En bref
Retraité depuis 2005, la légende russe âgée de 54 ans a décidé de se frotter aux meilleurs joueurs mondiaux à Saint-Louis le mois prochain. Portrait d'un champion charismatique au caractère bien trempé.
Article de Vincent Gautier du 06 juillet 2017, actualisé le 07 juillet 2017, publié sur le site www.leparisien.fr/sports/garry-kasparov-le-bad-boy-des-echecs-est-de-retour-06-07-2017-711459...
«L'ogre de Bakou» n'est pas rassasié. Douze ans après son dernier match en compétition, Garry Kasparov a annoncé ce jeudi son retour. Ce sera dès le mois prochain à Saint-Louis, dans le Missouri (Etats-Unis). Le monde des échecs va ainsi retrouver l'une de ses plus grandes stars. «En terme d'impact médiatique, il fait partie des quatre joueurs qui ont marqué l'histoire avec Bobby Fischer, Boris Spassky et Anatoli Karpov», explique au Parisien Bachar Kouatly, président de la fédération française d'échecs et grand maître international.
Un «come back» qui ne tiendrait pas que du simple coup marketing. «Kasparov est un homme de défis, je suis convaincu qu'il va aller jouer là-bas en se préparant», estime Bachar Kouatly. Dans tous les domaines, le Russe a trop souvent occupé le haut de l'affiche pour se contenter de faire de la figuration.
Kasparov n'est pas non plus habitué à perdre son temps. En 1985, il devient le plus jeune champion du monde de l'histoire face à l'autre star soviétique de la discipline, Anatoly Karpov. Kasparov est né 22 ans plus tôt, dans la république soviétique d'Azebaïdjan. Jusqu'à l'âge de 12 ans, Kasparov n'est pas encore Kasparov. S'il est déjà un prodige aux échecs, il s'appelle alors Garik Kimovitch Vaïnstein, le nom de son père juif décédé en 1971. Kasparova est celui de sa mère, Klara.
« Un monstre de travail »
Tel un feuilleton, ses duels avec Karpov rythment les années suivantes pendant que l'URSS s'effondre. «J'ai passé plus de temps avec Kasparov dans ma tête en me préparant autour de l'échiquier qu'avec ma femme», dira Karpov. Kasparov s'accapare le trône et conserve son titre de champion de monde pendant 15 ans. Le roi est déchu en 2000, mais il n'est pas nu. Son palmarès continue de s'étoffer avec quelques lignes prestigieuses jusqu'à sa retraite en 2005. Comment expliquer cette longévité hors norme ? Sans doute parce que Kasparov ne rechigne pas à la tâche. Bachar Kouatly voit en lui un «monstre de travail», à la «vie pratiquement monacale».
Cette forme d'ascèse n'est pas son seul secret. L'arrivée de Kasparov coïncide avec une révolution dans le monde des échecs : celle des bases de données. Les parties des plus grands maîtres sont à portée de main. Alliées à ses connaissances de la très prestigieuse école soviétique dont il est issu, elles permettent à Kasparov de se hisser sur le toit du monde des échecs.
Kasparov, le McEnroe des échecs
S'il a su tirer parti de la révolution informatique, Kasparov en a également été la victime. En 1997, il devient le premier champion du monde à être défait par un ordinateur. Le vainqueur s'appelle Deep Blue. Après cinq parties, Kasparov et son adversaire cybernétique sont pourtant à égalité avec une victoire chacun. Les trois autres duels ont débouché sur un résultat nul. A la sixième partie, Kasparov peut se prendre la tête à deux mains : il est terrassé au bout de 19 coups.
Ce 11 mai 1997, l'ogre de Bakou est victime de son «ego monstrueux». «S'il le voulait, il pouvait jouer la partie nulle, juge Bachar Kouatly. L'erreur qu'il a commise, c'est qu'il voulait gagner.» Kasparov a du mal à encaisser la défaite. «Je n'ai pas été battu à la régulière, tempête-t-il dans une interview au Temps en 1998. Des informaticiens sont intervenus pendant que j'affrontais sur scène leur ordinateur.»
Un brin mauvais joueur Garry Kasparov ? Une chose est certaine : le Russe a une «personnalité forte, affirmée», pour ne pas dire «un sale caractère», résume Bachar Kouatly. «Avec Kasparov, vous avez le "bad boy"», poursuit-il, filant la comparaison tennistique. «Le champion du monde actuel, Magnus Carlsen, est un joueur exceptionnel, mais c'est plutôt Bjorn Borg. Kasparov, c'est plus McEnroe».
L'opposant exilé
Le président de la fédération française des échecs s'en est rendu compte lui-même aux championnats du monde universitaires par équipes en 1981. Bachar Kouatly a 23 ans et doit affronter le jeune champion d'URSS.
A 18 ans, Kasparov est déjà une terreur. «Beaucoup d'adversaires étaient effrayés à l'idée de s'asseoir face à lui», se souvient-il. Entre les deux jeunes hommes, le duel débute dès la mise en place des pièces. «Il a commencé à essayer de m'intimider du regard. Je n'étais pas impressionné du tout. Je l'ai fixé du regard de la même manière. Il a baissé les yeux. Il a recommencé une deuxième fois. J'ai soutenu son regard, il a de nouveau baissé les yeux. Et puis la troisième fois, il a souri. Il a compris que le combat allait se passer sur l'échiquier».
Depuis sa retraite, Garry Kasparov s'est surtout illustré dans le rôle d'opposant à Vladimir Poutine. Sur le devant de la scène en Occident, il ne pèse pourtant presque rien politiquement en Russie. En la matière, Kasparov n'est pas vraiment un fin stratège. Sa défaite cuisante en 2014 lorsqu'il se présente à la présidence de la fédération internationale d'échecs (FIDE) face à un autre Russe, le controversé Kirsan Ilioumjinov, le démontre. «Il a mené cette campagne avec agressivité et en créant des antagonismes. Tout son comportement consiste à dire : "si vous n'êtes pas avec moi, vous êtes contre moi", raconte en 2015 le grand maître international français Joël Lautier à L'Equipe. Il a toujours cette arrogance qui pose problème.»
Son grand rival Karpov, également battu par Kirsan Ilioumjinov à la présidence de la FIDE en 2010, a en revanche su tirer son épingle du jeu dans la Russie de Poutine. «Il survécu à tous les régimes et est élu à la Douma. C'est un Talleyrand des échecs», ironise Bachar Kouatly. Kasparov serait lui «un petit peu comme Philidor, le grand champion français du XVIIIe siècle qui était aussi compositeur d'opéra». Parce que royaliste pendant la Révolution française, il est mort en exil à Londres en 1795.
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