En bref
Les commentaires de Steinitz démontrent la modernité de sa vision sur le plan positionnel par rapport à l’époque. Un point de vue qui n’était pas toujours perçu par ses contemporains qui focalisaient sur les possibilités d’attaques et s’extasiaient sur la richesse des complications tactiques souvent aventureuses.
C’est l’histoire d’un match quelque peu oublié par l’histoire, pour preuve dans un ouvrage assez récent on peut trouver cet incroyable raccourci :
« Steinitz défia Anderssen qu’il battit de justesse sur le score de 8 parties à 6. Après quoi, il s’autoproclama « champion du monde ». De défi en défi, Steinitz garda ce titre officieux jusqu’en 1894. » Le jeu d’échecs (Jérôme Maufras PUF 2005)
Pourtant le match de 1886 fut un grand match opposant un représentant des échecs romantiques (l’attaque du mat à tout prix) face à celui que l’on désignera par la suite comme le « père des échecs modernes ».
« Nous avons d’abord nommé Morphy comme étant le plus célèbre des maîtres d’échecs. Il est effectivement le héros du grand public. Les connaisseurs du jeu, par contre, voient en Steinitz le joueur le plus profond et la personnalité échiquéenne la plus significative.
Alors que Morphy s’est dédié à l’étude des jeux ouverts, Steinitz s’est efforcé de découvrir les lois qui régissent les positions fermées. Ce choix n’est ni fortuit, ni accidentel, car aux échecs chaque maître lutte avec le style qui s’adapte le mieux à son caractère.
Le jeu de Morphy nous montre le caractère d’un homme qui possède une vive liberté d’action et désire un succès rapide. Tout le contraire chez Steinitz, qui ne recherche pas le brio et la rapidité d’action, mais des valeurs plus durables. Nous le voyons ainsi accepter de mener une longue défense dans le seul but de conserver le plus léger avantage de position. » Réti
Le duel qui allait opposer les deux champions avait réellement débuté quelques années plus tôt lorsque le grand-maître germano-polonais Johannes Hermann Zukertort (1842-1888), en remportant le tournoi de Londres en 1883 avec trois victoires d’avance sur son grand rival, remettait en question la position de Steinitz (1836-1900). Né à Prague dans l’Empire austro-hongrois, il était considéré alors comme le meilleur joueur du monde.
Conscient qu’il devait défendre sa réputation Steinitz lança, aussitôt le tournoi terminé, un défi à Zukertort sur les bases suivantes.
- Le vainqueur serait le premier gagnant huit ou dix parties.
- Le temps serait de 15 coups par heure.
- Il serait joué au choix de M. Zukertort, trois ou quatre parties par semaines.
- M. Steinitz acceptera l’heure choisie par son adversaire pour commencer les parties.
- La première partie du match sera jouée le jour fixé par Zukertort entre le 1er octobre 1883 et le 1er janvier 1884.
- L’enjeu sera de 200 Livres ou toute somme supérieure.
- Les parties seront la propriété des deux joueurs.
M. Steel fit transmettre ces conditions à M. Minchin, secrétaire du « St-George Chess Club » qui, après s’être entretenu avec Zukertort, apporta cette réponse :
« Zukertort décline actuellement toute proposition de match, à cause de sa santé et ses affaires. » M. Minchin ajouta « Le Dr. Zukertort se propose d’entreprendre un grand voyage à travers le monde. »
Ce refus ne fut pas très bien perçu par le monde des échecs et « La Stratégie » se fit l’écho de la pensée majoritaire :
« Chacun regrettera la résolution du vainqueur du tournoi de Paris 1878 et du tournoi majeur de Londres 1883, car ce match eut été l’un des plus intéressant et probablement le plus savant de notre siècle. Nous pensons que ce n’est que partie remise, car la question de supériorité, entre ces deux formidables athlètes, reste pendante ; si d’ici là, devant la provocation si nette et si franche de M. Steinitz, elle est provisoirement tranchée en sa faveur par la majorité des amateurs, à son retour M. Zukertort voudra sans nul doute chercher à conquérir définitivement un trône dont il est le plus redoutable prétendant, et nous assisterons enfin à cette lutte de géant, laquelle sera presque aussi glorieuse pour le vainqueur que pour le vaincu. »
Steinitz avait peu à peu fait le vide et ne disposait pratiquement plus de soutien ou d’amis en Angleterre. Lors de la cérémonie de clôture du grand tournoi de Londres, il avait été pratiquement ignoré malgré un deuxième prix mérité.
Le Président du « City of London Club », H.F. Gastineau, ne l’avait pas invité au dîner tenu le 23 juin, toujours en l’honneur du tournoi de Londres. Sa célèbre chronique du « Field » lui fut retirée pour être confiée à Hoffer et Zukertort! Il trouva une maigre consolation en obtenant une colonne dans un nouveau journal « Ashore or Afloat » mais il entra très rapidement en conflit avec son propriétaire.
Devant la précarité de sa situation, Steinitz décida alors d’émigrer aux Etats-Unis, le rêve américain ou plus exactement la terre de prédilection pour faire fortune. Il s’installa tout d’abord à Philadelphie mais il ne trouva pas un réel emploi comme chroniqueur ou professeur d’échecs. Finalement il rejoignit New York en octobre 1883.
Jusque vers 1840, la population new-yorkaise était essentiellement d’origine britannique, puis les Irlandais, conséquence de la dernière grande famine qui eut lieu en Europe et les Allemands constituèrent la majorité des immigrants. A partir de 1881, les juifs arrivèrent en masse de Russie, de Roumanie et d’Autriche-Hongrie, généralement pauvres et dépourvus de qualifications professionnelles nécessaires pour occuper les emplois de la révolution industrielle. Ils seront pour l’essentiel à l’origine de la main d’œuvre qui fera bientôt de New York la capitale de l’industrie de la confection.
L’issue de la guerre de sécession (1861-1865) voit le triomphe de l’Amérique industrialiste et du capitalisme sauvage. La première fièvre économique que connurent les Etats-Unis fut celle des chemins de fer qui sont à l’origine de cette véritable folie des grandeurs où rien n’est impossible. Elle a rendu possible les plus grosses fortunes, les plus grandes usines, les plus énormes machines et le culte du self-made man.
« Il faut travailler dur, vivre avec frugalité, ne pas fumer ni boire, se lever tôt et se coucher tard, croire en sa chance et la fortune récompensera de si louables efforts. La route de la vertu conduit des haillons aux richesses; l’argent bien acquis fait le bonheur de celui qui le possède. » (Les Américains A. Kaspi Ed. Seuil 1986)
Les modèles de ce capitalisme sauvage et vorace, n’hésitant pas à ruiner leurs concurrents, sans concession vis-à-vis des salariés étaient incarnés par John D. Roockfeller et Andrew Carnegie, qui avaient tous deux créé une situation de monopole, respectivement dans les domaines du pétrole et de l’acier. A leur crédit, ils redistribuaient une partie importante de leurs richesses dans les œuvres de charités et le mécénat, car comme aimait à le dire Rockfeller : « Dieu m’a donné mon argent ».
Les tractations pour jouer un match entre Steinitz et Zukertort allaient permettre de clarifier ainsi la situation pour désigner le « champion du monde » officiel. Elles furent laborieuses et achoppèrent sur un point essentiel, Zukertort voulait qu’il se joue à Londres et Steinitz au contraire dans n’importe quelle autre ville d’Europe ou d’Amérique.
En mars 1885, Zukertort déclara dans « The Chess Monthly » :
« Je suis prêt à jouer de l’un ou de l’autre côté de l’Atlantique. » et les négociations reprirent.
M. Thomas Frère de New York fut désigné par Steinitz comme son second pour défendre ses intérêts et régler l’organisation du match, alors que de son côté Zukertort désignait M. Minchin, secrétaire du « St-George Chess Club » et auteur du livre du tournoi de Londres 1883.
Il fut décidé de jouer le match aux Etats-Unis mais de multiples problèmes surgirent et en septembre 1885 rien n’était réglé car deux points essentiels divergeaient comme le rapporta « La Stratégie » :
« L’un est que M. Steinitz demande que le match soit joué au premier gagnant au minimum de dix parties, tandis que M. Zukertort, qui ne veut pas trop prolonger son séjour, désire jouer seulement 21 ou 25 parties, le vainqueur étant celui qui aurait le meilleur résultat; l’autre est que M. Zukertort demande 750 dollars pour ses frais de voyage et de séjour s’il perd le match ou 500 dollars s’il le gagne. »
Le match devant être commencé en octobre, le suspens restait total !
Le 19 octobre 1885, les deux parties se mettent d’accord et acceptent de débuter le match le 4 janvier 1886 dans les conditions suivantes :
-
Enjeu de 2000 dollars de chaque côté.
-
Le vainqueur sera celui qui gagnera le premier dix parties.
-
Les parties nulles ne comptent pas.
-
Trois parties seront jouées par semaine.
-
Trente coups sont accordés pour les deux premières heures, ensuite il devra être joué quinze coups par heure.
-
Si les deux concurrents arrivent 9 à 9, le match sera déclaré nul.
Le match fut retardé de huit jours parce que le navire qui portait l’enjeu de Zukertort, expédié par M. Minchin, arriva à bon port avec quelques jours de retard. Le grand match débuta le 11 janvier au Manhattan Chess Club de New York. Il devait se tenir en trois lieux différents, à New York jusqu’à ce qu’un des concurrents remporte quatre victoires, puis à St-Louis jusqu’à ce que l’un des joueurs ajoute trois victoires au résultat précédemment obtenu, pour se terminer à la Nouvelle Orléans.
La première partie débuta le 11 janvier à 14 heures dans un local spécial situé au numéro 80 de la Cinquième Avenue. Il était composé d’une grande salle où près de 70 personnes avaient pris place pour suivre la partie sur un grand échiquier. Le grand-maître Mackenzie annonçait les coups et venait déplacer les pièces pour reproduire la partie en cours. Les deux prétendants jouaient dans une petite salle annexe, hors de la vue des visiteurs ou seuls les deux arbitres, MM. Frère et Mohle, pouvaient pénétrer.
L’échiquier sur lequel se mesuraient les deux hommes avait été utilisé bien des années auparavant par le légendaire Paul Morphy qui, usant des mêmes pièces, avait obtenu de nombreuses victoires contre les deux arbitres du match.
« Zukertort semble le plus nerveux des deux, souvent il se tire la barbe, change la position de ses pieds et quelquefois frappe en mesure sur le parquet; fréquemment lorsque son adversaire réfléchit sur un coup, il se lève de son siège et marche en allant et venant dans la petite chambre, les mains derrière le dos. Après la partie on a estimé que Zukertort s’était promené pendant une heure et demie, tandis que Steinitz n’avait pas quitté son siège. » La stratégie
Cette première partie, avec les commentaires abondants de l’époque, est emblématique du caractère scientifique vers lequel évoluait le jeu. Elle engendra un sacrifice positionnel intéressant de la part de Steinitz.
Zukertort,Johannes Hermann - Steinitz,William
World Championship 01st USA (1), 11.01.1886
Défense Slave [D11]
1.d4 d5 2.c4 c6 3.e3 ♗f5 4.♘c3 e6 5.♘f3 ♘d7 6.a3?!
Le début d’un plan douteux qui vise à une rapide expansion de l’aile dame.
Logique 6.♗d3 ♗xd3 7.♕xd3 ♘gf6 (7...f5!?) 8.0–0 suivi de la poussée e4 etc. avec des chances égales.
6...♗d6 7.c5?!
Une erreur sur le plan positionnel car les noirs peuvent réagir avantageusement au centre.
7...♗c7 8.b4 e5!
9.♗e2?!
Meilleur 9.dxe5 ♘xe5 10.♘d4 = Euwe
9...♘gf6?!
Plus précis 9...e4 immédiatement.
10.♗b2
C’était le dernier moment pour jouer 10.dxe5 ♘xe5 11.♘d4 etc.
10...e4!? 11.♘d2 h5
Introduit la menace si 12.b5 Cg4 13.h3 Dh4 pointée par Steinitz.
12.h3
Si 12.b5?! ♘g4 13.h3? ♕h4 Steinitz
12...♘f8 13.a4 ♘g6 14.b5
« Je suis d’accord avec M. Zukertort lorsqu’il m’a dit qu’il aurait dû jouer 14.Cb3, afin de préparer une case de fuite sur d2 pour son roi et renforcer son attaque sur l’aile dame, tandis que l’arrivée du cavalier noir sur h4 se voyait opposer de façon plus sûre 15.g3. » Steinitz
14...♘h4 15.g3
« La meilleure défense était 15.Rf1 après quoi les noirs auraient poursuivi avec 15…g5. » Steinitz
15...♘g2+!? 16.♔f1 ♘xe3+ 17.fxe3 ♗xg3 18.♔g2 ♗c7
« Le sacrifice semble avoir été envisagé lorsque les noirs exécutèrent la manœuvre du cavalier. Deux pions, la position exposée du roi blanc et les perspectives d’une formidable attaque étaient plus qu’une compensation pour la pièce. » Chess Monthly. Rosenthal, plus circonspect, jugeait ce sacrifice quelque peu spéculatif et considérait que les chances de gain étaient du côté des blancs.
19.♕g1?
« Faible, impliquant une grande perte de temps. Le coup correct était 19.Df1! et si 19…Dd7 20.Rf2 avec des chances de ramener le roi en sécurité. » Chess Monthly
Les blancs disposaient de la suite 20.bxc6! bxc6 21.Cb5! pointée par Rosenthal qui permettait d’éliminer du matériel et de retarder la mise en œuvre de l’attaque.La ligne de jeu critique était 19.Df1 Fe6 20.Rf2 Th6 21.Re1 Tg6 22.Cb3 Tg3 23.Rd2 et le roi blanc est en relative sécurité.
19...♖h6! 20.♔f1 ♖g6 21.♕f2 ♕d7 22.bxc6?!
L’ouverture de la colonne b fragilise davantage le roi blanc.
22...bxc6 23.♖g1
« Evidemment nécessaire pour éviter de perdre la dame après 23…Fxh3 suivi de 24…Fg3. » Chess Monthly
23...♗xh3+ 24.♔e1 ♘g4 25.♗xg4 ♗xg4 26.♘e2 ♕e7 27.♘f4 ♖h6
27...♖f6! pointé par Rosenthal semble meilleur, il proposait 28.♕h4 (Steinitz analysait 28.♖xg4 hxg4 29.♕h4 ♗xf4 30.exf4 ♖xf4 31.♕h8+ ♕f8 32.♕h5 ♔d7 33.♕g5 ♖f6 (33...♕b8!–+) 34.♘f1 suivi de 35.Ce3 avec une bonne partie, ce qui était pour le moins optimiste.) 28...♗xf4 29.exf4 ♖xf4 (29...e3!) 30.♕xe7+ ♔xe7 et les quatre pions passés sur l’aile roi gagneront facilement.
28.♗c3 g5 29.♘e2 ♖f6 30.♕g2 ♖f3 31.♘f1 ♖b8
« 31…Fh3 était peut-être plus fort. » Chess Monthly
32.♔d2 f5?!
Plus simple était 32…Fh3.
33.a5?
Steinitz a indiqué une variante intéressante 33.Ch2 Th3!? 34.Cxg4 hxg4 35.Th1 Dh7 36.Tag1 Rf7 37.Txh3? gxh3 38.DXg5?? et ici Tg8! gagnait la dame. (38…h2 39.Tf1! =)
« M. Zukertort nous écrit que le coup du texte a été joué - le premier joué après l’ajournement de la partie et qu’il est très mauvais - 33.♖h1 pour pour pouvoir attaquer la tour par 34.Cg1 était préférable. 33.♘h2 dans le même but n’était pas possible à cause de la réponse 33...♗h3 » Chess Monthly
Steinitz a indiqué une variante intéressante 33...♖h3!? 34.♘xg4 hxg4 35.♖h1 ♕h7 36.♖ag1 ♔f7 37.♖xh3? gxh3 38.♕xg5?? et ici 38...♖g8! gagnait la dame. (38...h2 39.♖f1!=) ) 34.♕xg5! ♕xg5 35.♖xg5 ♗xh2 36.♖xh5 ♗c7 37.♖h1 ♗g4 38.♖h8+ ♔d7 39.♖8h7+ ♔d8 40.♖h8+ les blancs pouvaient forcer la répétition.
33...f4 34.♖h1 ♕f7 35.♖e1 fxe3+ 36.♘xe3 ♖f2 37.♕xf2
Si 37.♕g1 ♕f3!–+
37...♕xf2 38.♘xg4 ♗f4+ 39.♔c2 hxg4 40.♗d2 e3 41.♗c1 ♕g2 42.♔c3 ♔d7 43.♖h7+ ♔e6 44.♖h6+ ♔f5 45.♗xe3 ♗xe3 46.♖f1+ ♗f4 0–1
La suite du match fut étonnante ; Zukertort aligna quatre victoires consécutives sans vraiment convaincre, Steinitz, meilleur stratège, gâcha une partie gagnée dans la troisième et gaffa dans la quatrième. Sur le plan tactique, Zukertort affichait une légère supériorité se montrant le digne successeur de son mentor Anderssen.
La 5ème partie, jouée le 20 janvier, fut l’une des meilleures prestations de Zukertort, voici ce que rapporta « La Stratégie » :
« Dès le commencement de la partie M. Zukertort obtient une supériorité contre laquelle se débat en vain M. Steinitz. M Zukertort a joué avec une très grande rapidité, car pour jouer 32 coups il n’avait pas employé une heure; son adversaire, au contraire, a utilisé tout le temps dont il disposait. Il s’est trouvé tellement pressé par le temps, avant la fin des deux premières heures, qu’il n’avait pas écrit les coups de la partie exactement et c’est M. Zukertort qui obligeamment lui a lu les coups, d’après sa propre copie, pour lui permettre de rectifier. M. Steinitz a réfléchi pendant vingt-quatre minutes pour jouer son 31ème coup et finalement il abandonna au 32éme coup. »
Zukertort,Johannes Hermann - Steinitz,William
World Championship 01st USA (5), 20.01.1886
Défense Slave [D10]
1.d4 d5 2.c4 c6 3.♘c3 ♘f6 4.e3 ♗f5?! 5.cxd5! cxd5 6.♕b3 ♗c8 7.♘f3 ♘c6 8.♘e5! e6
« Si 8...♘xe5? 9.dxe5 perdait un pion. » Chess Monthly
9.♗b5 ♕c7?!
La dame n’est pas au mieux sur la colonne c, meilleur 9...♗d7 10.♘xd7 ♕xd7 11.♗d2 ♗d6 12.0–0 0–0 13.♖fc1 avec un léger avantage blanc.
10.♗d2 ♗d6 11.f4 0–0 12.♖c1
« La pression sur la colonne c est très forte. La menace est 13.Fxc6 bxc6 14.Cb5 Db8 15.Cxd6 Dxd6 16.Fb4. » Lasker
12...♗xe5?!
Un échange désagréable mais nécessaire car si 12...♗d7 13.♗xc6 bxc6 (13...♗xc6 14.♘b5 ♕e7 15.♘xd6 etc.) 14.♘b5 ♕b8 15.♘xd6 ♕xd6 16.♗b4; Ou 12...♕b6 13.♘a4! qui gagnait un pion.; Pourtant un moindre mal était peut être 12...a6!?
13.fxe5 ♘e8
Si 13...♘d7 14.0–0! (car la variante proposée par Steinitz, soit 14.♗xc6 bxc6 15.♘b5 ♕b6 16.♘d6 c5 17.dxc5 ♘xc5 18.♕c2 ♘d7 19.♕a4 est réfutée par 19...♘xe5! 20.♘xc8 ♘d3+–+)
14.0–0 f6
Ce coup fut critiqué dans le livre du match, le coup de développement 14...♗d7 fut suggéré mais la dynamique exercée par les pièces blanches permettait le tactique 15.♘xd5! exd5 16.♗b4 ♕d8 17.♗xf8 ♔xf8 18.♕xd5 ♕e7 19.♗c4 ♘d8 20.♕e4+–
Steinitz tenait 14...f5!? comme meilleur mais pointa 15.g4! par la suite.
15.♗d3 ♖f7
15...fxe5? 16.♗xh7++–; 15...♗d7 16.♘xd5 exd5 17.♕xd5+ ♔h8 18.♗b4+–
16.♕c2 f5
Cherchant à maintenir le jeu fermé car l’attaque sur l’aile roi devenait décisive après 16...fxe5? 17.♗xh7+ ♔h8 18.♘b5! ♖xf1+ (18...♕d7 19.♖xf7 ♕xf7 20.♗g6 ♕e7 21.♗xe8 ♕xe8 22.♘c7+–) 19.♖xf1 ♕e7 20.♕g6 ♘f6 21.♘d6! ♘xh7 22.♖f7+–
17.♘e2 ♗d7 18.♖f2
« Ici je ne vois aucune raison de n’avoir pas joué 18…g4! » Steinitz
18...♖c8 19.♗c3?!
« Un préparatif pour doubler les tours. Si 19.♖cf1 ♕b6 et les blancs n’ont pas de moyen satisfaisant pour prévenir 20…Cb4 qui menaçait d’échanger un fou. » Chess Monthly
19...♕b6 20.♕d2 ♘e7 21.♖cf1 ♗b5 22.♗b1 ♕a6 23.g4 g6
Steinitz accusait un dangereux retard à la pendule mais il a réussi à obtenir une position défendable.
24.h3 ♖c7?!
« 24...♗c4 aurait été ici un coup très fort. Il forçait 25.a3 Le fou noir sur c4 aurait protégé le centre et indirectement l’aile roi, et si les blancs échangeaient avec gxf5, les noirs auraient repris avec le cavalier, au lieu du pion, comme ils ont été forcés de le faire par la suite, après quoi, si les blancs avançaient le pion e, le fou noir restait disponible pour protéger le centre. » Steinitz (25.b3? ♗xe2 gagnait une pièce.)
25.♖e1?! ♘g7
« Il était préférable de ne pas occuper cette case avec un cavalier car les noirs auraient pu se réserver l’option de jouer …Tg7. » Steinitz. Il suggéra par la suite 25…Fxe2 qui éliminait le dangereux cavalier.
26.♘f4 ♘c8?
En crise de temps, les noirs écartent un précieux défenseur du roque. Une meilleure défense était 26...g5!? 27.♘d3 b6 suivi de 28...Cg6.
27.gxf5! gxf5
« Sur 27...♘xf5 suivait 28.e4 dxe4 29.♖xe4 et les noirs ne pouvaient empêcher l’avance fatale du pion d4. » Steinitz
28.♖g2 ♔h8 29.♔h2 ♕c6
Les noirs tentent de ramener la dame en défense mais l’attaque via la colonne g est trop forte.
30.♖eg1 ♘e7
Ce coup fut joué alors que Steinitz était sur le point d’avoir utilisé tout son temps, soit 2 heures.
31.♕f2 ♕e8
Joué après une longue réflexion. « Une erreur mais la position noire, faible sur les cases noires et la colonne g, est intenable. » Lasker
Steinitz indiqua 31...♕d7 32.♕h4 ♖c8 33.♕h6 ♖g8 34.♗b4 avec gain.
La presse de l’époque (Sonntagsblatt) commenta : si 31...♘e8 32.♕h4! qui menace mat en quatre 33.Tg8! Cxg8 34.Cg6 Rg7 35.Ce7 Rf8 36.Txg8 mat.
32.♖xg7! 1–0
« Si 32.♖xg7 ♖xg7 33.♖xg7 ♔xg7 34.♘xe6+ suivi par 35.Cxc7 avec une pièce et un pion de plus. » Steinitz
« Dans cette partie chaque coup de Zukertort tendait vers une vigoureuse coopération des pièces, unies pour attaquer le roi, d’abord depuis sa position initiale, puis contre son roque. La concentration en force des pièces contre le roi est le but de la vieille école italienne; Zukertort se trouve être l’homme de la situation et, sur le plan de l’exécution tactique il est un très grand-maître. Steinitz toutefois trouva sur l’échiquier de bons plans pour s’y opposer avec succès. » Lasker
Le match se poursuivit à Saint-Louis où les deux champions arrivèrent le 30 janvier. Ils reprirent la lutte le 3 février dans le « Hall du Harmonic Club » en présence de deux cents personnes. Comme à New York, ils étaient placés dans une petite salle attenante et les coups étaient reproduits sur un grand échiquier mobile accroché sur l’un des côtés de la grande salle. Durant cette partie un incident s’était produit, la pièce était devenue très froide, l’appareil de chauffage défectueux ne fonctionnant plus. Steinitz a alors proposé d’ajourner alors que Zukertort, qui menait 4 victoires à une, refusa convaincu de l’ascendant qu’il avait sur son adversaire pour conforter son avantage.
« Zukertort est agité, Steinitz prend son temps; souvent le premier va et vient autour de la table, marchant d’une manière nerveuse dans la chambre ou battant le tambour sur les carreaux de la fenêtre. » remarquait le « Times Democrat ».
Steinitz,William - Zukertort,Johannes Hermann
World Championship 01st USA (6), 03.02.1886
Espagnole variante Berlinoise [C67]
1.e4 e5 2.♘f3 ♘c6 3.♗b5 ♘f6 4.0–0 ♘xe4 5.♖e1 ♘d6 6.♘xe5 ♘xe5
Cette variante fut l’objet d’un débat théorique important dans ce match, 6…Fe7 joué par la suite est plus sûr.
7.♖xe5+ ♗e7 8.♘c3!?
Dans la 4e partie la suite fut 8.♗f1 0–0 9.d4 ♗f6 10.♖e1 ♖e8 11.c3 ♖xe1 12.♕xe1 ♘f5 13.♗f4 d6 =
8...0–0!
Evente un premier piège pointé par Steinitz.
Après 8...♘xb5? 9.♘d5! 0–0 10.♘xe7+ ♔h8 11.♕h5 (menace 12.Dxh7 et 13.Th5 mat) 11...g6 (11...h6?! 12.d4! ♔h7 13.♘f5! avec attaque de mat) 12.♕h6 (menace 13.Th5! gxh5 14.Df6 mat) 12...f6 13.♘xg6++–
9.♗d3 ♗f6 10.♖e3
10...g6
Le deuxième piège, la menace était 11.Fxh7! suivi de l’arrivée des pièces lourdes sur la colonne h. Lasker a proposé 10…Te8.
11.b3 ♖e8
Dans « Chess Monthly » est recommandé 11…b6!? pour développer également le fou en fianchetto.
12.♕f3 ♗g5?!
« Pas aussi bon que de maintenir le fou sur la même diagonale en attaquant la tour depuis d4, pour pouvoir le retirer éventuellement sur g7. 12...♗d4 13.♖xe8+ ♘xe8 14.♗b2 d5 15.♖e1 ♗e6 = » Steinitz
13.♖xe8+
Lasker a proposé l’intéressant sacrifice de la qualité 13.♗b2!? ♗xe3 14.fxe3 c6 (sinon 15.Cd5) 15.♖f1 f5 (15...♕e7? 16.♗a3+–) 16.e4! et les noirs ont des problèmes pour défendre l’aile roi affaiblie.
13...♘xe8
« Si 13…Dxe8 14.Fa3!? menaçant 15.Cd5 » La Stratégie
14.♗b2! c6!
Steinitz avait jugé correctement que 14…Fxd2? perdait du matériel après 15.Fc4! avec une terrible attaque.
15.♘e4 ♗e7 16.♕e3 d5 17.♕d4
« Dans des positions similaires, il est important de forcer l’adversaire à avancer le pion f qui deviendra faible et incapable de supporter une pièce mineure pour tenir le centre. » Steinitz
17...f6 18.♘g3 ♗e6
« Ici 18…c5 aurait pu servir (19.Df4!? += Euwe). Cela aurait permis, si nécessaire, de fermer la diagonale du fou b2 adverse et après avoir joué …Cc7 ou …Cg7, le fou c8 aurait pu être développé apparemment dans une position plus favorable que celle de la partie. » Chess Monthly
19.♖e1 ♘g7 20.h4! ♕d7 21.h5 ♗f7 22.hxg6 ♗xg6
Si 22...hxg6 23.♕h4! et la menace 24.Dh6 soutenue par la puissante paire de fous assure un net avantage, si 23...♖e8 24.♖e3! (24.♗xf6? ♗xf6 25.♖xe8+ ♘xe8–+) 24...♕d6 25.♘e2 suivi de Cf4 avec une terrible attaque.
23.♕e3 ♔f7?!
Meilleur 23...♗d6!? 24.♗xf6? ♖e8–+
24.♕f4 ♖e8 25.♖e3 ♘e6?
« La réponse blanche va initier une puissante attaque, mais il est difficile de suggérer une amélioration ici car le blancs menacent Tf3 et Dh6. » SteinitzZukertort, après la partie, attribua la responsabilité de sa défaite à ce coup et proposa 25…Dd6 « 25…Fd8 était la bonne réponse.» Chess MonthlyLasker porta un jugement intéressant, à la fois sur le jeu et les hommes du match :« Depuis le 14ème coup et jusqu’ici, les noirs en défense, ont très bien joué. Maintenant les blancs n’ont pas de menace immédiate et, pour donner un sens à leur jeu, ils doivent conforter leur initiative, ils doivent projeter un plan. Mais ceci est justement ce que Zukertort ne pouvait comprendre. Steinitz contre lequel il combattait, était doté des armes intellectuelles dont il avait besoin pour planifier, mais Zukertort ne comprenait son adversaire et s’est perdu complètement lorsqu’il fut confronté à cette tâche. Son plan correct était de fixer son attention sur ses points faibles f5, c5 et e6, et de continuer à lutter pour la nulle en échangeant les pièces dangereuses. Son objectif était de construire une phalange en jouant 25…c5!? avec l’idée, si nécessaire, de bloquer un fou. Ce plan était certainement difficile à mettre en œuvre mais Zukertort n’essaya même de concevoir celui-ci ou quelques autres plans, il commit une erreur, il fut induit en erreur, puisque la théorie de Steinitz lui était étrangère. » Lasker
26.♕g4! ♘f8?!
Vise à l’échange des dames pour soulager la défense.
27.♘f5!
Après ce coup Steinitz ne disposait que de quelques minutes pour atteindre le 30ème coup et le contrôle du temps.
27...♗c5 28.♘h6+ ♔g7
Ici Steinitz utilisa un stratagème intéressant en répétant les coups. La règle qui prévalait au tournoi de Londres, joué en 1883, inspirée du « German Handbuch » était qu’après trois répétitions l’un des adversaires pouvait exiger la nulle. Pour ce premier championnat du monde le règlement différait sur ce point : « Si les deux joueurs répètent six fois de suite les coups, alors chacun des adversaires pourra revendiquer la nulle. » Ce qui explique la séquence suivante.
29.♘f5+ ♔f7 30.♘h6+ ♔g7 31.♘f5+ ♔f7 32.♘h6+ ♔g7 33.♘f5+ ♔f7 34.♘h6+ ♔g7 35.♗xg6!?
« La position actuelle pouvait donner difficilement plus que cette combinaison d’échanges qui finalement laisse les blancs avec un pion de plus. Si 35.♖f3 ♖e1+ 36.♔h2 ♗d6+ 37.g3 ♕xg4 38.♘xg4 ♗e5 =. » Steinitz; 35.♕h4! ♖e6 36.♖g3 qui conservait le matériel et toutes les menaces étaient très prometteuses.
35...♕xg4 36.♘xg4 ♖xe3 37.fxe3
37.dxe3! permettait la création d’un pion passé sur l’aile roi.
37...♔xg6 38.♘xf6 ♗b4 39.d3 ♘e6 40.♔f2 h5 41.g4 h4?!
« Les noirs auraient dû échanger le pion et bien que cela eut dégagé l’aile et permis au roi blanc de venir soutenir les pions du centre, les noirs auraient rendu plus difficile le gain de la partie avec une seule majorité de pions. Le coup du texte donne un pion passé aux blancs et rend le pion tour difficile à défendre. » Steinitz
42.♘h5 ♗d6 43.♔g2 c5?!
43...♘g5!? 44.♘f4+ ♔f7 augmentait les chances de survie du pion h.
44.♗f6! ♘g5 45.♗xg5 ♔xg5 46.♔h3 ♗e5? 47.♘f4?
« La partie a été ajournée et ce coup a été mis par M. Steinitz dans une enveloppe fermée. Le cavalier n’arrive pas trop tôt sur f4, les noirs menaçaient de gagner un pion avec la poussée d5 ou d’enfermer le cavalier. Evidemment les noirs ne peuvent l’échanger 47…Fxf4? 48.exf4 Rxf4 49.Rxh4 gagnerait facilement. » Steinitz
47...d4 48.♘e6+ ♔f6 49.exd4 cxd4 50.♘c5 ♔g5
« Il n’y a rien de mieux, les blancs menaçaient 51.Cd7. » Steinitz
51.♘xb7 ♔f4 52.♘a5 ♗f6 53.♘c6 ♔e3 54.♘xa7 ♔d2 55.♘c6 ♔xc2 56.a4 ♔xd3 57.♘b4+
57...♔e2
« Si 57...♔e3 58.♘d5+ ♔e4 59.♘xf6+ ♔e5 60.g5 d3 61.♘g4+ suivi de 62.Cf2.; « Ou 57...♔e4 58.a5 ♗e7 (58...d3 59.♘xd3 et les noirs ne peuvent arrêter les pions sur les deux ailes.) 59.a6 ♗c5 60.♔xh4 avec gain. » Steinitz
58.a5 ♗e7 59.♘d5 ♔f3
« Laisser la pièce en prise ne fait aucune différence, la partie est totalement désespérée. » Chess Monthly
60.♘xe7 d3 61.♘d5 1–0
Les commentaires de Steinitz démontrent la modernité de sa vision sur le plan positionnel par rapport à l’époque. Un point de vue qui n’était pas toujours perçu par ses contemporains qui focalisaient sur les possibilités d’attaques et s’extasiaient sur la richesse des complications tactiques souvent aventureuses.
Steinitz avait à nouveau utilisé presque tous son temps, 3 heures 33 pour seulement 1 heure 53 pour Zukertort.
C’était le tournant du match comme le résuma Mackenzie :
« Cette partie est certainement la meilleure jouée jusqu’ici dans le match par M. Steinitz et son excellent jeu a sans aucun doute rendu la confiance à ses parieurs et ses amis. »
Après avoir failli subir un véritable naufrage, Steinitz refaisait surface pour revenir en force.
Je tiens à remercier Gérard Demuydt pour son aide régulière dans la mise en ligne de mes articles et le Musée du Jeu de La Tour-de-Peilz pour m’avoir permis de consulter l’importante bibliothèque de feu Ken Whyld. www.museedujeu.ch
Georges Bertola