Carole Forestier: un parfum de « jasmin » sur l'échiquier

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En bref

Portrait de Carole Forestier, du Club de "Grasse Echecs", 2103 Elo, Championne de France Juniore 2010 à Troyes. Article rédigé par Frédéric Sellier.

Palmarès

1999:Championne de France Petite Poussine
2001:Vice Championne de France Poussine
2002:Championne de France Pupillette
2003:Championne de France Pupillette
2006:3e au Championnat de France Minimette
2007:Vice Championne de France Minimette
2008:Vice Championne de France Cadette
2010: Championne de France Juniore

Dans la lumière du midi, une enfant apprend le jeu d'échecs ! Elle est résolue, elle a de l'ambition... c'est Carole Forestier ! En nous contant son histoire, elle nous livre un parfum d'humilité ! Un vrai roman jusqu'à son dernier sacre à Troyes. A quelques jours des prochains championnats du monde des moins de 20 ans (Chotowa Czarna du 2 au 17 août 2010 en Pologne), portrait et interview d'une des joueuses les plus titrées de France.

Bonjour Carole, peux-tu te présenter aux lecteurs d'Europe Echecs ?

Bonjour à tous, je m'appelle Carole Forestier et j'ai 19 ans. Je viens de Grasse (la capitale mondiale des parfums), dans le sud-est de la France mais j'étudie à Lyon depuis maintenant 2 ans, où je vais entrer en école d'ingénieur à l'ECAM (Ecole Catholique d'Arts et Métiers) à la rentrée prochaine. Dans ma vie il y a ma famille, mes amis, le sport en général (et le tennis en particulier), la musique, le cinéma et surtout les échecs! Cela fait 12 ans que je grandis et évolue à travers Grasse Echecs. Du premier rapide aux championnats du Monde en passant par les déplacements par équipe et tous les championnats de France jeunes. Chaque évènement est une belle expérience qui laisse de beaux souvenirs et donne envie d'en vivre davantage encore. Ce qui me plaît, c'est à la fois la réflexion, la compétition et le fait de partager toutes ces émotions avec d'autres joueurs et joueuses.

Podium Romans 1999.
Photo © Grasse-Echecs

Un premier titre de Championne de France Petite Poussine en 1999 à Romans ?

En septembre 1998, je n'avais que 7 ans et je commençais la compétition sans vraiment savoir ce que cela représentait. Je me souviens de ma première coupe lors d'un rapide à St Laurent du Var, puis tout s'est rapidement enchaîné. Après avoir été Vice-Championne du département et Championne de la région, je me suis retrouvée à mon premier Championnat de France à Romans (Drôme) en 1999.

Je me sentais toute petite au milieu de centaines de joueurs et dans ma catégorie je voyais des filles avec des "gros" Elos, alors que je n'avais que 1009, ça me faisait peur ! J'étais venue pour faire de mon mieux, évidemment, mais j'étais loin d'imaginer ce qui allait suivre. J'ai gagné ma première partie et l'analyse ainsi que la satisfaction des entraîneurs m'ont donné envie de gagner les suivantes, et c'est ce qui s'est passé. J'étais bien entourée et bien dans ma tête, c'est sûrement déterminant à cet âge-là. Neuf rondes, ça paraît long surtout quand on n'est pas habitué, mais je n'ai pas vu le temps passer et j'ai eu du mal à réaliser que j'étais bien Championne de France. La remise des prix a été riche en émotions pour moi (même si j'ai eu du mal à monter sur la première marche qui était un peu haute) et ce qu'on ressent dans ces moments-là est rare et fort.

En plus de ce titre, j'ai eu la chance de participer à une simultanée que donnait Anatoly Karpov, et de le voir accepter la nulle (non pas pour la position,mais pour faire plaisir à une petite fille): je n'en croyais pas mes yeux ! S'ajoute à cela une belle 3e place (ex æquo) au classement des clubs pour Grasse. Certains Grassois nous avaient rejoint pour l'occasion et on a pu fêter la victoire ensemble, avec ma famille et mon club. Ceux à qui je devais ce titre. Aujourd'hui je suis bien consciente de la chance que j'ai eu de vivre une telle expérience ; ça fait déjà plus de 10 ans et pourtant je m'en souviens comme si c'était hier.

Carole et Flavien Forestier
Photo © Frédérique Forestier

De plus, j'ai eu l'occasion de voyager, en France grâce aux compétitions par équipes et aux Championnats de France et à l'étranger, grâce à l'équipe de France Jeunes (quand j'étais sélectionnée). J'ai aussi adoré les stages en équipe de France (en particulier à Vichy) où on apprend à avoir « un esprit sain dans un corps sain ». J'y ai fait de belles rencontres, j'ai rarement trouvé une telle ambiance en dehors des échecs. Ce qui est bien quand on partage une passion à plusieurs, c'est qu'on se comprend. Les compétitions par équipes sont également très formatrices, elles m'ont appris à m'investir dans un groupe et coopérer avec d'autres personnes.

Le seul bémol est le petit passage à vide que j'ai eu vers 13-14 ans, je me posais pas mal de questions et puis j'ai eu mon premier classement fide à 1671 (un des plus bas de France à l'époque), ce n'était pas très bon pour le moral ni pour la confiance. Tout le monde me disait que c'était dur de monter en elo fide et j'avais peur de rester à ce niveau toute ma vie.

Jusqu'au jour où j'ai gagné un 2100, puis un autre et je me suis rendu compte que l'elo n'avait pas d'importance. Alors, je n'avais qu'une envie, c'était de dépasser ceux qui se moquaient (gentiment) de mon classement. Et j'y suis arrivée, petit à petit, jusqu'à ce quatrième titre en juniore cette année à Troyes. J'étais vraiment contente (j'avais oublié l'effet que ça faisait), depuis le temps que je l'attendais et que j'avais envie de me prouver que j'en étais encore capable. Et puis avec les années qui passent, il fallait se dépêcher !

Penser que dans un an, je passerai senior me rend très nostalgique et je n'ai sûrement pas toujours donné le maximum de moi-même, je n'ai aucun regret, j'ai vécu toutes ces années à fond et je suis consciente de la chance que j'ai eu.

Simultanée contre Anatoly Karpov en 1999. Photo © Grasse-Echecs

Tu évolues depuis une décennie au Club de "Grasse Echecs" ? Comment expliques-tu cette fidélité ?

Il y a pas mal de personnes qui ne comprennent pas pourquoi je reste à « Grasse Echecs » alors que je pourrais changer pour un « gros club ». Moi, ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi ça les étonne tant ? Tout ce que j'ai vécu échiquéennement, je le dois au Club de Grasse, sans qui je saurais à peine déplacer les pièces. Et une fois une bonne expérience acquise, je peux la partager et m'investir dans un club qui me tient à cœur. Les responsables, les entraîneurs et les joueurs ont tous été présents quand j'avais besoin d'eux (et je les remercie pour cela) et il faudrait que je les oublie après quelques années sous prétexte qu'ils ne m'apportent plus rien ?

Personnellement, je ne suis pas d'accord avec ce genre de mentalité mais ça c'est une question de point de vue. Mais ce qu'ils ignorent surtout, c'est tout ce que mon Club m'apporte aujourd'hui encore. Que je sois 20e de ma catégorie ou Championne de France, il faut garder les pieds sur terre, ça ne change pas une personne et j'ai toujours besoin du même soutien. Je sais que je peux compter sur le club qui fait son maximum pour que nous réussissions et c'est très important pour moi.

A chaque Championnat de France on loge tous ensemble, on s'entraide, se motive et après la partie on décompresse : foot, ping pong ou blitz, tous les moyens sont bons. Même après une défaite, j'arrive à retrouver le sourire grâce à tout ça, c'est génial. A la fin de ma dernière partie à Troyes cette année, j'étais impatiente d'annoncer à mon entourage que je finissais 1ère car je savais qu'ils partageraient mon bonheur. C'est cette atmosphère qui joue beaucoup pour moi et je ne pense pas pouvoir trouver mieux en changeant de club, ça me ferait surtout perdre mes repères et toutes ces années me manqueraient. De plus, j'ai pu jouer en nationale 1 jeunes, en TOP16 et empocher 4 titres de championne de France alors je ne vois vraiment pas pourquoi je partirais !

Podium Troyes 2010. Photo © Grasse-Echecs

Actualité oblige, tu vas bientôt participer au prochain Championnat du monde Junior des moins de 20 ans à Chotowa Czarna, en Pologne (2/17 Août 2010) ... Dans quel état d'esprit vas tu aborder cette compétition ?

Carole Forestier. Berlin 2010
Photo © Vincent Moret
Chotowa Czarna
Jan Kusina championships

Je suis très impatiente de participer à ce Championnat du Monde d'autant plus que le dernier auquel j'ai participé remonte à 2003. J'y vais pour jouer avant tout, me comparer aux meilleures joueuses de ma catégorie, et j'espère pouvoir en accrocher quelques-unes. C'est peut-être mon dernier Championnat du Monde alors pas question d'avoir de quelconques regrets, je vais faire mon maximum et jouer à fond chaque partie. Je ne pars vraiment pas favorite alors je n'ai pas trop de pression. Mais cela ne m'empêche pas de rêver un peu et puis je sais que ce sera une belle expérience quoiqu'il arrive.

A moyen terme, quelle sera la suite de ta carrière échiquéenne ?

Je ne veux pas trop me projeter dans l'avenir au risque d'être déçue. Je donne priorité à mes études mais j'ai toujours l'intention de jouer en équipe les années suivantes, participer à un maximum de tournois pendant les vacances et continuer à m'entraîner pour progresser. A plus court terme, je vais tenter de remporter un nouveau (et dernier) titre en Juniore au prochain Championnat de France Jeunes (Montluçon 2011), mais qui sera malheureusement mon dernier. Pourquoi pas un jour participer au "National féminin", mais le temps me dira quel niveau je suis capable d'atteindre... et comme l'a si bien dit Peter Drucker (un théoricien américain) : « la meilleure façon de prédire l'avenir, c'est de le créer ».

Carole Forestier
Photo © Vincent Moret
Carole Forestier. Grand Bornand 2007
Photo © Vincent Moret

Deux parties commentées par Carole Forestier

Carole Forestier. FIJ Cannes 2009. Photo © Flavien Forestier

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Frédéric Sellier