¦a7 ¢f7
A un spectateur argentin dubitatif, Petrovs dit : «Je peux gagner car je dispose d’une dame très active face au cavalier noir de Grau qui piétine d’impatience par manque d’espace pour se déplacer.» Rapporté par Grau.
24.£e2 g6 25.¤d2
« A partir de maintenant il devient évident que l’issue de la partie se décidera par un éventuel sacrifice sur b7, mais le plan des blancs pour le réaliser est superbe et instructif. »
25...¤f6 26.¤b3 ¢e8 27.¤a5 £c8 28.£a2
« Si 28.Cxb7 Txb7 29.Da6 Tb8 n’était pas suffisant pour les blancs. Maintenant la menace est 29.Cxb7 Txb7 30.Txb7 Dxb7 31.Da7 +– » Pourtant après 28.Cxb7!? Txb7 29.Da6 Tb8 30.Da4! suivi de 31.Tc7 devait aussi gagner.
28...¤d7
« Ceci est la position défensive idéale pour s’opposer à toute percée sur l’aile dame. Si les noirs avaient pu la maintenir ils auraient pu sauver la partie, mais, malheureusement, la prochaine excursion de la dame blanche va contraindre le cavalier a occuper une case, pour défendre l’aile roi, depuis laquelle il ne sera plus capable de revenir sur d7. »
29.£f2 ¤f6
Si 29...¢f7 30.£h4 h5 31.¤xb7! ¦xb7 32.¦xb7 £xb7 33.£d8+–
30.£h4 ¤g8 31.g4!
Ouverture d’un second front.
31...¢f7?!
Préférable devait être 31…Fxg4 32.Dxg4 mais, après la poussée h2–h4–h5, les noirs sont réduits à l’impuissance.
32.g5!
« Maintenant le cavalier noir ne plus plus défendre l’aile dame depuis d7. »
32...h5 33.£f2
« Après le retour de la dame sur l’aile, le sacrifice sur b7 gagnera immédiatement. »
33...¢e8 34.£a2 ¤e7
Si 34...¢d8 35.¤xb7+ ¦xb7 36.¦a8 ¦b8 37.¦xb8 £xb8 38.£a7 ¢c8 39.£f7 +– Petrovs
35.¤xb7! ¦xb7 36.¦xb7 1–0
« Avec le cavalier sur d7, les noirs disposaient de 36…Dxb7 37.Da7 Db8, mais maintenant les jeux sont faits. »
« Généralement, quand on contrôle plus d’espace, c’est que l’on a des pions plus avancés. L’avantage c’est qu’on a plus de place pour manœuvrer, ce qui permet de transférer les pièces d’un point à un autre plus facilement que l’adversaire. » S. Giddins
Le retour au pays fut des plus éprouvants.
Parti le 28 septembre sur le paquebot belge « Copacabana » pour rejoindre Weymouth en Angleterre en passant par Montevideo, Sao Paulo, Rio de Janeiro et les îles Canaries, Petrovs et son équipe embarquèrent ensuite sur un autre bateau pour rejoindre Anvers. La cité n’était plus ce qu’elle était en temps de paix, éclairée par une faible lumière bleuâtre, avec des militaires partout affairés autour de canons de défense aérienne alors qu’Hitler assurait encore la Belgique et la Hollande de son amitié. Puis, ils traversèrent l’Allemagne où régnait une grande agitation provoquée par des mouvements de troupes et le transport de matériel. La Pologne avait capitulé et finalement ils purent parcourir l’Allemagne et la Lituanie, sans encombre. Cette dernière venait de se voir restituer par les Russes, non sans cynisme, sa capitale historique Vilnius, enlevée à la Pologne agonisante.
Petrovs était de retour à Riga après un mois et huit jours de voyage alors que la Finlande décrétait la mobilisation générale. Elle fut attaquée par les Russes en novembre 39 mais résista héroïquement et, en avril 1940, l’URSS offrit des conditions de paix que les Finlandais acceptèrent pour sauver l’essentiel. Peu après, le 15 juin 1940, l’armée rouge occupa les pays baltes et Petrovs fut contraint de se plier aux exigences de l’idéologie communiste. En tant que joueur, son statut était moins contraignant que la population civile en général car les échecs bénéficiaient du support du régime soviétique.
Petrovs participa au XII championnat de l’URSS, devenu citoyen soviétique comme l’Estonien Keres (1916-1975), le Polonais Gerstenfeld (1915-1941) et le Lituanien Mikenas (1910-1992). Il se montra très conciliant dans ses propos rapportés par le journal « Sport Rouge », publié le 31 d’octobre, en se pliant aux exigences idéologiques :
« J’ai été extrêmement impressionné par l’attitude du public lors du championnat. Le comportement du public de Buenos Aires n’est en rien comparable à celui de Moscou. Le public soviétique exprime un véritable enthousiasme, une véritable compréhension de l’art des échecs, et s’implique totalement dans les luttes sur l’échiquier. Ce que je peux dire au mieux à propos des spectateurs à Buenos Aires est qu’ils ne pouvaient pas voir beaucoup de différence entre une partie d’échecs et une corrida. »
Petrovs obtint un résultat moyen (+6 -7 =6)
Il aurait pu se hisser au-dessus de la barre des 50% mais il laissa échapper le gain contre Boleslavski (1919-1977) et le futur champion du monde, Smyslov (1921-2010).
Smyslov,Vassily - Petrovs,Vladimirs
URS-ch12 Moscow (10), 18.09.1940
Espagnole [C77]
1.e4 e5 2.¤f3 ¤c6 3.¥b5 a6 4.¥a4 ¤f6 5.d3
Un petit coup jugé insipide que de nos jours l’actuel champion du monde Carlsen n’hésite pas à utiliser.
5...d6 6.c3 ¥e7
Intéressant est 6...g6 pour mettre le fou en fianchetto, par exemple 7.0–0 ¥g7 8.¦e1 b5 9.¥c2 0–0 10.¥g5 h6 11.¥h4 £e8 12.¤bd2 ¤h5 13.¤f1 g5 14.¥g3 += Smyslov-Euwe (Groningue 1946)
7.¤bd2 0–0 8.0–0
Une partie Smyslov-Konstantinopolsky (Moscou 1939) s’était poursuivie avec 8.¤f1 b5 9.¥c2 d5 10.£e2 ¦e8 11.¤g3 h6 12.0–0 ¥e6 13.d4! avec des chances plus ou moins égales.
8...b5 9.¥c2 d5
Les noirs ont égalisé facilement.
10.h3 dxe4 11.dxe4 h6 12.£e2 ¥d6
Avec l’idée d’installer un cavalier sur f4 avec la manœuvre « Cc6–e7–g6–f4 ».
13.a4
Meilleur 13.Td1 suivi de la manœuvre rampante « Cd2–f1–g3 » selon Belavenetz
13...¦b8 14.axb5 axb5 15.b4 ¤e7 16.¤b3 ¤g6 17.¦d1 £e7 18.¥e3 ¤h5 19.¢h1 ¤hf4 20.£f1 £f6
Les noirs ont une légère initiative, ils menacent 21…Cxh3!
21.¤g1 ¤e6 22.¦a5 ¥d7 23.¥d3 ¤g5!?
Mais pas 23…c6? 24.Fc2 +– avec des problèmes sur la colonne d.
24.¥xg5 hxg5 25.¥xb5 ¥xb5 26.¦xb5 ¦xb5 27.£xb5 £xf2 28.£e2 £f6 29.¤a5 £e6 30.£c4 £c8 31.g3?!
Un affaiblissement qui vise à priver le cavalier de mobilité.
31...¤e7 32.g4?!
Cette fois, c’est l’abandon de la case f4.
32...¤g6 33.¤c6 £a8
Mais pas 33…Cf4?? à cause de 34.Txd6! suivi de 35.Ce7.
34.¤f3 £a4 35.¦d2
Plus solide 35.Tc1!? car abandonner la 1ère traverse n’est pas sans danger.
35...£a1+ 36.¢h2 £c1
Une position critique.
37.b5?
Meilleur 37.Rg3 mais la position affaiblie du roi blanc avantage les noirs.
37...¦a8?
En zeitnot, les noirs laissent échapper 37...¤h4! 38.¦f2 £f4+ 39.¢h1 ¦a8–+
38.¦f2 ¦a1 39.¤d8 £f4+ 40.¢g2 ¥e7?
Le sacrifice 40...¥c5! était décisif, par exemple 41.£xc5 £xe4 42.¢g3 £f4+ 43.¢g2 e4! 44.¤xg5?! ¤h4#
41.¤xf7!
Permet aux blancs de simplifier pour entrer dans une finale gagnante.
41...£xf7 42.£xf7+ ¢xf7 43.¤xe5+ ¢e6 44.¤xg6 ¥d6 45.¤f8+ ¢e7 46.¤h7 ¥f4 47.h4 ¦c1 48.¤xg5 ¥xg5 49.hxg5 ¦xc3 50.g6 ¢e6 51.¦f7 ¦c5 52.¢g3 ¦xb5 53.¢f4 ¦c5 54.¦xg7 ¢f6 55.¦g8 1–0
Lorsqu’en 1941 Hitler envahit l’URSS, Petrovs était toujours retenu un Union soviétique et il participa au championnat de Moscou alors que la ville était assiégée par la Wehrmacht. Sa femme et sa fille étaient à Riga occupée par les nazis qui bénéficiaient d’un soutien incontestable d’une partie de la population. (Un roman « Quand les colombes disparurent » -Sofi Oksanen –Stock 2013, est une illustration saisissante de vérité du sort des populations écrasées par l’Histoire de cette période lugubre.)
Ils ne se reverront plus, Petrovs jouera son dernier tournoi à Sverdlovsk en 1942.
Une de ses dernières parties.
Mikenas,Vladas - Petrovs,Vladimirs
Sverdlovsk (1), 1942
Défense Sicilienne [B24]
1.e4 c5 2.¤c3 ¤c6 3.g3 g6 4.¥g2 ¥g7 5.d3 b6 6.¥e3 ¥b7 7.£d2
Avec l’idée d’échanger le fou de cases noires, une autre possibilité était 7.f4 d6 8.Cf3 Cf6 9.0–0 0–0 avec des chances égales.
7...a6 8.h4 h5 9.¤h3 ¤f6 10.f3?! d5!
Face au jeu timoré adverse, les noirs font mieux qu’égaliser.
11.¤xd5 ¤xd5 12.exd5 £xd5 13.f4 £d7 14.0–0–0 0–0–0 15.¤g5 e6 16.c3 ¢b8 17.¦he1 £c7 18.¢b1 ¦d7 19.£e2 ¦hd8
20.f5!?
Les blancs n’ayant rien obtenu se lancent dans des complications intéressantes.
20...gxf5 21.¥f4 e5 22.¥c1 ¢a7 23.¥h3 e4 24.¥f4 ¥e5 25.¥xf5 ¥xf4 26.gxf4?!
Critique 26.¥xd7 exd3 27.£xd3 ¤e5 28.£f5 ¥xg3 29.¦xe5 ¥xe5 30.¤xf7 mais 30...¥e4+! conservait l’équilibre.
26...¦xd3 27.¥xe4 ¦xd1+ 28.¦xd1 ¦xd1+ 29.£xd1 £xf4 30.£xh5? Meilleur 30.£f3!
30...f6 31.£h7?
31...£d6!
La menace de mat coûte une pièce.
32.a3 fxg5 33.hxg5 £e7 34.£f5? ¤d4! 0–1
« Petrovs était sans aucun doute l’un des meilleurs joueurs de cette époque. De par son style de jeu, il était un stratège suprême, un joueur positionnel. On pouvait admirer la virtuosité avec laquelle il concevait et appliquait ses idées et ses plans, son acuité en défense et son imagination dans l’attaque. » Mikenas (extrait d’une lettre à A. Fride)
A l’époque Sverdlovsk était un important centre industriel alimentant le front. Ses usines produisirent en grande quantité le célèbre char d’assaut T-34.
Aujourd’hui elle à retrouvé son appellation d’origine, Iekaterinbourg ville fondée par Pierre le Grand en 1723 nommée en l’honneur de sa servante dont il fit une impératrice. En 1918, elle vit le tsar et toute sa famille massacrés par les bolchéviques sous la conduite de Iakov Sverdlov. Après sa mort, la ville portera son nom jusqu’en 1991.
Peu après Petrovs fut arrêté par le KGB pour avoir exprimé des opinions gênantes sur la situation en Lettonie après l’invasion soviétique. Il sera déporté en Sibérie où il disparaîtra dans le néant.
Après des recherches incessantes, son épouse fut enfin informée, lors de la chute de l’effondrement de l’URSS, que Vladimir Petrovs était décédé le 26 août 1943 à Vorkouta, un camp du goulag à 150 kilomètres au Nord du cercle polaire, surnommé « la guillotine glacée » où les`températures atteignent parfois moins 60 degrés Celsius!
Une dizaine de camps furent crées en 1943, qui avaient pour but d’exterminer les prisonniers qui vivaient dans des conditions épouvantables. Ils étaient abrités dans des tentes à peine renforcées par des planches, sur un sol de permafrost moussu, exposés au blizzard et le froid, travaillant douze heures par jour dans des mines de charbon s’épuisant à tirer des wagonnets.
Petrovs ne put résister longtemps à la malnutrition et aux mauvais traitements et décéda des suites d’une infection pulmonaire. (Vladimirs Petrovs A Chessplayers’s Story from Greatness to the Gulags - Andris Fride - Caissa Ed.2004)
Je tiens à remercier le Musée du Jeux de La Tour-de-Peilz pour m’avoir permis de consulter l’importante bibliothèque de feu Ken Whyld. www.museedujeu.ch
Georges Bertola