En bref
Najdorf ne remporta qu’une seule partie à Lugano, contre le Danois Larsen, qui venait de se faire éliminer dans sa quête du titre mondial par Spassky. Mais quelle partie avec un tableau de mat qui fit le tour de la planète échecs.
Quelques souvenirs...
Miguel Najdorf jouait au premier échiquier de l’équipe d’Argentine. Il était arrivé avec quelques jours de retard lorsque qu’un ami lui demanda :
- Miguel où étais tu ?
- J’arrive de Madrid après m’être arrêté quelques jours à Paris. Je ne jouerai pas le tournoi préliminaire avec toutes ces mazettes !
La différence de niveau permettait quelques fois de réaliser de petites miniatures dont celle-ci.
Gibbs,Glen – Schmid,Lothar, Lugano ol (Men) qual-E (4), 21.10.1968
1.e4 ♘f6 2.♘c3 d5 3.exd5 ♘xd5 4.♘ge2 ♘c6 5.g3? ♗g4 6.♗g2 ♘d4 7.♗xd5??
7...♕xd5 !! 8.f3
8.♘xd5 ♘f3+ 9.♔f1 ♗h3#
8...♕xf3 9.♖f1 ♕g2 0–1
« Pendant le match avec l’URSS, l’Argentin Najdorf est appelé de New York, non pas simplement mais de façon urgence. Najdorf sautille avec nervosité. – Je dois m’envoler demain de Lugano pour New York. - Qu’est-il arrivé, quelqu’un est-il décédé ? - lui demandai-je. Najdorf : Pourquoi quelqu’un serait-il mort ? Je dois y aller par avion ; j’y ai des affaires importantes- Mais comment peux tu t’envoler tant que l’Olympiade n’est pas terminée ? - Olympiade, Olympiade, qu’est-ce pour une affaire que l’Olympiade ? Elle ne fait que de me coûter de l’argent. Les affaires sont les affaires ! Tu ne t’y connais pas en pareilles choses. Je m’envole demain pour New York. Najdorf resta naturellement. Les affaires sont les affaires mais Najdorf préfère pourtant les échecs. » (Rapporté par le GM Flohr)
Voici un portrait du grand Miguel par le MI Grob :
« Une nature volcanique. Je n’ai jamais rencontré un homme semblable à Najdorf. Il bousculait tout le monde sur son passage, courait d’une table à l’autre, faisait des commentaires à mi-voix sur les parties qui l’intéressaient et toutes les parties l’intéressaient ! Peu soucieux des « silence » des arbitres. A peine boudeur aux semonces du directeur de tournoi.
Najdorf, après ses excursions momentanées, se remettait devant l’échiquier et se concentrait immédiatement, solide et tenace. Sa nature exubérante le rendait sympathique, parce qu’après avoir gagné sa partie, quelquefois il rudoyait allègrement l’adversaire, se mettait à reconstruire son déroulement avec une patience amoureuse, et faisait sienne la cause du perdant. Il s’affligeait d’un coup faible et fautif comme si l’amour des échecs fut tel pour lui qu’il devait renvoyer dans l’oubli les âpretés de la lutte et l’arbitraire autorité de son ego. »
Najdorf était un personnage des plus truculent et facétieux qui avait bien réussi dans les affaires mais restait un véritable passionné. A 58 ans il était déjà considéré comme un champion légendaire, ses co-équipiers l’appelaient « El Viejo ». Il avait côtoyé le champion du monde Alekhine en 1939 à l’Olympiade de Buenos Aires alors qu’il jouait pour la Pologne au second échiquier, derrière Tartakower.
Cette même année il avait tenu tête à Capablanca au tournoi de Margate après que ce dernier lui fit une offre indirecte de partage du point:
Capablanca : Jouez-vous pour le gain ?
- Oui, je joue pour le gain !
Je me suis dit, je suis mieux, je suis un joueur, la défaite ne me coûte rien et si je gagne j’entrerais dans l’Histoire.
Toutefois le champion cubain avait réussi à annuler.
Lorsque Najdorf surgissait dans la salle de tournoi, il se passait toujours quelque chose. Il rompait parfois le silence en s’exprimant à voix haute pour être entendu par tous, ce qui provoquait un certain brouhaha pour le moins dérangeant, notamment dans sa partie contre Spassky lorsque ce dernier lui fit une offre de nulle.
Une anecdote que m’avait relatée le GM Gheorghiu, témoin de la scène, qu’il situa lors de l’Olympiade de Siegen mais les deux hommes ne s’étaient pas affrontés, ce ne pouvait donc être qu’à Lugano.
Voir mon article : https://www.europe-echecs.com/art/buenos-aires-1970-triomphe-pour-bobby-fischer-6107.html
Parfois il pouvait franchir les limites de la bienséance comme l’a rapporté le GM Gligoric :
« Concentré sur une position difficile je fus à ce moment distrait par une conversation à voix haute en espagnol de la part de Najdorf. J’écoutais la conversation et en même temps je réfléchissais sur mon prochain coup. Soudain Najdorf vint vers l’échiquier et fut désappointé par mon coup parce qu’il ne lui donnait aucune chance de gain. Il me tendit un piège en m’offrant un pion puis il prit sa tête dans ses mains comme s’il regrettait amèrement son dernier coup. En ce temps là j’étais très naïf et de plus en zeitnot ! Je pris le pion… immédiatement après Najdorf gagna une pièce et la partie. Je fus un peu agacé par cette comédie. Najdorf est comme un enfant, il pense être très rusé, mais je fus plutôt offensé par cette combine. »
Najdorf ne remporta qu’une seule partie (et une seule défaite Reschevsky) à Lugano, contre le Danois Bent Larsen, qui venait de se faire éliminer dans sa quête du titre mondial par Boris Spassky. Mais quelle partie avec un tableau de mat qui fit le tour de la planète échecs.
Larsen,Bent – Najdorf,Miguel, Lugano ol (Men) fin-A (2), 26.10.1968
1.b3 c5 2.♗b2 e6 3.f4
Transpose dans un schéma de l’ouverture Bird.
3...d5
Larsen critiqua ce coup qui laisse le contrôle de la case e5 aux blancs.
4.e3 ♘f6 5.♘f3 ♗e7 6.♗b5+ ♗d7 7.a4 0–0 8.0–0 ♘c6 9.♕e2
Larsen à indiqué 9.d3! et après 9...a6 10.♗xc6 ♗xc6 11.♘e5 ♖c8 12.♘d2 qui permet de consolider la position du cavalier centralisé, si 12...♘d7 13.♘df3 +=
9...a6 10.♗xc6 ♗xc6 11.♘e5 ♖c8 12.a5
« Un drôle de coup. Je ne comprends pas comment on joue en Europe. Chez nous en Argentine, chaque enfant sait que vous devez vous développer rapidement. Chaque Argentin aurait joué ici 12.d3. » Najdorf Du point de vue stratégique il fallait contenir la poussée c5–c4.
12...♘d7 13.♘xc6 ♖xc6 14.d3?
« Les Européens sont toujours en retard ! Ce qu’il y a de bien c’est que les noirs peuvent maintenant pousser le pion c5. » Najdorf. Correct 14.c4 ♗f6 avec des chances égales selon Larsen.
14...c4!
« Najdorf ne serait plus Najdorf s’il n’avait pas poussé ce pion. Il est évident que les blancs, après avoir échangé deux fois sur c4, malgré un pion de plus ne se sentiront pas fier de leur structure. Pour des natures plus tranquilles 14…Ff6 était aussi une bonne suite positionnelle qui offrait un beau jeu aux noirs. » Keres
15.bxc4 dxc4 16.d4
« La valeur de ce coup dépend de la possibilité ou non pour les blancs de réaliser la poussée e3–e4. » Keres. 16.dxc4 ♕c7 17.♘d2 ♖d8 18.♖fd1 ♗b4 19.♕g4 g6 20.♕g5 n’est pourtant pas clair.
16...♘f6 17.c3
« L’avance du pion e4 n’est pas possible pour le moment à cause de la ressource tactique 17.e4? c3! 18.♘xc3 ♕xd4+ etc. » Keres
17...b5!?
Ici Najdorf était très satisfait de sa position et quelqu’un lui demanda ce qu’il en pensait. Il fit cette réponse ironique : « Je ne sais pas, j’ai entendu dire que l’ouverture Bird gagne toujours ! ».
18.axb6
« Sur le plan stratégique cet échange va s’avérer être une faute, car l’ouverture de la colonne b va profiter aux noirs et les blancs ne parviendront plus à pousser e4. Il fallait jouer 18.e4 b4 19.Cd2 après quoi le combat pouvait encore durer. » Keres
18...♕xb6 19.♗a3
« Ici 19.e4 n’allait pas bien à cause de 19...♘xe4! 20.♕xe4 ♕xb2 21.♕xc6 ♕xa1 avec un avantage positionnel pour les noirs. » Keres
19...♗xa3 20.♖xa3 ♘d5
Ici Larsen jugeait la position à l’avantage noir grâce à ce cavalier centralisé et des pièces mieux coordonnées.
21.♖e1
« Pas très compréhensible, pourquoi Larsen n’a-t-il pas joué 21.e4 ♘c722.♖a4 les noirs n’avaient pas grand-chose. Certains membres de l’équipe soviétique ont même voté pour la position blanche. » GM Flohr
Keres notamment qui considérait 21.e4 (21.g3!?) 21...♘xf4 22.♖xf4 ♕xb1+ 23.♖f1 et pour le pion sacrifié les blancs ont un bon jeu de pièces avec domination du centre.
21...♕b7!
« Najdorf comme compositeur de problème?! Une telle pensée aurait fait rire le grand-maître lui-même. Mais ce qui débute avec ce coup, si je ne me trompe pas c’est le plus pur Turton dans le domaine du problème d’échecs. Comme c’est le cas avec le problème, la manœuvre de Turton est extrêmement forte, et si elle ne conduit pas à un mat en trois, ce sera bientôt une position gagnante pour les noirs. » Keres
22.♕c2 ♖b6 23.♘d2 ♖b2 24.♕c1 ♖b8 25.♖a5
La pointe de l’idée du 21e coup est révélée dans cette variante 25.♘xc4? ♖xg2+ 26.♔xg2 ♘xf4+ 27.♔g3 ♕g2+ 28.♔xf4 g5+ 29.♔e5 ♖b5+ et le mat est inévitable.
25...f5 26.h3
Un bon coup défensif.
26...h6
« Moi aussi j’ai besoin d’un trou d’air. » Najdorf
27.♔h1
Si 27.♘xc4 ♖xg2+ 28.♔xg2 ♘xf4+ 29.♔g3 ♘d3 (Larsen) récupère avantageusement le matériel (mais 29...♕g2+! 30.♔xf4 g5+! 31.♔e5 ♕e4+ 32.♔d6 et le roi noir ne peut se soustraire à l’attaque, par exemple une variante gourmande 32...♕b7! 33.e4 ♖d8+ 34.♔xe6 ♖e8+ 35.♔xf5 ♕c8+ 36.♔g6 ♕e6+ 37.♔h5 ♕xh3+ 38.♔g6 ♖e6#)
27...♘f6 28.♖e5?!
Une position difficile. Le GM Mikhalchishin a proposé 28.e4 ♘xe4 29.♘xe4 mais le coup intermédiaire 29...♖b1! pose des problèmes après 30.♕xb1 ♕xb1 31.♖xb1 ♖xb1+ 32.♔h2 fxe4 33.♖xa6 ♔f7 et le pion passé e4 et la faiblesse du pion c3 sont à l’avantage noir.
28...♖a2!
Prépare l’invasion de la seconde rangée.
29.♖g1 ♕f7!
« Un autre coup puissant, les noirs libèrent le passage pour l’autre tour et la dame menace de se rendre sur h5. » GM Timman
30.e4?
Larsen a indiqué 30.♘xc4 comme préférable. Plus résistant mais insuffisant comme le pointe Timman après 30...♘e4 31.♖xe4 fxe4 32.♘e5 ♕h5 33.♕e1 ♖bb2 34.♔h2 a5 , etc.
30...♖bb2 31.♘xc4 ♖c2 32.♕e3 ♘xe4
Toutes les pièces noires sont à l’attaque !
33.d5?
Les blancs en crise de temps n’ont plus de solution, si 33.♖xe4 ♕g6! menace 34…Txg2 –+
33...exd5
Larsen a pointé le plus direct 33…Dg6 !
34.♘b6 ♖xc3 35.♕d4 ♕h5!
Tous les acteurs sont en place pour conclure tactiquement !
36.♕xd5+ ♔h7 37.♕xa2
Beau joueur Larsen joue pour la galerie.
37...♖xh3+! 38.gxh3 ♕xh3+ 39.♕h2 ♘f2# 0–1
« Mat, ceci s’appelle donner le mat ! » s’exclama Najdorf. Puis il se leva, rayonnant pour s’approcher de ses amis en les interrogeant :
- Comment trouvez-vous le vieux Najdorf. Plus exactement comment trouvez-vous le toujours jeune Najdorf ?
Il s’entendit répondre :
-Le jeune Najdorf joue aussi bien que le Viejo !
Depuis le tournoi des candidats de 1953, l’Olympiade de Lugano fut le plus important événement échiquéen organisé en Suisse. Avec 53 pays participants, le record de La Havane fut dépassé mais de peu. (52 pays) Au départ il y avait 56 inscrits. C’était sans compter avec les retraits de l’Iran, la Nouvelle Zélande et le Pérou.
1968 fut aussi l’année où Hans Suri mettait sur pied un petit open à Bienne avec 34 participants et qui passa inaperçu. Victoire du MI Edwind Bhend qui décoiffait au poteau un jeune hollandais, Jan Timman, aux allures de « Provo » et qui allait beaucoup faire parler de lui.
Sur le plan politique la tension qui opposait les deux blocs avait été ravivée par l’intervention soviétique, qui récidivait 12 ans après Budapest. L’armée Rouge venait d’écraser le « printemps de Prague » alors qu’une partie de la gauche orthodoxe croyait encore aux vertus du socialisme prônées par l’URSS et à son avenir radieux.
« Un mois avant le début de l’olympiade, la Tchécoslovaquie fut envahie par les pays du pacte de Varsovie. D’emblée la question se posa : Devait on renoncer à maintenir la manifestation ou bien adopter une solution intermédiaire, à savoir, refuser la participation des « envahisseurs » de la Tchécoslovaquie ? Cette dernière solution était appuyée par la fédération norvégienne.
Justifiant en cela le caractère apolitique de la FIDE, le Comité central de la Fédération suisse des Echecs se prononça finalement en faveur du maintien de l’olympiade et sans la moindre mesure d’éviction à l’encontre de certains participants. » Frits van Seters
Le président de la Fédération Suisse tint à préciser :
« Au sujet des mesures prises en Tchécoslovaquie par les maîtres du Kremlin, le Conseil Fédéral a exprimé son indignation sans ambages, ses paroles traduisant le sentiment du peuple suisse tout entier. Mais la Suisse doit-elle rompre tout contact avec les gens des états de l’Est ? L’Olympiade échiquéenne est une manifestation culturelle avec des possibilités de rayonnement, qui ne doivent pas être sous-estimées. En tant qu’îlot de paix au cours de deux terribles guerres mondiales, la Suisse a le devoir d’éviter la faute consistant à proscrire des hommes d’autres pays, simplement parce qu’ils ont commis le « crime » d’être nés dans un pays actuellement régi par des politiciens assoiffés de puissance. » Alois Nagler dans la RSE septembre 1968.
Deux des meilleurs joueurs de Tchécoslovaquie étaient à Lugano, Lubomir Kavalek et Ludek Pachman, non pour jouer mais dénoncer l’invasion soviétique et tentèrent de dialoguer avec l’équipe soviétique, ce qu’ils réussirent avec plus ou moins de succès.
Je m’étais rendu à Lugano dès les premiers jours avec l’espoir de rencontrer Bobby Fischer. Il devait jouer au premier échiquier de l’équipe des USA. Malheureusement mon souhait ne fut pas exaucé, Fischer était reparti sans avoir joué une seule partie.
La première ronde du tournoi préliminaire vit les USA affronter la France avec au premier échiquier Reshevsky qui dut recourir à l’ajournement pour marquer le point face à César Boutteville.
Nous étions plus de 200 visiteurs le vendredi 18 octobre à attendre sa venue. Des rumeurs circulaient, Fischer avait imposé ses conditions lors du dernier Congrès qui venait d’avoir lieu à Lugano. Le public devait être éloigné au moins de 8 mètres de la table de jeu, les lumières améliorées et il avait débuté avec un jour de repos ! Le lendemain toujours aucune trace de Bobby Fischer… Que s’était-il passé ?
Voici la version du biographe de Fischer :
« A la fin du tournoi de Vinkovici, au lieu de traverser la Yougoslavie et l’Italie pour atteindre Lugano, Bobby décida de passer par le Danemark et de prendre quelques vacances à Copenhague. Il lui restait deux semaines pour se préparer avant le début de l’Olympiade de Lugano. Il arriva par avion en Suisse, le mercredi 16 octobre. Il retrouva Reshevsky, Evans, Benko, Robert Byrne et Lombardy. Ed. Edmondson et George Koltanovski faisaient office de capitaines et leurs qualités et leur expérience étaient connues. C’était une formidable équipe, la meilleure combinaison américaine que l’on ait vue depuis des années, et les pontifes annonçaient à qui mieux mieux que l’Amérique allait donner une bonne leçon aux Soviétiques, conviction renforcée par l’annonce de Tal, à cause de sa mauvaise santé, resterait chez lui, à Riga. » Frank Brady
Lorsque Fischer se rendit, avant le début du tournoi, dans la salle de jeu « Padiglione Conza » les problèmes commencèrent accompagnés d’une série d’exigences, salle trop petite, mauvais éclairages, pas de photographes pendant que se jouaient les parties. Toutes trouvèrent plus ou moins une solution acceptable. Les organisateurs devinrent intransigeants lorsque Bobby affirma qu’il ne jouerait que dans une salle privée afin de ne pas être dérangé par les spectateurs. Devant le refus de se plier à cette dernière exigence Fischer fit ses bagages et partit pour Milan. « On the Road again » était le tube du moment…
« Il n’y avait rien de mal avec l’éclairage, mais la salle du « Padiglione Conza », dans laquelle se tenait le tournoi, bien que grande, ne l’était pas assez pour satisfaire son objectif. Chaque fois que les spectateurs devenaient trop nombreux, le système de ventilation n’était pas vraiment suffisant et le bruit qui résonnait dans la salle, bien que provenant des joueurs eux-mêmes lorsqu’ils finissaient leurs parties, était difficile à contenir. A ce sujet j’ai formulé un axiome et une observation qui pourront être utilisés pour les étudiants à propos du comportement en société. L’axiome est –plus le joueur est faible, plus grand est le bruit -. Et qu’en est-il de Najdorf ? Ma réponse est que Najdorf n’était pas ce qu’il était en tant que joueur ou créateur de bruit. La constatation qui m’a été répétée à maintes reprises est que le plus grand nombre de décibels est émis par un homme moustachu provenant d’Amérique du Sud. » L’arbitre Golombek
En ce qui concerne l’absence de Tal pour raison de santé, voici le témoignage de Korchnoï en 2005 :
« Octobre 1968, l’équipe soviétique s’apprête à partir pour l’Olympiade de Lugano. Le temps presse. Spassky, Petrossian, Geller, Polougaïevsky, Tal et moi sommes arrivés avec nos bagages au Comité des Sports pour un briefing de départ. Et de là directement à l’aéroport. La discussion est conduite par une de mes vieilles connaissances, le moulin à paroles Kazansky. Avec les usuelles fadaises, tenir haut la bannière du sport soviétique, ne pas succomber aux provocations de l’Ouest, ils ont incorrectement perçu l’entrée des tanks soviétiques en Tchécoslovaquie…
Finalement les souhaits pour notre succès certain et pour un bon voyage. Puis soudain sur un ton amical :
Mais toi, Mikhail Nekhemevich, tu peux retourner à Riga. Smyslov est déjà à Lugano et il te remplacera. » Korchnoï
Tal adepte du régime Gainsbourg - La fumée conserve les viandes, l’alcool les fruits – avait, selon les dirigeants, eu un comportement indigne lors de la dernière Olympiade jouée à Cuba en 1966.
Curieusement Tal est absent lors de la remise du trophée !
La rencontre opposant l’URSS aux USA perdit énormément de son intérêt même si Reshevsky était encore, à 57 ans, un candidat au titre qui venait de se faire éliminer par Korchnoï en quart de finale du championnat du monde. Les Américains, sans Bobby Fischer étaient à la peine, devancés par le Danemark lors du tournoi préliminaire alors que l’URSS dominait de la tête et des épaules devançant les surprenants Philippins de 8 points !
En théorie c’était deux stratèges, essentiellement positionnels, qui luttaient sans panache au premier échiquier et en pratique l’on semblait s’acheminer vers une nulle.
« La théorie et la pratique, c’est exactement la même chose. Mais dans la pratique, cela n’est pas vrai. » Yogi Berra
Le style ne Petrossian était trop subtil pour m’intéresser et c’est beaucoup plus tard que je me suis rendu compte du grand joueur il était !
Petrosian,Tigran V (2645) - Reshevsky,Samuel Herman, Système de Londres, Lugano ol (Men) fin-A (6), 30.10.1968
1.♘f3 ♘f6 2.d4 e6 3.♗f4 b6 4.e3 ♗b7 5.♗d3 ♗e7 6.♘bd2 ♘h5
Gagne la petite qualité (la paire de fous) mais ce coup était encore plus fort si les blancs avaient roqué.
7.♗g3 ♘xg3 8.hxg3
L’ouverture de la colonne h est une bonne compensation.
8...h6 9.♕e2 c5 10.c3
Le construction en triangle (c3,d4,e3) des pions est très solide et rend difficile l’ouverture du jeu au service de la paire de fous. De plus le roi blanc resté au centre empêche l’adversaire d’échafauder un plan précis.
10...♘c6 11.g4 ♕c7 12.a3!?
« C’est typique de Petrossian de ne pas jouer 12.g5 immédiatement, préférant conserver des petites menaces en attente. Maintenant Reshevsky doit tenir compte de deux possibilités de rupture au lieu d’une. C’est vraiment la marque déposée de Petrossian d’occuper l’adversaire avec différentes sortes de petites menaces positionnelles. » MI Engkvist
12...d5
Sur l’attendu 12...0–0–0 13.b4! d5 14.bxc5 bxc5 15.dxc5 ♗xc5 provoque l’ouverture du jeu sur l’aile dame et offre les meilleures perspectives d’attaque aux blancs 16.♖b1!? ♗xa3?! 17.♗a6 ♘a5 18.♗xb7+ ♘xb7 19.c4 etc.
13.g5 0–0–0 14.gxh6 ♖xh6 15.♖xh6 gxh6
Les noirs ont concédé une première faiblesse avec ce pion isolé.
16.♗a6 f5?!
A nouveau une petite concession positionnelle comme le relevait la revue « Tidskrift för Schack » car en voulant prendre le contrôle de e4 les noirs créent une deuxième faiblesse avec le pion e6 que le champion du monde va habilement exploiter.
17.g3 c4 18.♗xb7+ ♔xb7 19.♘g1!
Le cavalier se dirige vers f4 tout en dégageant le passage pour la dame et la case h5.
19...♗d6 20.♕h5 ♕g7 21.♘e2 ♘e7 22.♘f4 ♗xf4 23.exf4 ♘g8
Les noirs anticipent sur une éventuelle arrivée de la tour sur h1, leur position est encore solide.
24.♕f3
Menace 25.Cxc4 !
24...♔c7 25.0–0–0 ♘f6 26.♕e2 ♔d7 27.♖h1
Les pièces blanches s’activent.
27...♘g4
Si 27...♘e4 28.♘xe4 fxe4 29.♕h5 conduisait à une position passive. Les noirs visent à échanger le cavalier après las manœuvre 28.Cf3 suivi de 29.Ce5.
28.♘f3 ♖e8
« Quel plan doivent adopter les blancs ? Tout le monde ne choisira pas de jouer le roi à ce stade, mais Petrossian voit que cette pièce ne sera pas en danger sur g2 et qu’elle pourra être utile pour une éventuelle conquête de l’aile roi, où les noirs sont les plus vulnérables. » GM Keene
29.♔d2! ♖b8 30.♔e1 b5
« Si l’aile dame s’enflamme, c’est le roi noir qui sera exposé et même modifier la position à proximité du roi n’est pas une sage décision. Préférable était simplement 30…Te8. » GM Keene
31.♔f1 a5 32.♔g2
32...a4?!
En bloquant l’aile dame les noirs se privent de toutes possibilités de contre-jeu.
Si 32...b4? 33.axb4 axb4 34.♖a1 es blancs obtiennent une dangereuse initiative.; Un coup d’attente s’imposait, par exemple 32...♕f8 33.♘e5+ ♘xe5 34.♕xe5 ♖e8 et les blancs exercent une domination positionnelle sensible.
33.♘e5+ ♘xe5 34.♕xe5! ♕xe5 35.fxe5 ♖h8
La finale est avantageuse pour les blancs, ils disposent de pièces plus actives et le pion h6 est faible.
36.f3 ♔e7 37.g4 fxg4
Le meilleur car 37...♖g8? 38.♖xh6 fxg4 39.♖h7+ ♔e8 40.f4 g3 sinon 41.Rg3 41.♖b7 ♖g4 42.♖xb5 ♖xf4 43.♔xg3 et les blancs se retrouvent avec un roi mobile et deux faiblesses à exploiter a4 et e6.
38.fxg4 ♖g8 39.♔h3
39...♖f8?
La partie était loin d’être claire après 39...♔f7! pour amener le roi en défense sur l’aile vulnérable. Par exemple 40.♖f1+ ♔g7 et ici : 41.♖f6 (41.♔h4 ♔h7 42.♖f7+ ♖g7 43.♖f8 ♖g8 44.♖xg8 ♔xg8 45.♔h5 ♔h7 46.g5 hxg5 47.♔xg5 ♔g7=) 41...♖f8! 42.♖xe6 ♖f2 suivi de la capture du pion b2 et suffisamment de contre-jeu.
40.♔g3 ♖h8 41.♔h4 ♖g8?
Perd immédiatement le pion sans compensation. Si 41…Tf8 42.Rh5 et les blancs progressent trop rapidement sur l’aile roi pour que les noirs puissent tenir.
42.♖f1 1–0
Coupe le roi avec les menaces 43.Tf6 ou 43.Tf4 suivi de 44.Rh5.Une belle leçon de stratégie.
« Les Américains bien sûr ont été décevants. Passer de la deuxième à la quatrième place n’est pas très agréable. Il est vrai que les échecs sont de plus en plus populaires aux USA chaque année, et leur équipe a toujours fait ses preuves. Mais l’équipe américaine à Lugano a été obligée d’admettre que sans Fischer elle ne représente pas une force formidable. » Petrossian
« Je tiens à remercier Gérard Demuydt pour la mise en ligne de mes articles. » Georges Bertola, rédacteur en chef de la revue Europe-Echecs.