Paris 1924 Création de la FIDE (1)

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Le tournoi de Paris 1924

En bref

Le lundi 21 juillet 1924 vit la naissance, à la Mairie du IXe arrondissement de Paris, de la Fédération Internationale des Échecs. F.I.E bientôt dénommée F.I.D.E.

La VIIIe Olympiade de Paris fut une opportunité pour Pierre Vincent (1878-1956), membre du comité de la Fédération Française des Échecs, de mener à terme un projet ambitieux. Alors qu’était organisé en parallèle le premier tournoi international d’amateurs, le lundi 21 juillet 1924, selon «La Stratégie» du mois d'août 1924 p.200, vit la naissance, à la Mairie du IX Arrondissement de Paris, de la Fédération Internationale des Echecs. F.I.E bientôt dénommée F.I.D.E.

Le tournoi de Paris 1924
Les participants du tournoi de Paris 1924

« Il faut hautement louer et remercier la jeune Fédération française des Echecs et son secrétaire dévoué et infatigable qui fut l’initiateur et l’âme du tournoi, nous avons nommé Monsieur Pierre Vincent de n’avoir pas reculé devant des difficultés de toute nature et sans cesse renaissantes; confiants en l’excellence de l’idée et sans doute aussi en leur bonne étoile, ils sont allés de l’avant courageusement; le succès est venu, entier et complet. » La Revue Suisse d’Echecs

La Fédération Internationale Des Echecs existait dès ce jour, avec les principes fondamentaux suivants :

  • La Fédération Internationale Des Echecs est une association de Fédérations nationales d’Echecs.
  • Toute Fédération nationale pourra s’y joindre.
  • Toute Fédération sera traitée d’après le principe d’égalité parfaite.
  • Toute nation, qui n’a pas encore une Fédération nationale, est invitée à la former, si elle désire se joindre à la Fédération Internationale Des Echecs.
  • La Fédération Internationale Des Echecs aura pour but le développement de l’art des échecs, comme jeu universel, de propager l’idée d’entente entre les Fédérations, de favoriser toute démonstration internationale relative au jeu des échecs.
  • Elle aura son siège social en Suisse, jusqu’à l’assemblée générale, projetée pour 1925.

Ont signé le protocole de constitution :

  • A. Rueb (Hollande)
  • R. Grau (Argentine)
  • L. Weltjens (Belgique)
  • S.F. Smith (Canada)
  • Comte de Penalver (Espagne)
  • P. Vincent (France)
  • F.H. Rawlins (Grande Bretagne)
  • I. Abonyi (Hongrie)
  • T. Marusi (Italie)
  • I. Towbin (Pologne)
  • Lieutenant Gudju (Roumanie)
  • M. Nicolet (Suisse)
  • K. Skalicka (Tchécoslovaquie)
  • J.M. Ovadija (Yougoslavie)

C’est la liste publiée par le Bulletin de la FFE et la Revue Suisse d’Echecs. Un courrier du Président, daté de septembre 1924, laisse apparaître un 15ème signataire A. Tschepurnoff (Finlande).

Si Pierre Vincent était avant tout un organisateur « Je laisse à d’autres plus qualifiés, n’étant qu’une mazette, le soin de dire ou d’écrire ce que valent les parties jouées au point de vue technique. » (Bulletin de la FFE) Plusieurs signataires étaient par contre redoutables sur l’échiquier mais les conditions imposaient deux parties par jour à la cadence de 20 coups à l’heure et, parfois, il fallait terminer les parties ajournées le lendemain matin. Un véritable marathon des échecs.

L’équipe de France était composée de Gibaud, Lazard, Duchamp et Renaud. Un duel opposa les deux journalistes échiquéens francophones les plus importants, soit le champion de France en titre Georges Renaud (1893-1975) et le Belge Edmond Lancel (1888-1959) rédacteur de « L’Echiquier » qui sera publié à partir de 1925 et qui allait s’affirmer comme l’une des meilleures revues de l’époque :

Renaud,Georges - Lancel,Edmond

Paris ol (Men) Paris (3), 1924

Basé sur les commentaires de Renaud.

1.d4 d5 2.f3 f6 3.c4 c6 4.e3 e6 5.bd2 bd7 6.d3 dxc4

« Une prise fautive toutes les fois que le cavalier dame est à d2. »

7.xc4 b5

« Logique, mais incorrect puisque ce coup accélère la venue à e5 du cavalier. »

8.ce5 b7 9.b3!

Avec des idées de sacrifice sur f7.

9...h6?!

« Relativement meilleur était 9…Cxe5. »

10.d2 a6?

11.g6!

« Un sacrifice décisif dont les conséquences devaient être envisagées exactement jusqu’au 19ème coup. »

11...fxg6 12.xg6+ e7 13.b4+ c5 14.dxc5 d5!

« L’unique réplique conservant provisoirement la pièce et évitant une catastrophe immédiate. »

15.c6+ f6 16.xf8 xc6 17.d6!

« La pointe de toute la combinaison. »

17...xg6 18.c2+ f6 19.h4

« Les blancs qui avaient jusqu’ici conduit la partie avec précision commettent une inexactitude. 19.Dxc6 laissait les noirs avec un pion en moins, le roi découvert et une position absolument sans ressource. Le coup du texte menace mat. »

19...e5 20.xe5+ xe5 21.g6+ d6?

Critique 21…Rf6! car ici 22.Tac1! était un coup intermédiaire décisif.

22.xh8 a5+?

« Une erreur facilitant la tâche des blancs. Meilleur, bien qu’insuffisant pour égaliser, était 22…Dxh8. »

23.e2 xh8 24.hd1 c7 25.ac1 b6 26.g6 d8 27.xg7+ b8 28.e5+ b7 29.f1

« Et non pas 29.Dxe6 Cf4! »

29...f8??

« Une gaffe. Mais de toutes façons, les noirs étaient irrémédiablement perdus. »

30.g7+ 1–0

Le Hollandais Alexander Rueb (1882-1959) fut élu à la Présidence qu’il conservera pendant 25 ans. Avocat de profession, il pratiquait le jeu en amateur passionné. Il se fit aussi remarquer comme compositeur d’études et grand collectionneur de livres. Il pratiqua les échecs par correspondance et obtint le titre d’arbitre international en 1951.

Voici une victoire obtenue dans le tournoi subsidiaire, composé des éliminés à l’issue des épreuves préliminaires du tournoi des vainqueurs, qui se joua selon la formule d’un open.

Le 1er Président à l’œuvre sur l’échiquier. Une attaque optimiste sur l’aile roi amène des complications qui vont se retourner contre l’agresseur. La meilleure partie de Rueb à Paris.

Kleczynski,Jerzy (Pologne) - Rueb,Alexander (Hollande)

Paris ol (Men) Paris (2), 1924

Espagnole

1.e4 e5 2.f3 c6 3.b5 a6 4.a4 f6 5.0–0 xe4 6.xc6 dxc6 7.xe5

Offre plus de perspectives 7.De2 ou 7.Te1

7...e7 8.d4 0–0 9.e3 e6 10.c3 xc3 11.bxc3 f6 12.d3 e8 13.d2 c4 14.a3 d7 15.f4 ad8 16.f3 f5 17.h3 h5 18.f2 h4 19.g4 hxg3 20.xg3 f7 21.g4 h8 22.g2 dg8 23.a4 d6? 24.d2?

24.Ce5! pour ouvrir la colonne f permettait de tirer profit de l’erreur adverse.

24...d5 25.h2 h4 26.f1 xc2 27.e3 e4 28.g4 f5 29.e2 e8 30.f2 e4 31.e5+ e8 32.h2 e6 33.g6 h5 34.h4 e2 35.xe2 xe2 36.e1 xe1+ 37.xe1 f7 0–1

Le Lieutenant Ioan Gudju (1897-1965) venu de Roumanie se distingua lors de la cérémonie de clôture :

« Au nom des participants désireux d’exprimer leur reconnaissance envers le grand maître Alekhine, en qui je salue le génie des échecs et, envers M. Vincent âme du tournoi qui pour tous représente la France, terre de justice et de liberté » Gudju remit à Alekhine un magnifique encrier en marbre et un buvard où tous les concurrents avaient apposé leur signature et, à M. Vincent un superbe étui à cigarettes en argent. » Revue Suisse d’Echecs

Gudju,Ion (Roumanie) - Jonet,F (Belgique)

Paris ol (Men) Paris (4), 1924

Espagnole

1.e4 e5 2.f3 c6 3.b5 a6 4.a4 f6 5.0–0 xe4 6.d4 exd4 7.c3?! dxc3? 8.e1 d5 9.xc3 e7? 10.xd5 xd5 11.xd5 d6 12.xc6+ bxc6 13.xc7+ d7 14.xa8 d8 15.e5+ 1–0

Le tournoi olympique débuta le 12 juillet dans une ambiance solennelle et émouvante :

« On entendit le champion de France M. Georges Renaud, notre sympathique confrère de l’ « Eclaireur de Nice », un tout jeune homme au regard décidé, aux cheveux en bataille, lire sur le Livre d’Or et ponctuer avec une mâle énergie le serment :

Nous jurons que nous nous présentons au Tournoi international d’Echecs en concurrents loyaux, respectueux des règlements du Tournoi et désireux d’y participer dans un esprit chevaleresque, pour l’honneur de nos pays et la gloire du jeu des Echecs.

Cinquante-quatre bras levés, cinquante-quatre voix sonores confirmèrent les paroles du jeune français ».

Rapporté par Marc Nicolet (1876-1942) nommé 1er trésorier de la Fédération Internationale Des Echecs.

M. Nicolet, Miss Holloway et A.Rueb au premier rang. Derrière Wetjens, Mildmay, Miliani, Gudju et Römmig.

Dans le cadre du tournoi se jouait aussi un classement par équipes, chaque joueur dut jouer 5 parties dans les épreuves préliminaires et 8 parties dans le tournoi des vainqueurs où le tournoi subsidiaire. Malheureusement toutes les nations ne purent réunir 4 joueurs et c’est la Tchécoslovaquie qui remporta la médaille d’or (Hromadka, Skalicka, Schulz, Vanek) devançant la Hongrie et la Suisse.

La Hongrie distancée d’un petit point contesta ce classement car deux membres de son équipe furent qualifiés dans le « tournoi des vainqueurs », une tâche des plus difficile alors que le Hromadka (1887-1956), grâce à sa victoire dans le « tournoi subsidiaire », permit à l’équipe tchèque de s’imposer.

« Ce fait a été discuté par la commission des arbitres (présidée par Alekhine) mais n’a pas trouvé de solution satisfaisante pour les intéressés. Mais nous comptons que la Lettonie se trouve dans le même cas (distancée de 3,5 points) avec 3 joueurs seulement. » La Revue Suisse

Les Hongrois prendront leur revanche en remportant le « 1er tournoi des Nations » qui réunissait 16 équipes à Londres en 1927. Plus tard ce tournoi sera dénommé « Olympiades d’Echecs ».

Karel Skalicka
Hans Johner

Le Dr. Karel Skalicka (1896-1979), venu de Tchécoslovaquie, réussit une belle victoire face au maître suisse Hans Johner (1889-1975) et produisit une partie intéressante sur le plan théorique :

Skalicka,Carlos - Johner,Hans

Paris ol (Men) Paris (3), 1924

Partie des 4 cavaliers

1.e4 e5 2.f3 c6 3.c3 f6 4.b5 b4 5.0–0 0–0 6.d3 d6 7.g5 xc3 8.bxc3 e7 9.e1 d8! Une manœuvre qui a résisté à l’épreuve du temps.

10.d4 c6!? 11.f1 e6 12.c1 c7 13.g3 De nos jours la théorie recommande 13.Ch4! Te8 14.Cf5 +=.

13...c5?! « Une perte de temps, qui dans une ligne de jeu aussi sensible, n’est pas sans conséquence. » Skalicka

14.g2 d8 14…cxd4!? avec l’idée de libérer la case c5 pour le cavalier est à considérer.

15.d5 f8 16.h4 e7 « Une meilleure défense était offerte par 16…h6, par exemple 17.f4 exf4 18.gxf4 De7 avec la menace 19…Cxe4! » Skalicka

17.f4 exf4?! 17…Cg6!? était meilleur.

18.xf4 e8 19.c4 « Plus fort était immédiatement 19…e5! » Skalicka

19...c7 20.d3 8d7 21.h3 « Autrement avec 21…Cg4 les noirs s’empareraient définitivement de la case e5. » Skalicka

21...e5 22.xe5 xe5 23.f3 e8 24.e5! dxe5 25.d6 a5 26.xe5 e6 27.g5 ad8? 28.f1 « Menace 29.Txf6! » Skalicka

28...h6 29.xe6 xe6 30.xe6 fxe6 

31.xf6! « En raison du danger d’un échec perpétuel, les blancs avaient calculé la combinaison jusqu’à son terme. » Skalicka

31...gxf6 32.g6+ f8 33.xf6+ g8 34.xe6+ g7 35.e7+ h8 36.f6+ g8 37.d5+ h7 38.e4+ g8 39.g6+ f8 40.xh6+ e8 41.e6+ f8 42.e7+ g8 43.g6 1–0

En 1939 aux Olympiades de Buenos Aires, alors qu’éclatait la seconde guerre mondiale et que l’équipe tchécoslovaque jouait sous l’appellation « Protectorat de Bohème Moravie » suite à l’invasion nazie, Karel Skalicka décida de s’établir en Argentine.

L’équipe d’Argentine (Coria, Grau, Palau, Reca), seule représentante des Amériques si l’on excepte le Canadien S.F. Smith, fut la grande curiosité de ce tournoi. Composée de joueurs totalement inconnus qui consacrèrent plusieurs semaines de voyage par bateau pour se rendre à Paris, alors que les prix se limitaient à des remises de médailles, elle ne passa pas inaperçue.

Les Argentins bénéficièrent toutefois d’un large soutien populaire contrairement à de nombreuses équipes:

« La fédération argentine d’Echecs reçut de ses sections, du gouvernement, de certaines municipalités, de sociétés diverses ou des particuliers une somme qui représente 90.000 francs français et 80.000 furent dépensés pendant la durée du tournoi en télégrammes aux quotidiens du pays. » Revue Suisse d’Echecs

« Les Argentins, qui sont venus de si loin, ont livré un merveilleux combat, nous devons faire remarquer leur caractère ouvert et aimable auquel personne n’a pu résister. 

Les tournois éliminatoires se sont terminés lundi soir 14 juillet, non sans avoir offert, dans quelques groupes, des péripéties angoissantes. C’est ainsi que le champion hollandais, Max Euwe, fut battu dans son groupe par le sympathique joueur argentin M. Roberto Grau et semblait voué à l’élimination … » A. Goetz dans « La Stratégie ».

Roberto Grau
Max Euwe

Grau,Roberto (Argentine) - Euwe,Max (Hollande)

Paris ol (Men) Paris (3), 1924

Gambit Dame

1.d4 d5 2.f3 f6 3.c4 c6 4.e3 e6 5.c3 bd7 6.d3 dxc4 7.xc4 b5 8.d3 a6 9.0–0

« Trois mois avant cette partie, Grünfeld avait révolutionné la théorie de la Slave avec la fameuse variante de Merano qui survenait après 9.e4 c5 10.e5 cxd4 11.Cxb5 Cxe5 avec une partie très compliquée. Je connaissais cette analyse et j’ai opté pour une ancienne variante qui ne conduisait qu’à l’égalité, dans un terrain toutefois moins glissant. » Grau

9...c5 10.e2 b7 11.b3 e7 12.b2 0–0 13.ac1 a5 14.b1 fd8 15.dxc5 xc5 16.fd1 b4 17.xd8+ xd8 18.d1 ce4 « Les noirs sont mieux mais l’avantage n’est pas facile à réaliser. » Euwe

19.d4 c7 20.xf6 « Un échange impératif, même si douloureux, les noirs menaçaient de pointer toute leur force sur le roque après 20…Cg5 21.Cxg5 Dxg5 avec forte attaque. » Grau

20...xf6 21.e4 f4 22.c4 h5 « Menace à la fois 23…Fxh2 et 23…Td2 » Euwe

23.d3 a5 24.b2 a6?! « Les noirs s’égarent. » Euwe

25.c2 xd3 26.xd3! 

« Un coup qui n’avait pas été pris en considération. Les noirs comptaient sur 26.Cxd3 Fxh2 27.Cxh2 Dxe2 28.Txe2 Txd3 qui gagnait un pion. » Euwe

26...f8 27.c4 h6 28.g3 c7 29.g2 g6?! « Une deuxième erreur, 29…Td8 était approprié. » Euwe

30.cd2 f4 31.c5 « Les blancs ont réussi à neutraliser l’attaque adverse pour s’emparer de l’initiative et menacent les pions de l’aile dame. » Grau

31...xd2 32.xd2 d5 « 32…Txa8 conduisait à la perte inévitable d’un pion après 33.Txa5! » Euwe

33.f3 c3 34.xa5 d8 35.e3 f6 36.c4 d1 37.f3 e7 38.e5! « Cela offre un point fort sur d6, et marque le début de la contre-attaque blanche alors qu’Euwe a épuisé son initiative. » Grau

38...d4 39.d6 d2 40.a8+ h7 41.e8 a7 42.e4 d4? 43.g5+! g6 44.xe6! « Le chemin le plus court. » Euwe

44...e3+ 45.fxe3 d2+ 46.h3 d7 47.g4+ 1–0

Surpris par cette victoire, alors qu’Euwe était largement favori, Grau (1900-1944) fut particulièrement ému lorsqu’il fut félicité par Alekhine dont la table de directeur des arbitres se trouvait à proximité de son échiquier.

En 1925 Roberto Grau fut sacré champion d’Argentine, titre qu’il remporta plusieurs fois par la suite.

A l’issue du tournoi la FFE prit la décision de publier un livre sur le tournoi et Alekhine fut désigné pour commenter les parties mais il fallut attendre un demi-siècle avant de voir les Argentins publier enfin « Paris 1924 » qui contenait 258 parties du tournoi.

(A suivre)

Je tiens à remercier le Musée du Jeux de La Tour-de-Peilz pour m’avoir permis de consulter l’importante bibliothèque de feu Ken Whyld. www.museedujeu.com , le site de Dominique Thimognier http://heritageechecsfra.free.fr/ et Guy Gignac du Canada.

Georges Bertola

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