En bref
Parmi les nations absentes de la création de la F.I.D.E. il faut citer les deux puissances vaincues de la guerre de 14-18, l’Allemagne et l’Autriche qui, sur le plan échiquéen étaient sans doute à l’époque capable de réunir deux des équipes les plus fortes et la jeune URSS.
L’Allemagne vivait alors la plus grande inflation de son histoire et l’Autriche victime du démembrement de l’Empire Austro-hongrois peinait à se relever. La jeune URSS, quand à elle, sortait à peine de la guerre civile et n’était pas encore reconnue par la France (elle le sera le 28 octobre 1924). Ce sont deux émigrés, Victor Kahn et Piotr Potemkine, qui participèrent en jouant sous les couleurs de la Russie.
Les U.S.A. brillaient aussi par leur absence et le seul représentant du continent nord-américain était le Dr. Stephen Francis Smith (1861-1928) né au Canada mais domicilié en Angleterre. Il avait gagné le championnat de la Colombie-Britannique en 1915, une province de la côte Ouest du Canada. Il ne marqua qu’un demi-point dans le tour préliminaire et passa au-dessus de la barre des 50% dans le tournoi subsidiaire avec 4,5 points sur 8 possibles.
Voici sa victoire contre la seule féminine du tournoi, Miss Edith Holloway.
Stephen Francis Smith (Canada) - Edith Holloway (Grande Bretagne)
Paris ol f-B, 1924
1.e4 e5 2.♘f3 ♘c6 3.♗b5 ♗c5 4.♘xe5?! ♗xf2+?! 5.♔xf2 ♘xe5 6.d4 ♘g6?! 7.♘c3 ♘8e7 8.♖f1 c6 9.♗d3 d5 10.♗e3? 0–0 [10...dxe4!] 11.♔g1 f5 12.exd5 ♘xd5 13.♘xd5 cxd5 14.c3 ♗e6 15.♕h5 ♕d7 16.♖ae1 ♘h8? 17.♗f4 g6 18.♕d1 [18.♕e2+–] 18...♘f7 19.♕d2 ♘d6 20.♗xd6 ♕xd6 21.♖e5 ♔g7 22.♖fe1 ♖ae8 23.♗b5 ♗d7 24.♖xe8 ♖xe8 25.♖xe8 ♗xb5 26.♖e5 h5 27.♕g5 ♔f7 28.h3 ♗c6 29.♕f4 ♕f6 30.b3 b5 31.♖e3 ♕d8 32.g4 hxg4 33.hxg4 ♗d7 34.♕d6 fxg4 35.♕xd5+ ♔g7 36.♕d6 ♔f7 37.c4 bxc4 38.bxc4 1–0
Poursuivons l’enquête des signataires de la création de la FIDE. Pour la Belgique quelques lignes dans « La Nation Belge » sur son représentant Léon Weltjens (1887-1975) :
« Parmi les spectateurs venus à Paris, pour assister au tournoi international, nous avons remarqué la figure extrêmement sympathique d'un de nos plus ardents propagandistes : j'ai cité M. Léon Weltjens, l'actif et dévoué secrétaire de la "F.B.E.". Remarqués aussi dans la salle MM. Dufer et Censer. »
La grande révélation du tournoi de Paris fut sans aucun doute Edgar Colle (1897-1932), le plus grand champion de Belgique du début du XXème siècle. Malheureusement son état de santé sera son plus grand adversaire qui nuira à sa brève carrière :
« Sa condition physique était telle, qu’il était rarement en état de jouer un tournoi sans prendre des soins spéciaux pour sa santé. Il était entièrement livré au hasard et n’était jamais sûr de pouvoir se donner pleinement. Ce handicap se rappelait à son bon souvenir aux moments les plus inopportuns. » Max Euwe
Dans la partie ci-dessous il domine son adversaire à la fois stratégiquement et tactiquement.
Rosselli del Turco,Stefano - Colle,Edgar
Paris 1924
Est indienne
1.d4 ♘f6 2.♘f3 g6 3.♘c3 d5 4.h3
Critiqué comme une perte de temps par Alekhine mais joué par Capablanca contre Yates au tournoi de New York 1924. La pratique moderne est du côté d’Alekhine après 4.Ff4 Fg7 5.e3 Fg4 6.Fe2 c6 7.Ce5 Fxe2 8.Dxe2 Cbd7 9.0–0–0 0–0 10.h4! etc.
4...♗g7 5.♗f4 c6 6.e3 0–0 7.♗d3 ♘bd7 8.0–0 ♖e8 Les noirs préparent la poussée e7–e5. 9.♗h2 ♘h5 10.g4?!
Empêche la poussée mais affaiblit trop l’aile roi, le livre du tournoi recommande 10.Ce5!?
10...♘hf6 11.♖e1?!
« Un coup parfaitement inutile. Les blancs devaient à tout prix empêcher e5 puisque ce coup réfute toute leur stratégie. Relativement meilleur était 11.Ce5. » Reinfeld
11...h5!? 12.♘e5?!
Si 12.g5 Ch7 suivi de 13…e5! avec une réaction centrale qui s’oppose efficacement à cette action latérale douteuse.
12...hxg4 13.♘xg4 Forcé pour éviter de perdre un pion. 13...♘xg4 14.hxg4 e5
« Après cette poussée Colle obtient la meilleure partie, la position blanche est pleine de faiblesses criantes sur l’aile roi. » Reinfeld
15.dxe5 ♘xe5 16.f3
Si 16.♗xe5 Si 16.Fxe5 Fxe5 17.f4? Dh4 –+ car 18.fxe5?? Dg3 19.Rf1 Fxg4 etc. 16...♗xe5 17.f4? ♕h4–+ car sur 18.fxe5?? ♕g3+ 19.♔f1 ♗xg4 etc.
16...♗h6!? 17.♗f4?
Le seul coup était 17.Rg2!
17...♕f6!
« Une surprise. Si maintenant 18.Fxh6 Cf3 19.Rg2 Fxg4 20.Tf1 Dh8! 21.Txf3 Dxh6 et les noirs devraient gagner. » Reinfeld
18.g5?
18.♗xh6 ♘xf3+ 19.♔g2 ♗xg4 20.♖f1 ♕h8! 21.♖xf3 ♕xh6 –+
Un peu mieux 18.♗xe5 18.Fxe5 Dxe5 19.f4 De6 20.Rf2 (20.g5 Dh3! 21.gxh6 Dg3 22.Rh1 Fg4) Dxg4 –+ 18...♕xe5 19.f4 ♕e6 20.♔f2 (20.g5 ♕h3! 21.gxh6 ♕g3+ 22.♔h1 ♗g4) 20...♕xg4–+
18...♗xg5 19.♗xe5 ♕xe5 20.f4 ♕d6!
Cette simple ressource sauve la pièce car à nouveau 21.fxg6? Dg3 22.Rh1 Fg4 –+
21.♕f3
21.fxg5? ♕g3+ 22.♔h1 ♗g4–+
21...♗f6 22.♔g2 ♔g7 23.♖h1 ♕e6 24.♖ae1 ♕g4+ 25.♕xg4 ♗xg4 26.♔g3 ♗d7 27.♘d1 ♖h8 28.c3 ♖ae8 29.♔f3 c5 30.♘f2 ♗h4 31.♖eg1 c4 32.♗c2 ♗c6 33.♖h2 d4+ 0–1
Le signataire de la Hongrie, Itsvan Abonyi (1886-1942), était un fort joueur venu de Budapest dévoué au développement du jeu d’échecs, à l’origine de la création de plusieurs cercles, rubrique d’échecs, organisateurs d’importants tournois et découvreurs de talents. Toutefois, il ne participa pas au tournoi de Paris car il s’était retiré de la compétition depuis plus d’une dizaine d’années. Il est à l’origine de travaux théoriques sur le fameux gambit de Budapest. (1.d4 Cf6 2.c4 e5 !?) Voici ce que rapporta Milan Vidmar qui introduisit ce gambit au plus haut niveau contre Rubinstein en 1918 à Berlin.
« Quelque cinq minutes avant le début de la ronde, j’aperçus une de mes vieilles connaissances venue de Budapest, le fort joueur, particulièrement redoutable dans les parties rapides, Abonyi et je m’empressais d’aller le saluer. – Que dois-je jouer aujourd’hui ?- lui demandais-je. –Vous avez les noirs, essayez le gambit de Budapest contre l’ouverture du pion Dame !- Je crus d’abord qu’il se permettait de me faire une petite plaisanterie. –Qu’entendez-vous par gambit de Budapest ?- demandais-je en jetant un coup d’œil sur ma montre, en attendant que le directeur du tournoi annonce le début de la ronde. Abonyi eut à peine le temps de me montrer les quatre premiers coups… » (Goldene Schachpartien M. Vidmar)
Sur l’échiquier la position basique du gambit de Budapest extrait du livre « A Short History of Chess in Budapest » L. Jakobetz
Abonyi avait incontestablement atteint la force d’un maître comme le démontre la partie ci-dessous contre un des meilleurs joueurs de Hongrie Leo Forgacs (1881-1930)
Abonyi,Itsvan - Forgacs,Leo
Hongrie, 1907
Défense Philidor
1.e4 e5 2.♘c3 ♘f6 3.♘f3 d6 4.d4 ♘bd7 5.♗c4 ♗e7 6.♗e3 c6 7.♕d2 ♘g4 8.♘g5 d5
9.♘xf7?!
Un sacrifice spéculatif digne des romantiques.
9...♔xf7 10.exd5 ♘b6 11.♗b3 cxd5?! 12.dxe5 ♘xe3 13.fxe3!? ♔e8 14.0–0 ♗e6 15.e4! ♗b4 16.♖ad1 ♕c7 17.exd5 ♖d8? 18.d6 ♕c5+ 19.♔h1 ♗xc3? 20.♕g5!+– ♔d7 21.♗xe6+ ♔c6 22.bxc3 ♖he8 23.♕xg7 ♔b5 24.♕g4 a5 25.♕e2+ ♔c6 26.♕e4+ ♔b5 27.♕d3+ ♔c6 28.♖f7 1–0
La Finlande avait profité des turbulences provoquées par la révolution bolchévique pour proclamer son indépendance le 17 juillet 1919. Ceci grâce aux succès militaires du général Mannerheim qui, à la tête des forces « Blanches », réussit à mettre un terme à la guerre civile face aux « Gardes Rouges » composés de milices ouvrières appuyées par les bolchéviques.
Le champion finlandais Anatole A. Tschepurnoff (1871-1942), d’origine russe et 15ème signataire de la création de la F.I.D.E., était aussi un très fort joueur. Il avait gagné toutes ses parties dans le tour préliminaire, son tempérament était celui d’un attaquant courageux dont voici un échantillon de son talent.
Tschepurnoff, Aleksievitis (Finlande) - Havasi,Kornel (Hongrie)
Paris ol f-A Paris (5), 1924
Défense Sicilienne
1.e4 c5 2.♘f3 a6 3.d4 cxd4 4.♘xd4 e6 5.♘c3 ♕c7 6.♗d3 ♘f6 7.0–0 b5
« Ce coup est quelque peu prématuré. Les Noirs doivent d’abord développer leurs pièces. » Kagans Neueste Schachnachrichten 7…Fd6!?
8.♗g5 ♗e7 9.♖e1
« Les Blancs s’écartent des chemins battus qui passent par la poussée f2–f4 pour jouer selon ses propres idées. » Kagans Neueste Schachnachrichten
9...d6 « Pour interdire la poussée e5. » Kagans Neueste Schachrichten 10.♗xf6 ♗xf6
« Les Noirs tombent dans le piège. Il fallait jouer 10…gxf6. » Kagans Neueste Schachnachrichten
11.♗xb5+!?
« Les Blancs réalisent maintenant leur avantage, tant de position que de développement, par un intéressant sacrifice qui paraît pleinement justifié. » G. Renaud
11...axb5 12.♘dxb5 ♕d8?
La suite critique passe par 12…Dc5!? qui permet de contrôler e5.
13.♘xd6+ ♔f8
« Les blancs ont obtenu 3 pions pour le fou et une position supérieure. » Kagans Neueste Schachnachrichten
14.e5 ♗g5
« Le seul coup! Naturellement pas 14…Fe5 à cause de 14.Df3. » Kagans Neueste Schachnachrichten
15.♕f3 ♖a7 16.♖ad1! ♗a6
« Ce coup perd la Dame contre un équivalent matériel insuffisant en raison de la mauvaise position et de la disparition des pions. Il est difficile de suggérer autre chose. » G. Renaud
17.♘xf7 ♖xf7 18.♖xd8+ ♗xd8 19.♕g4 ♖e7
« Pour parer les menaces 20.Dxe6 et 20.Db4 » Kagans Neueste Schachnachrichten
20.♘e4 h5 21.♕f3+ ♔g8 22.♘d6 ♖h6 23.b4 ♗b6
« Les Noirs concentrent leurs forces sur le pion f2 mais rien ne peut plus les sauver. » Kagans Neueste Schachnachrichten
24.b5 ♗b7 25.♕a3 ♔h7 26.♘xb7 ♖xb7 27.♕d3+ ♔h8 28.♕f3 1–0
La Grande-Bretagne, puissance échiquéenne dominante du XIXème siècle, ne s’impliqua pas vraiment dans ce premier tournoi olympique mais elle se distingua avec la présence au sein de son équipe de la seule féminine, Edith Holloway (1868-1956), accompagnée de deux seconds couteaux l’Ecossais Harris K. Handasyde (1877-1935) et Charles Wreford Brown (1866-1951). Le signataire de la Grande Bretagne était le Major Francis Hooper Rawlins (1861-1925), peu connu du monde des échecs, ingénieur militaire qui s’est consacré ensuite à la peinture, la poésie et la musique en vivant à Paris.
Voici un exploit signé Edith Holloway contre l’aristocrate et poète russe, exilé à Paris depuis le début des années 20, Piotr Potemkine (1886-1926) et qui est l’auteur de la devise de la FIDE « Gens Una Sumus », adoptée à l’issue du tournoi.
Holloway,Edith M - Potemkin,Peter Petrovich
Paris ol f-B Paris (7), 1924
Défense Owen
1.e4 b6 2.d4 ♗b7 3.♗d3 f5 4.f3 fxe4 5.fxe4 g6 6.♗e3 e6 7.♘f3 ♘f6 8.♘bd2 ♘g4 9.♕e2 ♘xe3 10.♕xe3 ♗g7 11.0–0 ♘c6 12.c3 0–0 13.♖f2 ♘e7 14.♖af1 d5 ?
15.♘g5 ♖xf2 16.♕xf2 ♕d7 17.♕f7+ ♔h8 18.♘xe6 ♖g8 19.e5 ♗c8 20.♘xg7 ♖xg7 21.♕f6 ♘f5 22.♘f3 ♕e7 23.♖e1 ♔g8 24.♕c6 ♗e6 25.♕a8+ ♕f8 26.♕xa7 g5 27.♗xf5 ♗xf5 28.♕b7 ♗e4 29.♘d2 c5 30.♕xb6 ♖f7 31.♕e6 cxd4 32.♘xe4 dxe4 33.cxd4 ♕b4 34.♖f1 ♕xd4+ 35.♔h1 ♕d7 36.♕xf7+ 1–0
(À suivre)
Je tiens à remercier le Musée du Jeux de La Tour-de-Peilz pour m’avoir permis de consulter l’importante bibliothèque de feu Ken Whyld. www.museedujeu.com, le site de Dominique Thimognier http://heritageechecsfra.free.fr/, Etienne Cornil www.crebarchive.be/ARCHIVES/CAHIERS/TOME03.pdf et Guy Gignac du Canada et le GM Luc Winants.
Georges Bertola