Arkadi Dvorkovich candidat à la présidence

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Julio Ernesto Granda Zúñiga et Arkadi Dvorkovich

En bref

Samedi 15 septembre de nombreuses personnalités s’étaient rendues à Paris, sur l’invitation de Bachar Kouatly, Président dela FFE et colistier N°2, pour soutenir la candidature d'Arkadi Dvorkovich à la présidence de la FIDE.

Le samedi 15 septembre 2018 de nombreuses personnalités s’étaient rendues à Paris, sur l’invitation de Bachar Kouatly, Président de la Fédération Française des Échecs et colistier numéro 2, pour soutenir la candidature du Russe Arkadi Dvorkovich, 46 ans, à la présidence de la Fédération Internationale des Échecs (FIDE).

Georges Bertola : Votre notoriété provient surtout du monde politique et du sport, quels sont vos liens avec le jeu d’échecs ; je crois savoir que votre père était arbitre international d’échecs ?

Arkadi Dvorkovich : « Je vais mentionner trois choses. Premièrement mon père était un arbitre international d’échecs. Un des premiers en Union soviétique dans le milieu des années 70, une époque où le jeu était très important en Russie et mon père a consacré sa vie aux échecs. Depuis mon enfance, j’ai baigné dans le monde des échecs. Non seulement je connaissais tous les joueurs, la marche des pièces mais aussi les règles qui régissaient les grands tournois joués à Moscou. Étant enfant, j’ai aussi joué mais pas à un niveau très élevé.Puis, lorsque mon père Vladimir Iakovlévich Dvorkovich est décédé en 2005, nous avons créé un club d’échecs, pour honorer sa mémoire. Un endroit pour jouer aux échecs mais aussi destiné à enseigner le jeu aux enfants. Un club convivial où tous les passionnés peuvent se rencontrer, parler autour d’un verre. Quelques uns sont des hommes d’affaires, d’autres des hommes politiques, des sportifs ou des personnalités du show-business et certains parmi eux commencent à sponsoriser le jeu après avoir compris comment cela fonctionne.Finalement en 2007, je suis devenu député président de la Fédération d’échecs de Russie, puis président en 2008 pour quatre ans. Je comprends les priorités, les principaux objectifs d’une fédération aussi importante que celle de la Russie. Ceci est mon parcours dans le monde des échecs et je suis encore chargé d’une commission auprès de la fédération de Russie. Lorsque j’ai arrêté de travailler pour le gouvernement après 18 ans de services et, après avoir été président du comité d’organisation de la Coupe du Monde de football en 2018 au sein d’une grande équipe, je me suis dit que c’était peut-être le bon moment pour moi de contribuer sur un plan global à l’avenir des échecs en me présentant comme candidat à la présidence de la FIDE. Grâce à mon expérience, mon énergie, je pense que j’ai les capacités requises pour le faire. »

Mathilde Choisy, Bachar Kouatly, Véronique Revoy, Anatoly Karpov et Georges Bertola.

Georges Bertola : Pour quelle raison votre candidature est arrivée si tard, créant la surprise ?

Arkadi Dvorkovich : « Il y a une raison très simple. J’ai travaillé pour le gouvernement jusqu’au 7 mai 2018 et ne pouvais pas faire campagne avant. Jusqu’au 15 juillet, j’étais complètement occupé dans l’organisation de la Coupe du Monde de football. J’ai commencé à avoir quelques contacts et discussions pendant la Coupe du Monde. Dans les faits, ma campagne a débuté après, alors que je devais déposer ma candidature et celle de mon équipe avant le 3 juillet. C’était peut-être tard parce que les gens ne connaissaient ni mon programme ni mes idées. Mais j’avais de bonnes raisons de procéder ainsi car je devais honorer mes engagements professionnels. Pourtant, officiellement, j’étais dans les temps. C’est aussi pourquoi j’ai dû travailler plus intensément et faire les choses rapidement, rencontrer de nombreuses personnes en voyageant beaucoup. »

Georges Bertola : Avec cette expérience planétaire de la Coupe du Monde du football, les échecs ont une audience beaucoup plus confidentielle, quel le est votre motivation pour briguer la présidence ?

Arkadi Dvorkovich : « Je ne passe pas du monde du football à celui des échecs. Mon parcours est d’abord 18 années au service du gouvernement. J’ai été ministre adjoint dans le ministère du « Développement économique et du commerce » de 2000 à 2004. Puis j’ai travaillé en tant que conseiller du Président de 2004 à 2012 pour deux Présidents, Poutine et Medvedev. De 2012 à 2016, j’étais Vice-président du gouvernement. Pour 18 années au service du gouvernement, je n’ai passé que quelques mois dans l’organisation de la Coupe du Monde de football. Je ne suis pas un politicien, je n’ai pas été membre du Parlement et n’ai jamais fait campagne pour quoi que ce soit. J’étais avant tout un professionnel de l’économie au service du gouvernement et simultanément j’ai travaillé 5 ans pour la Fédération russe d’échecs. »

Photo de groupe avec Anatoly Karpov et Arkadi Dvorkovich

Georges Bertola : Que souhaitez-vous vraiment changer si vous devenez Président de la FIDE ?

Arkadi Dvorkovich : « J’aimerais avant tout que la FIDE soit respectée, reconnue comme une institution mondiale conforme aux exigences des joueurs du XXIe siècle. Actuellement la FIDE vit au siècle passé et son organisation est basée sur des principes dont l’approche et la technologie sont ceux du XX siècle. Certains de ses principes sont bons et nous devons les développer mais beaucoup de choses doivent changer. L’approche financière doit s’orienter vers le parrainage d’entreprise, le marketing, le développement des ressources humaines. Nous devons utiliser des moyens modernes et avoir des personnes qualifiées. La manière dont nous organiserons les tournois doit être plus professionnelle et moderne. L’attitude envers les joueurs d’échecs doit être différente, nous devons les respecter, ceci est très important, sinon nous n’aurons pas l’élite avec nous pour révéler la beauté du jeu d’échecs au monde entier. Dans les années 50, 60 et 70, nous avions vingt à trente joueurs mondialement connus. Tout le monde savait qui était Botvinnik, Spassky ou Fischer. Maintenant on peut encore citer Karpov et Kasparov mais personne ne connaît la nouvelle génération de joueurs. »

Georges Bertola : Pourtant l’actuel champion du monde Magnus Carlsen est connu non seulement en Europe et surtout dans la nouvelle génération ?

Arkadi Dvorkovich : « C’est bien là le problème. Pour l’homme de la rue, en Roumanie par exemple, qui connaît Carlsen ? Magnus est une personne remarquable avec la bonne approche professionnelle sur le plan du marketing. Il a un gros potentiel comparable à une star de football ou de cinéma mais qu’est-ce qu’on a fait pour le valoriser ? »

Georges Bertola : Il faut souligner que le match du siècle qui a opposé Spassky et Fischer a bénéficié d’une autre dimension, son enjeu politique, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.

Arkadi Dvorkovich : « Oui, mais ceci ne vaut pas seulement pour Fischer-Spassky, ce fut aussi le cas pour les matchs Karpov-Korchnoï et Karpov-Kasparov. »

Georges Bertola : Jusqu’ici, la FIDE a été victime de la routine et d’une certaine inertie. C’est seulement depuis la fin de la seconde guerre mondiale qu’elle s’est emparée de l’organisation du championnat du Monde. En un siècle, si vous êtes élu vous seriez le 7e Président. Pensez-vous pouvoir changer les choses, il y a-t-il trop de fonctionnaires ?

Arkadi Dvorkovich : « Il n’y a pas beaucoup de fonctionnaires. C’est plutôt une petite organisation et ceux qui sont salariés peu nombreux. Ce n’est pas une organisation professionnelle, d’où le problème. Sans professionnalisme, on ne peut pas faire de grandes choses. Trouver des sponsors, avoir l’appui des gouvernements, faire du business. Ce n’est pas qu’une question d’argent mais de partenariat. L’argent, c’est aussi important et sans argent on ne peut pas développer les échecs. Mais l’argent vient quand on a obtenu la confiance de ses partenaires et le travail doit se faire ensemble tous les jours. Et pour pouvoir travailler tous les jours, il faut faire appel à des professionnels. »

Georges Bertola : Du temps de l’Union soviétique, les échecs étaient soutenus par le gouvernement. Aujourd’hui, avez-vous l’appui de votre gouvernement ?

Arkadi Dvorkovich : « Non, maintenant les subventions sont réduites et le gouvernement ne soutient que l’équipe nationale. Le développement des échecs en Russie dépend des gouverneurs des régions. Si un gouverneur décide que les échecs c’est bien, cela sera plus facile. Les entreprises, surtout les très importantes, donnent de l’argent et parfois font de la publicité pour les échecs mais nous pouvons parler plutôt de charité que de sponsoring. »

Georges Bertola : Ce que vous apportez de nouveau, me semble-t-il, est votre expérience et votre réseau ?

Arkadi Dvorkovich : « Oui, si je n’avais pas cette expérience et des connexions avec des gouvernements et des entreprises, je ne me serais pas présenté. Je pense pouvoir réaliser de grandes choses grâce à la collaboration d’une très bonne équipe qui est composée de personnalités provenant du monde entier. Depuis que j’ai fait leur connaissance, nous avons appris comment travailler ensemble. »

Georges Bertola : Aimez-vous jouer et êtes-vous intéressé par le prochain match au sommet Carlsen-Caruana ?

Arkadi Dvorkovich : « Oui, bien sûr. Je pense que Caruana est en grande forme, très bien préparé, mais Magnus a plus d’expérience. Si Magnus est en bonne condition physique, il pourra conserver son titre. Je pense que c’est une question de condition physique pour être capable de jouer de très longues parties. Récemment Magnus n’a pas très bien joué, que ce soit à Bienne ou Saint-Louis. »

Georges Bertola : Et dans le passé, y-a-il un joueur qui vous a marqué ?

Arkadi Dvorkovich : « Mikhaïl Tal. »

Georges Bertola : Pour les Olympiades de Batumi, les trois équipes les plus fortes ; les USA, la Russie et la Chine représentent trois des plus grandes puissances mondiales. Pourrait-il y avoir un enjeu politique comme au temps des deux blocs ?

Arkadi Dvorkovich : « Non. Quand un pays a de grandes ressources économiques, il dispose de plus de moyens, de possibilités pour développer le jeu, mais cela ne signifie pas pour autant qu’un tout petit pays ne puisse disposer d’une forte équipe et gagner des médailles comme l’Azerbaïdjan ou l’Arménie par exemple. Pour moi, si les journalistes veulent en faire un enjeu politique ce n’est pas important, ce que disent les médias m’indiffère. De nos jours les échecs ne sont plus utilisés à des fins politiques, seul le résultat obtenu par les joueurs compte. »

Propos recueillis par Georges Bertola, Rédacteur en chef de la revue Europe-Echecs

Julio Ernesto Granda Zúñiga et Arkadi Dvorkovich