Fischer vs Larsen, Denver 1971

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En bref

Dans « Les grandes parties du passé », Georges Bertola aborde l’autre fameux 6 à 0 infligé par Robert James Fischer, cette fois à Bent Larsen, avec une extraordinaire analyse de la première partie du match. – « Une des meilleures parties de ma vie. » Bobby Fischer

En 1976 lorsque Bent Larsen (1935-2010) refit surface dans sa quête pour le titre mondial en remportant en solitaire le tournoi interzonal de Bienne, je m’étais rendu à la cérémonie de clôture, invité par l’organisateur Hans Suri. Larsen avait retrouvé le sourire et la vision optimiste dont il était coutumier laissant clairement entendre qu’il était incontestablement le meilleur. Larsen était fêté pour avoir devancé Petrosian, Portisch et Tal d’un demi-point, Smyslov, R. Byrne et Hübner d’un point. Des joueurs tous devenus légendaires dont trois ex-champion du monde !

Fischer vs Larsen, 1971

« J'ai joué très calmement. Tout a commencé bien avant le tournoi, j'ai décidé de ne pas étudier les ouvertures. On pourrait dire que Mecking a gagné à Manille parce qu'il était si bien préparé; que Ljubojevic a échoué parce qu’il était trop bien préparé, j'ai gagné à Bienne parce que je n'étais pas prêt. Beaucoup de choses peuvent être dites. Le fait est que je suis toujours bien préparé ! Peut-être pas pour jouer la Sicilienne Najdorf ou le Dragon, mais certainement prêt pour jouer certaines ouvertures que les autres n’ont pas beaucoup étudié. » Bent Larsen

Au cours de cette soirée, alors que nous avions tous en mémoire sa cinglante défaite 6-0 face à Fischer, on me rapporta que son humeur s’assombrit lorsque quelqu’un lui rappela ce mauvais souvenir. Puis d’une voix à peine audible, il murmura :

« Une expérience traumatisante, c’est comme avoir survécu à un crash aérien ! »

Pourtant, c’est totalement confiant et sûr de lui qu’il s’était rendu à Denver Colorado, en territoire « ennemi » en 1971, pour affronter Bobby Fischer en demi- finale des candidats. Une ville de plus de 500.000 habitants à l’est des montagnes Rocheuses à plus de 1600 mètres d’altitude.

Dopé par sa dernière victoire au tournoi de Palma de Majorque qui lui avait permis de recoller au score (-3 +2 =1) contre Bobby, il se voyait déjà comme le prochain champion du monde.

Larsen à Bienne en 1976

Bent connaissait particulièrement bien son adversaire et principal rival occidental pour disputer le titre aux Soviétiques. Lors du tournoi des candidat de 1959, alors que Fischer avait obtenu sa première qualification, âgé de 16 ans, Larsen fut son secondant. Il était conscient du pouvoir que les grands maîtres exerçaient sur le joueur lambda, perçu comme des êtres possédants des qualités extraterrestres… Leur jugement, leur propos, étaient alors paroles d’évangile.

« Comment le maître d’échecs pense-t-il ? Eh bien un maître d’échecs est peut-être le plus proche de le savoir, mais ce n’est pas facile à expliquer. Si cela pouvait être exprimé dans un langage mathématique, les informaticiens seraient heureux et en peu de temps ils inventeraient une machine avec un pouvoir de Grand-Maître. » Bent Larsen en 1971

Edmondson et Fischer

Fischer accompagné d’Edmondson était venu sans secondant, comme Larsen accompagné uniquement de son épouse.

Le match débuta le 6 juillet à 16 heures dans une atmosphère oppressante due à une vague de chaleur torride. C’était aussi le jour où le célèbre jazzman Louis Amstrong avait tiré sa révérence après son passage remarqué sur cette terre.

Bent Larsen, Bobby Fischer et Madame Larsen

En consultant les rapports météorologiques de l’époque, ils confirmèrent des températures records (+38) pendant le match. Ce fut l’été le plus chaud depuis 1936. Larsen a prétendu que c’était l’un des facteurs décisifs responsables de sa défaite…

A l’issue du match du siècle à Belgrade, Fischer interrogé par la revue soviétique « 64 » avait répondu, en faisant profil bas, que Korchnoi et Larsen étaient favoris pour affronter le champion du monde Boris Spassky en 1972. Pourtant, lorsqu’on lui posa la question :

- Quel était le match le plus intéressant pour le monde des échecs, il répondit :

« Probablement Larsen vs Fischer . »

Et qui pensez-vous gagnera :

« Je pense que ce sera moi. »

Larsen & Fischer, Denver 1971
Fischer & Larsen

Au contraire, Bent Larsen avait proclamé :

« Cela sera difficile mais je me sens capable de battre n’importe qui. »

Boris Spassky et Bent Larsen, à Leiden en 1970

La première partie fut classée parmi les meilleures de « L’Informateur » et le choix de Larsen pour combattre l’ouverture du pion Roi de Fischer avec la défense « Française » était une recommandation de Botvinnik. Robert Byrne remarqua :

« Sur un plan général je pense que c’est un excellent choix d’utiliser cette défense contre Fischer puisqu'il ne gère pas tout à fait les positions semi-fermées avec le même brio qu'il apporte aux jeux ouverts. Par contre, Larsen n'avait pas employé la « Française » depuis des années et ne pouvait guère acquérir une connaissance parfaite, même compte tenu des mois intensifs d'analyse qu'il a dû passer à préparer le match. »

Bobby Fischer vs Bent Larsen, avec l'arbitre en 1971

L’attitude des deux joueurs est parfaitement décrite par Jack Spence dans la revue « Chess » :

« Lorsque les choses vont bien, Fischer a tendance à s'étaler sur sa chaise avec les jambes croisées aux chevilles sur toute la longueur, en dehors des pieds de la table, avec les mains posées sur ses genoux, mais un instant plus tard, il sera assis droit devant la table avec les coudes reposant près de l’échiquier, une main sur son menton ou à son oreille, caressant ses cheveux en arrière. Il ne bouge pas trop et quitte rarement la table pendant que Larsen réfléchit. De son côté, Larsen quitte la table à chaque occasion. Il se penche généralement en avant sur son siège, les coudes sur ses genoux et le visage proche de ses pièces. Il reste parfois immobile pendant quelques minutes, le menton dans sa main lorsque les choses commencent à se gâter, en passant nerveusement ses doigts dans ses cheveux. »

« La première partie fut la plus excitante à regarder. Je me souviens que tout le monde dans la salle analysait avec des échiquiers de poche. A une ou deux occasions, je me rappelle que Fischer s’est tourné vers le public avec un regard sévère à cause du bruit qui apparemment le dérangeait. » Curtis Carlson

Fischer,Robert James - Larsen,Bent - Candidats Demi-Finale Fischer-Larsen +6–0=0 Denver 6 juillet 1971 (1re partie du match) - Défense Française [C19]

1.e4 e6

Murmure dans la salle ! Larsen avait concocté une petite surprise dans ses préparations du match car la dernière fois qu’il avait joué cette ouverture c’était contre Korchnoi en 1964.

2.d4 d5

« C’est généralement considéré comme un bon choix selon les dires de Botvinnik qui écrit : - Fischer n’aime pas les chaînes de pions. Il a besoin de place pour ses pièces-. » GM Soltis

3.c3

Dans son match récent contre Uhlmann, Larsen avait préféré le coup de Tarrasch 3.Cd2 qui s’oppose au clouage du Cavalier.

3...b4 4.e5

Fischer, de son côté, pensait que la variante Winawer est anti-positionnelle car elle affaiblit l’aile-Roi. Il avait réussi une superbe démonstration contre Schweber au tournoi de Buenos Aires l’année précédente.

4...e7

Peu après dans un tournoi Blitz au « Manhattan Chess Club » une partie 1–0 (31) Fischer,R-Mednis,E New York 1971 se poursuivit avec 4...c5 5.a3 xc3+ 6.bxc3 c7 7.f3 b6 (7...d7 8.a4 e7 9.d3 0–1 (73) Fischer,R-Mednis,E New York 1962) 8.a4 a6 9.xa6 xa6 10.d3 b8 11.0–0 e7 12.a5 bxa5 13.a3 d7 14.dxc5 avec des pions triplés qui apparaîtront dans le match Spassky-Korchnoi en 1977.

5.a3 xc3+ 6.bxc3 c5

Après 6...c5

« Le destin de l’entière défense Française dépend en partie de l’évaluation de cette position. Les causes du début de la lutte à venir sont visibles à l’œil nu. Les Noirs ont réussi à affaiblir la structure de pions de l’adversaire sur l’aile Dame, bien que cette affirmation soit peut-être controversée car au prix considérable de l’échange du Fou de case noire qui laisse ainsi son aile Roi exposée à une attaque. » GM Psakhis

7.a4

L’idée de ce coup est saine, permettre au Fou de de case noire de s’installer sur la diagonale a3–f8. « Les Blancs peuvent aussi jouer 7.f3 ou 7.g4. Dans le premier cas cela conduit à une transposition si les Blancs jouent a4 dans les prochains coups.

Toutefois, il est possible de suivre une voie différente après 7.f3 d7 8.dxc5 etc. comme l’ont montré les parties Spassky-Korchnoï six ans plus tard. 7.g4 conduit à de grandes complications avec des variantes théoriques de 12 coups ou plus . Fischer n’a jamais été partisan de cela (Plus exactement, il affirmait que les Noirs obtenaient de bonnes possibilités en sacrifiant le pion g7) et a toujours préféré de jouer plus positionnel contre la Winawer. » GM Speelman en 1982

7...bc6

Une partie Fischer- Darga (Berlin 1960) est instructive après 7...c7 8.f3 b6 9.b5+ d7 10.d3 bc6 11.0–0 c4 12.e2 f6 13.a3!? fxe5 14.dxe5 xe5 15.e1 7c6 (15...5c6!? GM K. Müller) 16.xe5 xe5 17.f4 avec un excellent jeu pour le pion sacrifié selon Kasparov. 17...c6 18.g4 0–0–0 19.xe6 xe6 20.xe6 d7 21.f5 d8 22.e3 f4 23.f3 e4 24.a5 c6 25.axb6 axb6 26.b1 c7 27.c1 e1+ 28.f1 xc3 29.f4+ b7 30.b5 1–0 (30) Fischer,R-Darga,K Berlin West 1960

Instructif est aussi cette partie de Fischer jouée en 1964 en simultanée après 7...a5 8.d2 bc6 9.f3 c4 10.g5 Une manœuvre classique pour forcer l’affaiblissement de l’aile-Roi. 10...h6 11.h3 d7 12.f4 0–0–0 13.e2 f6 14.exf6 gxf6 15.0–0 e5 16.h5 df8 et avec leur prépondérance au centre et la colonne « g » ouverte, les Noirs ont un bon contre-jeu. Fischer-Kord (Détroit 1964)

8.f3 d7

8...a5!? (jouable au coup précédent) avec une contre-attaque immédiate sur le pion c3 est le coup qui a émoussé les ardeurs du 7e coup blanc grâce aux efforts répétés des héros de la défense Française Uhlmann et Korchnoi.

9.d3 c7

Faible était 9...0–0? 10.xh7+ xh7 11.g5+ g6 12.h4! avec une attaque décisive.; Moins gênant est maintenant 9...a5 10.0–0!? c4 11.e2 xc3 12.d2 b2 13.b1 a3 14.xb7 avec initiative. GM Speelman

10.0–0 c4 [10...f6!? Bent Larsen] 11.e2 f6

Jusqu’ici tout avait été joué dans une partie Fischer-Mednis (Champ. USA 1960/61)

Après 11...f6

12.e1!?

S’écartant de sa partie contre Mednis où Fischer avait joué 12.a3 0–0 13.e1 f7 14.exf6 gxf6 15.f1 e8 16.h4 g6 17.h5 g7 et les Noirs finirent par l’emporter. 0–1 (73) Fischer,R-Mednis,E New York 1962; 12.exf6?! gxf6 est défavorable aux Blancs qui abandonnent le centre et les Noirs peuvent tirer profit de la colonne « g » en roquant du grand côté.

12...g6?!

Plus sûr était 12...0–0 mais comme le remarqua Frank Brady : « Au fur et à mesure que la partie évoluait, Larsen ne put ou ne sut roquer (selon qu’on se place du côté blanc ou du côté noir) du côté Dame et il finit par développer une attaque au centre. »; 12...0–0–0 GM R. Byrne; Intéressant était aussi selon Kasparov 12...fxe5!? 13.dxe5 0–0 14.a3 f7 avec du contre-jeu via la colonne « f » sans compter les pions faibles des Blancs.

13.a3!

« Evidemment, les Blancs ne veulent pas abandonner le centre avec 13.exf6. Au lieu de cela, Fischer propose un sacrifice de pion très puissant. Larsen doit évidemment accepter, sinon il aurait une mauvaise position sans compensation matérielle. » GM Speelman

13...fxe5?!

Les autres possibilités 13...0–0–0 14.a5 et 13...f7 14.d6 a5 15.d2 était plus prudentes mais laissaient les Blancs avec un léger avantage selon Kasparov.

14.dxe5 cxe5 15.xe5 xe5!

Très dangereux était 15...xe5?! 16.xc4 xc3 17.xd5 0–0–0 18.b3 et le Roi noir n’est pas en sécurité. (18.e3!? GM Kholmov)

16.d4!

Cette centralisation de la Dame permet à Fischer d’agir sur les 2 ailes. « Ici Fischer s’est levé, a enlevé sa veste pour apparaître dans une chemise blanche étincelante avant de se promener sur la scène tout en fixant l’échiquier. » GM Kashdan

16...g6

Il n’y a pas le choix car ici :

16...c6? perd après 17.h5+ d8 18.xg7+–
16...0–0–0 17.xa7 c6 18.e3 et les Blancs sont mieux après avoir affaibli la position du Roi noir selon le GM Timman.
16...h5 17.h4! qui empêche les Noirs de roquer avantage les Blancs toujours selon Timman.

17.h5 [Plus fort que 17.xg7 0–0–0] 17...f7

Plus que compromettant mais 17...0–0–0 18.xa7 b6 19.a8+ b8 20.xb8+ xb8 21.a5! (Larsen) et le Roi noir restait exposé. Si 17...a6 18.xd5!.

Après 17...♔f7

18.f4!

« Maintenant les Noirs ne peuvent s’opposer à la percée au centre, ils doivent donc subir l’attaque avec le Roi au milieu de l’échiquier. » GM R. Byrne Plus exactement les Blancs cherchent à « nettoyer » le centre et le Roi noir devra lutter à main nue.

Un tempo suffit aux Noirs pour améliorer considérablement la défense par exemple 18.e5 he8 19.f4 g8 20.xg6 hxg6 21.g5?! xa4 22.xg6 xc2 23.d6 d7 24.g5 a5! 25.e5 e7 26.f2! (Kasparov) mais la partie reste très tendue après 26...e4 27.h4 a4 28.h5 f7 29.xg7!? g8 avec des chances jugées égales où tout est possible.

18...he8

« Le seul coup, les Noirs sont forcés de mettre leur Roi sur f6 où il sera exposé au vent mauvais. » Timman

Pourtant, dans son ouvrage dédié à Fischer en 2015, le MI Lakdawala propose 18...ae8 19.f5 exf5 20.xd5+ f6 21.d6 d8 22.f1 g5 23.d1 h5! qui justifie la présence de la Tour sur h8 mais l’avantage est clairement du côté blanc.

19.f5!

Lorsque Fischer s’empara du pion, il l’inclina légèrement en avant dans la direction de Larsen pendant qu’il le faisait avancer remarqua Jack Spence dans la revue « Chess ». C’est le véritable début des hostilités !

19...exf5 20.xd5+ f6

Après 20...♔f6

« La position insolite du Roi noir est alarmante mais la tâche des Blancs n’est en aucun cas simple. Leurs Tours et la Dame sont menacés d’échanges et pour le moment leur Fou à longue portée est à la bande de l’échiquier. Fischer a dû tenir compte de nombreuses longues variantes peu claires et, finalement n’ayant pas trouvé un moyen direct et forcé pour gagner, décide de jouer le coup le plus naturel et solide, confirmant une fois de plus que de telles positions irrationnelles n’étaient pas son fort. » Kasparov

20...e6 21.xe6 xe6 22.xf5+ f6 23.d5+ e6 24.f1++–

21.f3?!

Plusieurs GM (O’Kelly, Timman, Speelman, Byrne) tenaient ce coup pour excellent alors que le MI Braslav Rabar le considérait comme douteux dans « L’ Informateur » déjà à l’époque.

Kasparov pointe que correct était 21.d6! (Rabar) et la Dame n’a pas de bonnes cases par exemple : 21...d8

a) 21...c8 (Rabar) 22.f3! c6 23.d4+ f7 24.xc4+ e6 25.d5 xd5 26.xd5 f6 27.g4+– Lakdawala;

b) 21...c6 22.d4+ g5 (22...f7 23.f3 c8 24.d5++–) 23.f3 b6 24.c5 c7 25.h4+ xh4 (25...h6 26.d2++–) 26.xg7+ g6 27.d4+–;

22.f3 c6 23.d4+ f7 24.xc4+ f6 25.d4+ f7 26.d5+ xd5 27.xd5+ f6 28.f1+– Kasparov

« Ainsi malgré sa remarquable capacité de calcul, Fischer a interverti l’ordre dans lequel il devait activer ses Fous. Le Fou de case blanche était déjà en jeu, tandis que celui de case noire aurait dû être amené avec gain d’un tempo au centre, proche de la grande diagonale. Il apparaît que dans ce cas les menaces blanches auraient été irrésistibles. Maintenant les Noirs obtiennent un peu de répit que Larsen exploite immédiatement. » Kasparov

21...e5!

« Byrne attribue un « ? » sans aucune raison du tout ; comme il le souligne, il n’y a aucune alternative décente. Le coup de la partie révèle une évaluation précise des complications à venir et démontre à quel point le jeu de Larsen était vivant et frais au début du match. » GM Timman

22.d4 g6 23.xe5!

« Une belle décision! Fischer a dû calculer au moins jusqu’au 28e coup pour être capable de la prendre. » GM Speelman

23...xe5 24.xd7 ad8!

« Une défense splendide ! Les Noirs complètent leur développement et évitent le piège 24...xc3 25.d6+ f6 26.g3+ g5 27.xg5+ xg5 28.d1+– Kasparov

25.xb7 e3+

Le moment clé de la partie selon Larsen qui utilisa 12 minutes sur les 30 dont il disposait encore.

Depuis la discussion s’est engagée sur l’alternative 25...xc3!? qui semble jouable et ici : 26.b1 (26.c6+ g5 la position que Larsen avait analysé mais la situation de son Roi lui inspirait quelques craintes 27.c1+ f4 et ici 28.xf4+ (28.h4+ f5! 29.g4+ fxg3 30.g2 d4 31.xg3 xa1 mais la paire de Fous des Blancs est trop dangereuse et les Noirs doivent se contenter de l’échec perpétuel 32.g4+ e5 33.c5+ f6 34.f5+ e7 35.g5+ d6 36.f4+ e7 Une exception qui donne du crédit à Steinitz : Le Roi est une pièce forte capable de se défendre lui-même.) 28...xf4 29.g3+ e5 30.b1 Kasparov 30...e3+ 31.h1 d4 jugé égal avec le Roi noir au milieu de l’échiquier par le GM K. Müller.) 26...e5 (Murey) 27.b4 d4+ 28.h1 c3 (Larsen) 29.a3 de8!= et le pion a4 doit tomber (A. Gude).

26.f1

Après 26.♔f1

26...d2

Apparemment très menaçant mais Fischer l’avait sans doute prévu. Selon Kasparov c’est l’erreur fatale, il fallait jouer 26…h6 pour libérer la case refuge h7 pour le Roi.

Voici la variante principale 26...h6 27.c6+ h7 28.c5 (28.b4!? d2 29.c5! est à considérer. (Bertola)) 28...xc3 29.c1 e3 et ici : 30.b4 (30.xf5+ h8 31.d6 xd6! 32.f8+ h7 33.xd6 xf3+ 34.gxf3 xf3+ 35.e1 e3+ 36.d1 f3+ 37.d2 c3+ 38.e1 e3+ toujours avec le perpétuel.) 30...xf3+ 31.gxf3 xf3+ 32.f2 h1+ 33.g1 f3+ avec un échec perpétuel.

27.c6+ e6 28.c5!!

« Incroyable mais vrai. L’attaque noire est réfutée juste à temps. La suite des coups est forcée. » GM Timman

28...f2+ 29.g1 xg2+ 30.xg2 d2+ 31.h1 xc6 32.xc6

Après 32.♗xc6

« Le résultat de cette escarmouche tactique est une fin de partie avec un bilan matériel inhabituel. Bien que mathématiquement cela soit à peu près égal, les Blancs ont obtenu un avantage positionnel : leurs puissants Fous et la Tour non seulement sécurisent la défense de leur Roi mais sont prêts aussi pour créer des menaces sur celui de l’adversaire et chasser les pions ennemis. Le pion « a » est particulièrement important. » Kasparov

32...xc3

Joué après une longue réflexion. Après ce coup, il ne lui restait plus que 10 minutes pour atteindre le 40e coup !

Dans la revue danoise Larsen avait flanqué ce coup de « ?? » il indiqua 32...a5! 33.g1+ (33.d4!? h6 34.f1! (Timman)) 33...f7 34.d4 g5 (34...g6! est correct selon Kasparov) 35.d5+ g6 36.xc4 xc2 comme offrant de bonnes chances de nulle. « Ainsi, après 32…a5, il y aurait encore eu une longue lutte en perspective. Les Blancs seraient restés du côté le plus fort et il ne fait aucun doute que Fischer aurait essayé d’obtenir le maximum de cette position ! Mais en lâchant son pion « a » Larsen abandonne effectivement la partie. » Kasparov

33.g1+ f6 34.xa7

« Les Fous blancs s'épanouissent encore plus avec un pion passé à la bande. Les Noirs sont impuissants face à son avance. » GM Timman

Après 34.♗xa7

34...g5?

Ici curieusement « L’Informateur » et le GM Soltis indiquent 34…f4 comme coup joué, alors que la majorité : Byrne, Gufeld, O’Kelly, Kasparov, Müller, Speelman, Timman, etc. valident 34…g5.

La situation reste extrêmement tendue. Après l’attendu 34...xc2 35.a5 d3 (35...a2? (Lakdawala) est réfuté par 36.d4+ e6 37.a1 d2 38.g1 b2 39.a6! xa1 40.a7 et le pion passé coûte la Dame.) 36.a6 c3 37.b7 c2 38.c1! d1+ 39.xd1 cxd1+ 40.g1 b3 41.a8!! permet de sauver le Fou de case blanche. (41.g2 f4 42.a7 f3) 41...f4 42.a7 f3 43.e4+– Kasparov

Un coup semble offrir plus de résistance 34...e5! 35.b6 d6 (Sullivan) 36.g2 xc2 37.a5 a4 et les Noirs ont des chances de tenir la position.

35.b6 xc2 36.a5 b2 37.d8+ e6 38.a6 a3

Ici Burgess a proposé 38...d4 mais le pion est trop avancé, 39.e1+ d6 40.g2 Kasparov 40...a7 41.d1+ e6 (41...c5 42.f6 -- 43.d4+) 42.a1 avec la menace 43.Fb6 etc.; Si 38...f2 (Lakdawala) 39.b1! avec l’idée 40.Fb6 39...a2 40.e1+ d6 41.b7+–

39.b7 c5 40.b1 c3 41.b6 1–0

Après 41.♗b6 1–0

Ici Larsen a arrêté la pendule et couché son Roi. Bobby n’était pas devant l’échiquier et lorsqu’il est revenu ils se sont serrés la main sous une salve d’applaudissements, une véritable « standing ovation ».

Après 41.b6 si 41...c2 42.e1+ e5 43.xe5+ xe5 44.a7 c1+ 45.g1+–

« Après cette partie Larsen n’a plus été tout-à-fait le même. Il a rejeté plusieurs opportunités pour forcer la nulle et a perdu sur ce score (historique) sans appel. » GM Speelman

« Une des meilleures parties de ma vie. » Fischer

« La première partie du match Fischer-Larsen a été la plus créative. Les spécialistes suggèrent d’étudier le style de Fischer en examinant cette partie. » GM Gufeld

« J’ai rejoué cette partie plus de 1000 fois, et je suis toujours frappé à quel point c’était un chef-d’œuvre. » GM Kashdan

Fischer vs Larsen, Denver 1971

Un témoin oculaire - Robert Sandberg - rapporta :

« Au moment où j’écris ces notes, la 5e partie du match vient juste de se jouer. La chose difficile est de transmettre l’atmosphère tout à fait extraordinaire de la situation. Fischer a poursuivi son incroyable performance du match contre Taïmanov à Vancouver. A ce stade, il mène 5 à 0 face à Larsen et, il semble y avoir aucun doute, le match se terminera cette semaine avec la 6e partie. Les nouvelles provenant du match de Moscou entre Korchnoi et Petrosian qui viennent d’aligner 6 parties nulles semblent tout à fait ridicules et totalement surréalistes. On est tenté de dire qu’ici à Denver Colorado, aux portes de l’Ouest américain, un vrai drame se joue à la manière d’un Western. Fischer est entré dans la ville sortant son Colt de son étui pour tirer avec précision, sans se soucier de son adversaire, certain qu’à chaque fois son 6 coups touchera sa cible, comme à son habitude. Le spectateur regarde avec fascination, Larsen le suprême tacticien, déjoué à chaque tour. Aussi incroyable que cela puisse paraître, il n’y a simplement pas de duel pour Fischer. »

« La 6e partie s’était terminée à 9h. du soir le 20 juillet. Cette fois Fischer avait accompli ce que personne n’avait jamais réussi. Il avait gagné deux matchs contre des grands-maîtres sans faire de nulle et sans perdre une seule partie, animé d’une colossale énergie nerveuse.

Autographes de Fischer et Larsen

Si l’on compte ses 7 dernières parties à Palma, ses 6 contre Taïmanov et 6 encore contre Larsen, il avait établi un extraordinaire record de 19 parties gagnantes d’affilée, surpassant le record du grand Steinitz de 16 parties gagnées à la suite à Vienne en 1873. » Frank Brady

« J’ai rencontré Fischer plusieurs fois sur l’échiquier avant de perdre ce match à Denver. Je n’étais pas sous son influence. La seule chose dont je pouvais me plaindre était cette canicule. Mais je crois que jusqu’ici le temps ne dépend pas de Fischer. Après la 4e partie, je me suis rendu chez un médecin qui, comme je m’y attendais, a découvert que j’avais la pression artérielle trop élevée. » Bent Larsen

« Le match de Denver ne s’est pas révélé être un grand moment. Larsen était nerveux et a commis de graves erreurs, à bien regarder, seules deux parties ont été au niveau des attentes quant à leur contenu. La première dans laquelle les deux grands-maîtres se sont affrontés d’égal à égal et la 6e qui pourtant n’avait plus aucune signification sur le plan sportif. Lorsque j’ai analysé les parties jouées à Denver, j’ai découvert qu’une paire auraient pu se terminer avec le partage du point. Larsen, de toute manière, à aucun moment du match n’a été en situation avantageuse. En toute sincérité, le résultat de 6:0 qui, pour certains, démontre une certaine cruauté de la part de Fischer et une monotonie de son jeu, provoque en moi seulement un sentiment de saine envie. Indépendamment du fait de qui sera son adversaire dans la finale des candidats et de son issue, on peut tranquillement affirmer que jusqu’ici au niveau des compétitions mondiales jamais on avait vu une telle supériorité d’aucun des prétendants à la couronne des Rois des échecs. » L’ex-champion du monde Tal après le match.

Le 6-0 infligé à Taïmanov apparaissait moins humiliant car on ne pouvait accuser Larsen de collusion avec l’ennemi, comme les Russes avaient essayé de le faire croire après la défaite de Taïmanov. Le champion du monde Spassky avait déclaré que Larsen était l’adversaire le plus désagréable pour Bobby Fischer. Débutait l’heure de vérité en quelque sorte pour les échecs soviétiques. Nul ne pouvait imaginer ce qui allait se passer…

Bobby se sentait de plus en plus investi dans sa mission de conquête du titre mondial et avait déclaré notamment :

« Je crois, qu’au cours de ces dix dernières années, j’ai été le meilleur joueur d’échecs du monde. Les Russes m’ont attaqué et essayé de me briser. »

Les échecs ne faisaient pas encore la une de la presse internationale. Toutefois l’intérêt d’un match opposant Fischer à Spassky, titre mondial en jeu, allait croissant auprès du grand public.

Depuis 1948, les Soviétiques avaient dominé la scène internationale en alignant successivement 5 champions du monde, Botvinnik, Smyslov, Tal, Petrosian et Spassky. L’exploit fut même salué par le président des Etats-Unis Richard Nixon. Fischer reçut un courrier du président où il s’associait au peuple américain pour le soutenir et l’encourager dans sa quête pour détrôner les Soviétiques !

Fischer, tout sourire...

A l’issue du mach lors d’un interview, alors que l’ensemble de la presse s’extasiait sur son extraordinaire performance, Fischer eut ce commentaire succinct :

« Vraiment, j’ai plutôt bien joué ! »

« Je tiens à remercier Gérard Demuydt pour la mise en ligne de mes articles et tous les lecteurs de leur soutien. » Georges Bertola

Fischer,Robert James - Larsen,Bent - Candidats ½ Finale Fischer-Larsen +6–0=0