Thierry Gouret (1)

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En bref

Le 14 juillet 2003, deux jours après son anniversaire et la nuit suivant la dernière ronde du Championnat de Paris où il avait réalisé une belle performance, Thierry s'est donné la mort en se jetant d'un pont de la Seine.

Cela fait trois ans que vous ne lisez plus le nom de Thierry Gouret sur les listes d'appariement ou sur les grilles américaines. Trois ans que vous ne le voyez plus arpenter, droit comme un I et les mains dans les poches, les allées des salles de tournoi, ou encore griller une cigarette tête en l'air devant la porte d'entrée.

Le 14 juillet 2003, deux jours après son anniversaire et la nuit suivant la dernière ronde du Championnat de Paris où il avait réalisé une belle performance, Thierry s'est donné la mort en se jetant d'un pont de la Seine.

Pour son entourage, son suicide a provoqué ce sentiment mêlé de rage, d'injustice et d'intolérable chagrin que l'on éprouve face à la mort d'un enfant.

Thierry aurait eu 40 ans cette année.

Il aimait passionnément les échecs, comme vous, lecteurs. Et il recelait, comme vous le verrez dans ces pages, d'autres talents plus secrètement enfouis.

Nous avons souhaité rendre hommage à cet homme si particulier, drôle et écorché, à ce joueur bien connu de tous, mal connu de chacun.

Barbara Steiner

Gouret, Thierry (2280) - Bauer, Christian (2475)

Défense Française [C12]

Dijon, 1994

1.e4 e6 2.d4 d5 3.♘c3 ♘f6 4.♗g5

Thierry choisit de jouer une variante agressive, indiquant qu'il est prêt au combat, même contre un joueur plus fort. 4...♗b4 5.exd5

Plus commun est 5.e5 h6! A cette époque, la prise en d5 était à la mode et permettait également d'éviter trop de variantes théoriques et compliquées.

5...♕xd5 6.♘f3 ♘bd7

6...c5 7.♗d2 (7.dxc5 ♕xc5 8.♗d2 ♘c6 9.♗d3 0-0 10.0-0 e5 11.♘g5 ♗g4 12.♕e1 ♖ad8 13.♘a4 ♗xd2 14.♘xc5 ♗xe1 15.♖fxe1 ♗c8 16.♘f3 ♖fe8 17.♗b5 ♖d5 18.♗xc6 bxc6 19.♘b3 e4 20.♘fd2 h5 21.♘f1 h4= Chomet,P.-Bauer,C., Chambéry 1994) 7...♗xc3 8.♗xc3 ♘e4 9.♕d3 ♘d7 10.♗e2 ♘xc3 11.♕xc3 cxd4 12.♕xd4 ♕xd4 13.♘xd4 ♔e7 14.0-0-0 ♖d8 15.♖he1 ♘e5 16.♗b5 ♘d7 17.♗c4 ♖b8 18.♖e3 g6 19.♗xe6 fxe6 20.♘xe6 ♖f8 21.♘xf8+ Malaniuk,V.-Gurevich,M., Minsk 1987, 1-0 (42).

7.♗d3 c5 8.0-0 ♗xc3 9.bxc3 c4

Les Noirs veulent fermer la position, car la paire de Fous serait trop dangereuse sinon.

10.♗xf6 10.♗e2 ♘e4! 10...♘xf6 11.♗e2 ♘e4 12.♕e1 ♘d6 12...b5 13.a4 13.♘d2 13.♘e5!? 13...0-0 14.a4!

Ce gain d'espace permet de se prémunir contre un éventuel ...b5 et fixe les faiblesses b7 et c4.

14...♖d8 15.a5 15.♗f3 ♕a5 15...♖b8 16.♗f3 ♕g5 17.♘e4!

Simple et efficace. Thierry échange la seule pièce active des Noirs.

17...♘xe4 18.♗xe4 ♗d7 19.♕e3 19.f4!? avec un léger avantage blanc.

19...♕xe3 20.fxe3 a6 20...f5 21.♗f3 ♔f7 22.e4 avec aussi un léger avantage blanc. 21.♖ab1 ♗b5

22.♖xb5!!

Un sacrifice de qualité, brillant, qui s'appuie sur deux critères : les faiblesses b7, c4, et la création d'un pion passé.

22...axb5 23.♖b1 b6

La tentative de centraliser le Roi en finale s'avère aussi insuffisante. 23...f5 24.♗f3 e5 25.♖xb5 e4 26.♗e2 avec un clair avantage blanc.

24.a6 ♖d7 25.♖xb5 ♖a7 26.♗b7 ♖bxb7 27.axb7 ♖xb7 28.♔f2 ♔f8 29.e4 ♔e7 30.♔e3± ♔d6 31.♖b1!

La finale de Tours est gagnante pour les raisons suivantes : la mobilité de la Tour blanche et le centre de pions e4-d4 qui gêne toute activité du Roi adverse.

31...b5 32.♖a1 ♔c7 33.e5 f6 34.exf6 gxf6 35.♖a6 ♔d7

36.d5!

La dernière petite touche technique, qui donne la case d4 au Roi et qui permet à la Tour blanche de faire le ménage des derniers pions.

36...exd5 37.♖xf6 ♔e8 38.♔d4 b4 39.cxb4 ♖xb4 40.♔xd5+- ♖b2 41.♖f2 ♔e7 42.♔xc4 ♔e6 43.♔d4 ♖a2 44.g4 h6 45.♖g2 ♔f6 46.h4 ♔g6 47.g5 h5 48.♖f2 ♔g7 49.♔d3 ♖b2 50.♖f4 1-0

Je pense que cette partie reflète assez bien le style de jeu de Thierry, dont les principales caractéristiques étaient une bonne compréhension des aspects positionnels accompagnés des éléments dynamiques qu'il savait mettre en pratique avec beaucoup d'imagination.

Jacques Elbilia

Extrait de l'être

Par Laurent Chapu

Aussi loin que je me souvienne, j'ai rencontré Thierry pour la première fois lors d'un tournoi semi-rapide à Saint Valery en Caux dans les années 80. Vêtu d'un bleu de travail customisé à la Sex Pistols, touffe de cheveux incroyable et barbe uniquement sur le cou, ce jeune homme ne passait pas inaperçu.

Walkman vissé sur la tête, il enchaînait tranquillement victoire sur victoire. Je me rappellerais toujours cette remise des prix lorsque l'on a annoncé Thierry Gouret vainqueur ! Imaginez la tête du maire de l'époque et de ces quelques personnalités importantes de la ville remettrent l'enveloppe bien méritée à ce jeune punk dont personne ne soupçonnait la force échiquéenne !

Tout simplement génial ! D'emblée, sans le connaître ni même avoir joué contre lui, j'étais en admiration devant celui qui mettait K.O. les vieux stéréotypes des joueurs d'échecs. Les années passent, les tournois s'enchaînent et Thierry se retrouve de nouveau sur ma route, sur un quai de gare cette fois. On ne se connaît toujours pas mais il me reconnaît plus ou moins... ses premiers mots furent : « j'ai deux façons de prouver que l'infini existe », puis il a développé une théorie rocambolesque, bourrée d'humour mais aussi très pertinente. J'ai toujours été sensible à sa manière d'envisager le réel, sorte de mélange de dérision et de lucidité extrême. Très vite devenus amis, nous partageons régulièrement analyses de parties et discussions philosophiques avec Friedrich Nietzsche comme dénominateur commun et surtout Lautréamont, auteur des Chants de Maldoror, pour la littérature. Outre le jeu d'échecs dont il ne peut se passer, Thierry a une passion au sens propre du terme : l'écriture. Thierry écrit, beaucoup, tous les jours, sur tous les supports, tickets de métro ou cahiers d'écoliers. Il écrit sur l'actualité, sur ses parties, de la poésie, des réflexions profondes ou des romans légers. C'est un véritable volcan de l'écriture qui se cache derrière ce joueur d'échecs, avec un style bien particulier, peut-être le style des très grands.

Aujourd'hui ce sont des centaines de cahiers, des milliers de textes qu'il laisse derrière lui. Nous avons passé les trois dernières années de son existence à nous voir quotidiennement, le temps d'un blitz ou d'une nuit blanche, la face cachée de l'iceberg s'est révélée, une œuvre gigantesque et selon moi de très haute qualité. Voici quelques extrais des textes de Thierry Gouret) :

Panorama des extases temporelles, des torsions, des magouilles (modifier le temps en passé présent futur) des trafics y afférant.

Créer l'âme, la conscience, la monnaie, l'aura, le dasein, l'être, l'étant, le citoyen, le karma, c'est immédiatement fonder une administration chargée d'entretenir ces instances et entretenue par elles.

Or, nous, proclamons, que le temps, un, unique, indivisible n'est qu'effrité par les horloges.

Les grands esprits sont des enfants attardés qui distraient l'humanité.

La sexualité conjoint à merveille production et consommation on prend et on est pris on mange et on est mangé.

Annihilant l'espace intersticiel * , broyé et aplati, corps contre corps, bloc de matière totale, cosmos enfin plein et qui pour se remplir encore engendre dans une épidémie matérielle, le sexe consacre pour un temps du temps, la suprématie de la matière, la suprématie du corps. Réunissons-nous.

Sade est l'instigateur d'une économie corporelle qui, faute d'être suivie, laisse du désoeuvrement, de l'ennui, des pertes faute de ne pas être dépensées, des pertes pures : du chômage endémique.

Jésus attaque le cosmos.

Car la croix est rencontre, lien, collision, point se propageant, alors que les planètes, boules hermétiques...

Sade fait tourner se croiser les corps en une féerie.

Et si une distance les sépare le fouet les réunit.

Il est bien dommage que les planètes ne se touchent pas.

Heureusement il y a les météorites.

Elles éjaculent.

Dieu est un jour férié qui dure. Rideau à la fenêtre, pluie dehors.

Voilà le monde.

Tout ce qui se tient immobile finit par retrouver le chemin du mouvement.

Par exemple le cadavre se décompose. La planète explose.

La mort remet en branle ce qui s'était assoupi.

* Et non pas interstitiel, Thierry aimait jouer avec l'orthographe des mots pour multiplier leurs sens.