À la une des échecs depuis 1959

Nous avons appris la mort de Sylvain Zinser ce 10 février 2013. Cet homme a fait partie de l'épopée
d'Europe Echecs qu'il a grandement contribué à bâtir. Sans lui Europe Echecs n'existerait pas
aujourd'hui ; il a consacré sa vie à sa passion et… de quelle manière!
Il aura contribué au-travers de ses célèbres" Cahiers du débutant" et ses « Faites-vous la main »
à initier des dizaines de milliers de personnes au noble jeu. Peu de gens en France auront eu ce
privilège. C'était un travailleur infatigable qui accomplissait un marathon mensuel afin de boucler
ce magazine qui nous est cher. Sa curiosité insatiable permit à la revue de maintenir un niveau
d'excellence.
Il était dans sa 77e année mais toujours à la pointe du progrès. Il se fit installer internet et un
ordinateur qu'il utilisait avec une loupe car il était proche de la cécité. Ceci ne l'empêcha pas de
travailler quotidiennement à l'écriture depuis fin 2000, année où il partit à la retraite.
Ce fut un homme totalement désintéressé. Il ne possédait aucun bien et il vivait, malheureusement
comme beaucoup de retraités dans notre pays, avec moins de mille euros par mois.
Jamais il ne se soucia de son avenir et jamais il ne se plaignit malgré des conditions matérielles à la
limite de la grande pauvreté.
Comme de nombreux passionnés, il préférait une existence riche par la densité des sujets traités et
l'apprentissage permanent des langues. Son érudition était hors du commun.
Quelques-uns de nous eurent le privilège de passer un moment avec lui ces dernières années.
Les repas au "Vieux Couvent" à Mulhouse nous permettaient de dialoguer avec celui que nous
considérions comme un « Maître de la culture échiquéenne » riche d'anecdotes croustillantes.
Nous reviendrons longuement sur son parcours dans le numéro du mois d'avril.
Repose en paix Sylvain.

Un grand homme nous quitte et un jeune homme exceptionnel nous éblouit… ainsi va la vie.
Magnus Carlsen, par ses dernières performances, est en train de devenir un extraterrestre du monde
des échecs comme Kramnik l'a défini avec beaucoup de lucidité et d'humilité au Tournoi de Londres.
La caractéristique d'un génie est d'innover et de prendre à contre-pied tous les dogmes établis.
Carlsen refait vivre les échecs aujourd'hui à la manière de Bobby Fischer qui souhaitait éviter le
passage forcé par les ouvertures. L'invention par le génie américain du Fischer Random Chess ou 960
était destiné à mesurer la force intrinsèque d'un joueur sans récitation par cœur d'ouverture.
Sa tentative de transformer le jeu d'échecs par une renaissance fut trop brutale pour un monde qui
n'aime pas le changement.
Carlsen réussit le tour de force de jouer aux « échecs 960 » avec notre vieille règle. En effet, il est
extrêmement rare de le voir prendre l'avantage dans les ouvertures contrairement à Kasparov
qui menait presque toujours les débats dans cette phase de jeu. Au contraire, Carlsen essaye
d'obtenir une position jouable voire légèrement inférieure dans les 15 à 20 premiers coups, ce
qui va à l'encontre de tous les joueurs actuels qui aiment jouer avec l'initiative dès le début. Il
accepte de courber l'échine afin de commencer réellement le combat en milieu de partie et de le
terminer fréquemment dans des finales exténuantes pour tous ses adversaires. Il parvient par sa
compréhension phénoménale du jeu à délaisser ce que nous pensions tous être fondamental dans
une partie d'échecs. En cela, il n'a pas rejoint les enseignements de Kasparov qui prônait, lorsqu'il
l'entraînait, qu'il fallait prendre l'adversaire à la gorge dès le départ. D’ailleurs, il rompit rapidement
avec Garry. Il préfère annihiler l'avantage de l'ouverture en sortant de schémas trop joués.
Il démontre la grande richesse du jeu qui ne finit pas de nous étonner et il renvoie à leurs chères
études ceux qui prétendaient que le jeu n'avait plus d'attrait car trop analysé dans tous les sens sur
les 30 premiers coups grâce aux logiciels.
Seul un génie peut comprendre comment changer la donne du jeu de la sorte.
Par ce postulat que l'ouverture n'est finalement pas capitale, Carlsen adresse un message très clair
à ses collègues super grand-maîtres: il est temps de jouer tout simplement une partie d'échecs sans

Il est plus que probable que certains vont tenter de trouver l'antidote à la méthode Carlsen.
S'il gagne à Londres, il y a fort à parier que le champion du monde actuel aura du mal à arrêter la
tornade norvégienne.

Bonne lecture à toutes et à tous.
Bachar Kouatly