À la une des échecs depuis 1959

Carlsen a défait de manière non spectaculaire, mais très efficace, Vishy Anand lors du championnat du monde à Chennai. C'est la suite logique d'une montée en puissance continue de « l'extraterrestre » comme l'a surnommé Kramnik.
Ce jeune prodige, dont nous relations déjà les exploits il y a 10 ans dans Europe Echecs, est somme toute parvenu très rapidement à son objectif. Il aurait pu prétendre gagner ce titre plus tôt s'il n'avait pas renoncé à jouer le cycle précédent.
Carlsen domine implacablement ses pairs depuis quelques années. Lorsqu'il joue un tournoi on se demande qui va être second. Comme tous les grands, il imprime sa marque de fabrique.
Son style se rapproche plus de Capablanca et Karpov car il excelle dans les positions dites simples, qu'il est capable de jouer pendant des heures jusqu'à ce que son adversaire craque. Mais, à la différence des champions cubain et russe, il ne cherche pas particulièrement à obtenir une initiative dans les ouvertures. Il faut dire qu'aujourd'hui le jeu a tellement évolué avec les calculateurs hyperpuissants qu'on n'est jamais à l'abri d'une préparation fatale. Carlsen innove en réussissant le tour de force de ne presque jamais perdre dès l'ouverture, et ce malgré cet univers d'ordinateurs et de logiciels qui aident tous les grands champions.
Fischer et Kasparov aimaient maîtriser la partie dès le premier coup car ils n'excellaient que dans les configurations dans lesquels ils étaient à l'aise. Contrairement à eux, Carlsen est prêt à jouer aux échecs quelle que soit la position.
Le Norvégien a une très grande confiance naturelle en ses capacités, ce qui fait douter les plus forts et les plus aguerris face à lui. Comme pour Fischer, Karpov, ou Kasparov, ses adversaires arrivent sur l'échiquier en espérant ne pas perdre.
Magnus exauce les vœux de Fischer qui souhaitait révolutionner le jeu en créant le « Chess 960 », ou Fischer random chess. En effet, le champion américain voulait mettre fin au match que pouvait se livrer les joueurs avant les parties concernant les préparations, et il fut un des meilleurs dans cet exercice. Il pensait qu'avec les logiciels, le jeu d'échecs devait se transformer car il n'était plus possible de jouer une ouverture qui ne soit complètement analysée.
En fait, très intelligemment, Carlsen reprend ce paradigme à son compte en n'essayant pas de gagner dès l'ouverture. A cette fin, il faut bien sûr avoir une très grande connaissance du jeu pour ne pas tomber dans les variantes les plus jouées et analysées.
Dès que l'ouverture est terminée, Carlsen peut jouer sans avoir peur d'une préparation qui pourrait lui être fatale. Puis, il impose un rythme de métronome infernal qui va épuiser les plus résistants.
Lors de la conférence de presse de la 8e ronde, une question lui fut posée par Paul Truong sur la maturité de son style pour un garçon de 23 ans. Carlsen répondit de manière limpide que lorsqu'il était "jeune", il jouait en sacrifiant en permanence et qu'il constata qu'au plus haut niveau il fallait adopter un style différent. Et c'est la raison pour laquelle, depuis 6 ans, il avait changé son approche du jeu.
Capablanca, Fischer, Karpov, Kasparov, bien qu’ayant chacun, à leur époque, une manière de jouer et un style terriblement efficace, ils n'ont jamais réussi à les faire évoluer.
Carlsen a réussi ce tour de force unique dans l'histoire du jeu, s'adapter en changeant totalement de style.
La phrase qu'il a prononcée et qui résume le mieux sa suprématie est la suivante : « j'essaye de jouer le plus longtemps possible en évitant de faire des erreurs. »
C'est bien de le dire, mais difficile à réaliser pour les autres… Chapeau l'artiste !

A partir de ce mois de janvier qui marque les 55 ans de la création d'Europe Echecs, la FFE évoquera la vie fédérale en 4 pages tous les mois. Ce sujet fut discuté lors du comité directeur de la FFE en novembre dans le cadre d'un partenariat qui permettrait à la FFE et Europe Echecs de trouver des synergies communes pour le développement du jeu.

Europe Echecs est très heureux de contribuer au développement du jeu et constate que la FFE avance de belle manière grâce au dynamisme de la nouvelle équipe.

Bonne année 2014 et bonne lecture à toutes et à tous.

Bachar Kouatly